Comment les sciences humaines questionnent-elles la notion d'inhumain ?

Une copie entièrement retranscrite d'un élève de CPGE Littéraire en deuxième année, pour un devoir de khôlle sur le sujet "L'inhumain". Note obtenue : 12/20.

Dernière mise à jour : 16/04/2023 • Proposé par: Kilde (élève)

En 2022 est sortie la série sur Netflix Monstre, L’histoire de Jeffrey Dahmer. Elle raconte l’histoire vraie de Jeffrey Dahmer, un tueur en série qui a sévi dans les années 1980 aux États-Unis. Surnommé le “cannibale de Milwaukee”, le meurtrier à commis 17 crimes en 13 ans , tous plus sordides les uns que les autres. Il n'empêche que de tels actes impactent violemment notre sentiment d’humanité et provoquent en nous une forme d'identité. Il nous reste alors à nous poser la question sur ce qui est l’inhumain. Ce concept à t-il sa place dans les sciences humaines ou est-ce une notion idéologie. Commençons par définir l'humain, qui provient du latin Humanitas qui renvoie à la nature humaine, selon la métaphysique traditionnelle, l’homme est présenté d’emblée comme un certain être qui, à la différence des autres animaux, serait doué d’une faculté de raisonner. La plupart des philosophes définissent comme humain tout être doué de raison. La notion d'être humain est la question centrale de toute anthropologie et comme l'a formulé Emmanuel Kant “Was ist der Mensch” ou “Qu’est-ce que l’homme ?. Cependant la définition de l’homme comme être raisonnable peut se remettre en question, car elle ne permet pas de saisir le propre de l’homme. Par exemple, le lion restera un félin ou le chien, un canidé, cependant de par certains actes l’homme n’est pas toujours considéré comme humain, et c’est bien le problème, car il arrive à l'être humain d'être inhumain. Questionner l'être humain comme inhumain est important de la philosophie. Selon le Larousse, l’inhumain vient du latin inhumanus est désigne ce qui ne semble pas appartenir à la nature humaine et qui est souvent perçu comme atroce ou monstrueux. Cependant, comment penser cette inhumanité, peut-on la conceptualiser comme la fait Spinoza, comme un être “hors humanité” comme le conceptualiser les Grecs avec les barbares ou peu importe l’acte commis bien que qualifié d'inhumain, il reste un être de notre monde humain. Cette question n’a cessé d'être posée et notamment aux XXe siècles suite aux deux guerres mondiales et qui a mis en avant cette expression célèbre “les crimes contre l’humanité”. Ainsi réfléchir sur l’inhumain c'est mettre en avant des notions comme le mal, le pardon, l’autre ou encore l'ethnocentrisme et l’objectivité.

C’est ainsi que nous nous demanderons dans quelle mesure les sciences humaines permettent de questionner la notion d'inhumain en mettant en avant l’objectivité et la subjectivité, et remettant en cause l'opposition entre inhumain et humain ? Il convient tout d’abord de définir l’inhumain comme l’opposition à l’humain. Or il n’y a qu’un homme pour être inhumain, ainsi dans une seconde partie nous verrons l’inhumain comme une modalité de l'être humain. Enfin nous finirons par revoir ou reconceptualiser le terme d’inhumain.

I. L’inhumain s’oppose à l’humain

La chose la plus simple est de considérer l’inhumain comme tout ce qui ne n’est pas humain, hors-humain. Ce terme est constitué comme une négation de l’humain. C’est ainsi que l'objectivité entre en jeu est ne peut être remise en cause. Est inhumain tout ce qui ne relève pas de l’homme. Prenant l’exemple du cannibalisme effectué par l’empire aztèque et vu par les conquistadors et Hernán Cortés en 1519-1521. Chaque année des milliers de victimes (homme, femme, enfant, prisonnier, esclave …) étaient immolés puis mangés. Ce phénomène de société est dès lors défini comme inhumain par les conquistadors, cette réalité objective incarnée par le biais du Christianisme. Cet exemple met en avant l’expérience de l’altérité vécue à la fois par les conquistadors et les Aztèques. Cependant, y’a-t-il un caractère objectif dans cela. Certains jugent inhumain ce que d’autres jugent au contraire à l’honneur de l’humanité et cela peur d’être faux voir incorrect . Ainsi Christoph Colomb n’a pas cherché à comprendre la langue de l’autre, il y a alors un refus de comprendre l’autre. Ainsi l’inhumain n’est pas le non-humain, mais bien un humain dont les actions ne correspondent pas à la dignité humaine.

