Lamartine, Méditations poétiques - Automne

Commentaire linéaire.

Dernière mise à jour : 15/04/2023 • Proposé par: eva.lb (élève)

Texte étudié

Salut, bois couronnés d’un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! le deuil de la nature
Convient à la douleur, et plaît à mes regards.

Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire ;
J’aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois.

Oui, dans ces jours d’automne où la nature expire,
À ses regards voilés je trouve plus d’attraits ;
C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais.

Ainsi, près de quitter l’horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l’espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d’un regard d’envie
Je contemple ces biens dont je n’ai pas joui.

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau !
L’air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d’un mourant le soleil est si beau !

Je voudrais maintenant vider jusqu’à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel :
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel !

Peut-être l’avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l’espoir est perdu !
Peut-être, dans la foule, une âme que j’ignore
Aurait compris mon âme, et m’aurait répondu !…

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
À la vie, au soleil, ce sont là ses adieux :
Moi, je meurs ; et mon âme, au moment qu’elle expire,
S’exhale comme un son triste et mélodieux.

Lamartine, Méditations poétiques - Automne

Dans les Méditations poétiques, Lamartine invente une nouvelle forme de lyrisme, où le poète assume toute la subjectivité de ses émotions qu’il projette sur les paysages. Il contribue ainsi à la sensibilité romantique qui émerge au début du XIXe siècle en France.

Dans le poème l’Automne, le poète songe à la fin de sa vie, un moment suspendu à l’approche de la mort, les derniers beaux jours avant l’hiver qui arrive.

Problématique: Comment Lamartine associe-t-il l'automne à sa douleur ?

I. Strophe 1 à 6: Une lamentation

Ce poème narre la promenade du poète dans les bois en automne. II la fait seul comme l'indiquent le pronom personnel « Je », le déterminant possessif « mes » ou l'adjectif « solitaire » qui qualifie le sentier v.5 auquel le poète s'identifie, ce qui constitue un hypallage. Cette correspondance entre le poète et la nature qui l'environne est sensible tout au long de ces strophes. Il l'exprime dès la première strophe « le deuil de la nature / convient (...) regards ! ». La métaphore « deuil de la nature » illustre l'idée que cette saison est une sorte de mort, d'affaiblissement, d'agonie de la nature avant Thiver, idée de deuil que l'on retrouve v. 7 « ce soleil pâlissant », « faible lumière », « regards voilés » v. 10 ou encore v. 9 « ces jours d'automne où la nature expire ».

C'est donc une saison mentale qui correspond à l'état d'âme du poète, infiniment triste d'avoir perdu celle qu'il aime sans cependant la nommer ici ou l'évoquer directement. Il exprime cette douleur grâce au choix du registre pathétique et des procédés comme le lexique de la souffrance « douleur » v. 4, « pleurant » v. 14, « larme » v. 18, associé au lexique de la mort à laquelle il aspire, évoquant donc indirectement l'idée de son suicide v. 6 « pour la dernière fois », v.11 « C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire », avec la métaphore v. 13 « prêt à quitter l'horizon de la vie » ou encore v.18 « Aux bords de mon tombeau » et v.20 « regards d'un mourant ». L'idée du suicide est particulièrement forte dans la strophe 6 avec la métaphore du calice qu'il veut vider jusqu'à la lie, façon imagée de représenter sa vie qui a contenu bonheur et souffrance à la fois avec les antithèses nectar, goutte de miel/fiel: son bonheur a été intense mais de trop courte durée avec Julie Charles. Cette tristesse est renforcée par l'emploi constant d'exclamations créant un ton élégiaque, une lamentation continue dans ces 6 premières strophes.

Il s'agit donc d'un adieu à la nature qu'il affectionne. Les bois y sont célébrés comme le montre l'adjectif « couronné » v. 1, métaphore qui évoque son statut supérieur à celui des hommes. La nature est propice à la rêverie comme il l'exprime v. 5 (citer), à la méditation, à la contemplation de ses « biens » v. 16 qui l'exalte comme on le voit aux v.17, 19, 20 avec les adjectifs mélioratifs « belle, douce, parfumé, pure, beau » et l'adverbe d'intensité « si » employé à trois reprises. La nature est personnifiée dès le début du poème comme si le poète lui parlait (« salut » v.1 et 3), qu'elle le comprenait, ce qui est très représentatif du lyrisme romantique, ce que l'on retrouve chez les précurseurs du mouvement comme Chateaubriand ou Rousseau puis chez Hugo. Lamartine la considère comme une amie (V. 11 et 18, citer), il lui fait l'offrande d'une larme comme si elle était une sorte de déesse. Un lien très fort s'établit entre la nature et lui, elle est le refuge des âmes malheureuses, une mère à qui l'on peut confier sa détresse. Elle console car elle offre le spectacle d'une grande beauté et rassure car elle ne meurt jamais réellement, thème récurrent en poésie depuis l'Antiquité (Horace, Ovide, Virgile, Tibulle puis Ronsard...). Le poète se sent en symbiose avec elle.

II. Strophe 7: Lueur d'espoir

C'est cette correspondance, osmose entre la nature et le poète qui lui redonne une forme d'espoir sensible dans la strophe 7. En effet, si la nature automnale contient la certitude de renaître au printemps, le poète exprime l'espoir de revivre et de retrouver le bonheur grâce à deux phrases interrogatives v. 26/28.

Les termes « bonheur » « espoir » laissent envisager un retour à la vie et à l'amour évoqué avec le groupe nominal « une âme » mais cette rencontre reste hypothétique avec la répétition de l'adverbe « peut-être » qui constitue une anaphore, et l'emploi du mode conditionnel v. 28 « aurait compris/aurait répondu ».

III. Strophe 8: L'apaisement

Le poème se clôt sur un sentiment d'apaisement. Si les six premières strophes sont ponctuées d'exclamations, la dernière n'en contient aucune. La mort semble une idée acceptée avec sérénité, le travail de deuil semble accompli. Il procède ainsi à une analogie entre la fleur qui tombe et fane en delivrant « ses parfums au zéphyre » v. 29 et lui-même dont l'âme expirant « s'exhale comme un son triste et mélodieux » v. 32. Il exprime ici à la fois des sensations olfactives et auditives, donnant à la mort un aspect très solennel et esthétique, sorte de cérémonie funèbre à la fois belle et triste. Il met donc en scène sa propre mort idéalisée pour rendre plus émouvante cette peinture de ses sentiments.

Le « son triste et mélodieux » qu'il laisse en partant est une métaphore de l'écriture : la douleur lui a inspiré ces vers, héritage qu'il laisse à la postérité. On peut citer ici Lamartine lui-même : « Les vers sont cette lutte entre l'instinct de tristesse qui fait accepter la mort et l'instinct de bonheur qui fait regretter la vie. »

Conclusion

Dans ce poème, Lamartine développe un lyrisme personnel qui lui permet d’illustrer sa réflexion sur la brièveté de la vie avec une représentation de l’automne. Le déclin de la nature symbolise la fin de la vie.

Il décrit ainsi à travers des métaphores filées une émotion ambivalente. D’un côté, la mort offre un repos pour son âme fatiguée, mais en même temps, il regrette ce que la vie pouvait lui offrir.