Ainsi le concept d’inhumain n'apparaît pas comme une réalité objective, mais d’une valeur qui est jugée . Tout ce qui attente à l’intégrité physique et à la dignité morale de l’être humain pourra être dit inhumain. Dire qu’un être est inhumain, c’est dire qu’il est différent de nous, car il ne correspond pas aux normes de notre système culturel. Ainsi Montaigne, dans Des Cannibales, a dit « Il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage; comme de vrai, il semble que nous n'avons d'autre mirage de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions et usages du pays où nous sommes ». Ainsi il est réducteur de qualifier l’inhumain à partir d’une position ethnocentriste, car ici intervient l’idéologie qui selon Paul Ricœur est l’identité au sein duquel se trouve le processus de légitimation. Ainsi Cortes n’avait pas conscience que ces actes envers les indigènes étaient mal, car pour lui il n'était pas dans le mal, il ne faisait que l'œuvre du christianisme et de l’Europe, il avait une confiance absolue en soi . Un terme qui s’associe souvent avec inhumain est barbare et désigne sous la Grèce Antique tout ce qui ne participait pas à la culture grecque. Selon les mots Lévi-Strauss dans Race et Histoire « Le barbare, c’était celui qui ne parlait pas grec, le mot désignant un cri inarticulé, comme celui du chant des oiseaux. » Nous rapprochant l’autre de l’animal. Lorsque l’on qualifie un acte d’inhumain on se heurte au jugement qui découle d’un modèle. Dans les Grandes Antilles, pendant que les européens chercher si les indigènes avaient une âme ou pas, les indigènes s'employaient à immerger des européens, afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était sujet à la putréfaction, afin de savoir si il fallait les considérer comme des « hommes »

Ainsi le concept d’inhumain n’a rien à voir avec l’absolu et l’universel, mais bien du relatif et du particulier. Le concept d’inhumain se construit et diffère selon les sociétés, l’idée de l’inhumain rentre alors dans le domaine de la culture et des coutumes. Or la particularité de ces dernières, c’est leurs différences . Ainsi Socrate explique dans la Politique que les esclaves étaient définis comme ceux qui ont la capacité corporelle d'exécuter des ordres. Cela n'était pas vu comme inhumain de les fouetter puisque ces derniers n'étaient pas considérés comme des humains. Or aujourd’hui, obliger quelqu’un à un travail forcé est qualifié d’inhumain. On a pu le constater très récemment avec le Qatar et la coupe du monde 2022 qui sont accusés d’esclavage moderne. De plus nombre d'actes sont perçus comme inhumains aux yeux d’une civilisation et totalement normaux par celle qui la pratique. Reprenons l’exemple de Montaigne qui dans son essai nous fait une assez bonne comparaison qui déstabilise l’ethnocentrisme en mettant en avant que les guerres de religion ne sont pas plus civilisées que les rituels anthropophagiques. Enfin, l'idée même que nous donnons à l’inhumain pose problème, car l'être humain est en constant mouvement. Or il n’y a qu’un homme pour être inhumain. Ainsi au lieu de voir l’inhumain comme une opposition à l’humain ne serait-il pas plus intéressant de considérer l’inhumain comme une modalité de l’homme.

II. L’inhumain une modalité de l'être humain

L’inhumain est une idée qui est construite par opposition avec l’expression commune d'être humain.

Cependant on a bien souvent tendance de façon erronée de prendre l'inhumain comme opposition de l'être humain. Pour voir cela, il suffit de chercher l’antonyme de inhumain sur internet et l’on trouve le terme d’humain. Mais lorsque l’on s'intéresse un plus à l'étymologie du mot inhumain on a la particule “in” et le nom homme qui vient de humanus. En quelle sorte l’inhumain fait partie de l’humain, c’est une caractéristique, une modalité propre à l’homme, ce n’est pas une opposition, mais bien une association. Cependant en mettant en avant cette idée, si l’inhumain est une modalité de l'être humain c’est qu'elle construit d’une certaine façon ce dernier. Platon s'est exprimé sur ce sujet, ainsi selon lui la seule différence qu’il y a entre l’homme honnête et le criminel, c’est que le premier rêve (et n'agit donc pas) alors que le criminel réalise ce rêve (il agit). Ainsi on revient sur l’idée que l’inhumain n’est pas à conceptualiser comme une réalité objective, mais bien comme une action que tout humain est capable de faire. Albert Camus disait que tout homme est un criminel qui s’ignore, ainsi des individus qui n’ont aucune idée d'être un jour des assassins peuvent découvrir si l'occasion s’y montre un tempérament de criminel. Cette notion d’inhumain n’est peut être que le fruit des interdits créés par la société. Ainsi si l’on reprend les concepts de Freud, l’inhumain peut s’apparenter au “ça”, le sujet au “moi” et la société au “surmoi”, l’acte inhumain n’est inhumain que parce que la société l’aura décidé. Cependant bien que l’inhumain soit une particule de l’humain, on n’a souvent catégorisé ce terme avec la barbarie, l’animalité ou l’instinct primitif. N’y aurait-il pas une raison dans l’acte inhumain.

Il existe dans l’acte inhumain une certaine rationalité. Quand les conquistadors ont observé les actes des indigènes tels que le sacrifice humain et le cannibalisme, n’avaient pas de sens selon eux, mais pouvaient rentrer dans leurs conceptualisations de l’autre. Cependant les indigènes ne mangent pas leur semblable par pur instinct, derrière cela il y une vraie rationalité. Dans son œuvre Nous sommes tous des cannibales, Lévi-Strauss nous apprend que derrière le cannibalisme il y a toujours un rituel et à des portées diverses comme la magie, le sacré ou le funéraire. D’ailleurs dans ce même ouvrage une comparaison intéressante basée sur l'ethnologie (qui est l'étude comparative et explicative de l'ensemble des caractères culturels) et remet en avant la célèbre phrase de Montaigne « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». Ainsi à Noël ce sont les parents qui font croire aux enfants que les cadeaux viennent du père Noël tandis que dans le cas des indigènes indiens, ces derniers se déguisent en Kachinas (esprit), en mort pour offrir des cadeaux. Ainsi, peu importe les coutumes bien qu' elles se ressemblent dans beaucoup de circonstances, l’un peut être considéré comme inhumain, l'autre comme humain. Il existe dans l’inhumain une incontestable rationalité, l’exemple le plus frappant est la torture, dans la mesure ou des actes prémédités utilisant une grande réflexion afin de faire souffrir de façon physique et/ou psychologiquement. Ainsi peu importe l’acte caractérisé comme inhumain, cela découle de coutume ou acte réfléchi, il apparaît donc que l’inhumain est indissociable de l'être humain. Ainsi ne faut-il pas revoir le concept d’inhumain.

III. Revoir le terme d’inhumain

Le concept d’humain est difficile à cerner, bien souvent il suppose une universalité, mais l’homme est aussi un être unique, qui a des attentes et des besoins sociaux, culturels, biologiques ou spirituels. C’est un être en perpétuel devenir et en interaction avec son environnement. Un être libre qui forme un tout indivisible. Mais cette vision peut-elle être remise en question. Si l’on reprend le concept de l'être dans l'existentialisme de Sartre, l'existence précède l'essence. Nous devons comprendre cela comme l'être humain n’ayant pas de nature prédéfinie qui l’emprisonne, l’homme est libre, il décide de qui il veut être. Je décide de faire le mal ou le bien. C'est un être qui agit dans le monde. Agir est donc réservé à l'être humain. Dire qu’un acte est inhumain est contradictoire. C'est ce qui le distingue de tout être vivant. Ainsi le drame de la cordillère des Andes met en avant ce choix fait par l’humain, mais considéré comme inhumain, lorsque les survivants se sont réservé à manger les corps des passagers morts, préservés par le froid. Pour ainsi dire ils étaient condamnés et leur raison les a poussés à consommer de la chair. Or peut-on qualifier ces personnes d’inhumaines ?

Enfin n’est-ce pas une fausse idée que de vouloir conceptualiser l’inhumain. Il serait intéressant de trouver un autre terme, car d’une certaine façon on est tous inhumains, soit selon l’autre soit selon mes actes. Il y aurait rien d’inhumain vu que l'être humain n’est pas prédéfini. Les actes inhumains sont du ressort de l'humain, combien même l’acte commis. Si on a mis en place cette notion de l’inhumain, c’est bien parce que l'être humain est capable des pires atrocités, du meilleur comme du pire. Un exemple datant de 2001 en Allemagne, Armin Meiwes est condamné pour le meurtre d’une victime consentante, où il a été ensuite question de cannibalisme. Enfin l’exemple des scientifiques allemands qui se sont mis au service de l'inhumain lors de la Seconde Guerre mondiale a été étudié par les sciences humaines. Ainsi si l'inhumain a sa place dans les sciences humaines, je répondrais que oui, car c’est une notion qui s’entoure intégralement de l'être. Lorsque les sciences humaines étudient l’humain, ils peuvent étudier l’inhumain, tout dépendra de la position utilisée. Les sciences humaines peuvent nous aider à prendre conscience de ce Mal qui existe en chaque être humain. Ce n’est quand s'intéressant à ceux mal que l'on pourra permettre aux sciences humaines de mieux approfondir la connaissance sur l'être humain.

Conclusion

En conclusion les sciences humaines ne peuvent conceptualiser l’inhumain comme une réalité objective, car l’inhumain ne peut être conçu selon un fait, mais comme des actions à valeurs culturelles qui changent selon les civilisations ou le temps.

Cependant l’inhumain ne peut être dissocié de l’humain et des sciences humaines, car l’inhumain fait partie intégrante de l’humain. Dès lors, il se doit de redéfinir l’inhumain. L’inhumain étant à la fois une notion paradoxale, mais tellement proche de l’homme.