L’expérience partagée est-elle forcément la fin de l’expérience personnelle ?

Copie d'élève de terminale générale pour un devoir maison. Note obtenue: 16/20.

Dernière mise à jour : 06/12/2022 • Proposé par: line (élève)

L’expérience partagée est-elle forcément la fin de l’expérience personnelle ? Le terme « expérience partagée » renvoie à une confrontation de soi avec le monde. « L’expérience personnelle » définit quant à lui un ensemble de savoir acquis par la pratique. À première vue, il semble que l’expérience partagée désigne forcément la fin de l’expérience personnelle puisque les connaissances acquises par l’individu suite à l’expérience personnelle, qui sont par la suite partagées vont se développer et être perverties par les subjectivités extérieures apportées par les divers individus.

Mais est-ce si évident ? En effet, l’humain ne peut bénéficier totalement des apprentissages de ses expériences seuls et donc ne les rend pas optimales. Partager ses expériences permettrait donc de développer totalement son expérience personnelle grâce aux différents acteurs étrangers sans pour autant la faire disparaître. Pouvons-nous donc vraiment avancer que l’expérience partagée est forcément la fin de l’expérience personnelle ? Ne permettrait-elle pas au contraire de renforcer l’expérience personnelle ? Cette question est particulièrement importante, car elle possède un fort enjeu anthropologique. En effet, il s’agit ici de s’interroger sur la connaissance de l’humain sur lui-même au travers de ses expériences. Afin de répondre à ces problématiques, nous observerons dans un premier temps que l’expérience partagée entraîne la fin de l’expérience personnelle, puis nous nuancerons nos propos en démontrant que cela n’est pas si évident.

I. L'expérience partagée entraîne la fin de l'expérience personnelle

Tout d’abord, une expérience personnelle est par définition propre à un individu, la partager entraînerait donc la fin de cette dernière. L’expérience personnelle existe, car l’acteur même de cette expérience en fait la réflexion. En effet, Robert Musil dans son œuvre L’homme sans qualités, parue en 1930, semble partager ce point de vue: « N’a-t-on pas remarqué que les expériences vécues se sont détachées de l’homme ?» (l.1). Dans cette citation Musil exprime l’idée selon laquelle la diversité des moyens de partages des expériences a entraîné la disparition des expériences personnelles, car chaque expérience est dorénavant partagée. Ainsi l’idée même que l’expérience personnelle disparaîtrait une fois partagée prend tout son sens, car la multitude de facteurs propageant leur partage leur permet aussi de perdurer dans le temps. En effet, Musil prend comme exemple les « communautés, religieuses ou autres », cela renvoie à un mode de partage de l’expérience transcendant les époques. Une expérience partagée n’est alors plus personnelle, car elle devient commune à un ensemble d’individus.

Ensuite, partager une expérience l’expose à des points de vue et à une critique extérieure à la nôtre, cela a donc pour conséquence de la transformer. Les bénéfices dus à ces expériences peuvent donc se retrouver modifiés ou bien même supprimés. Selon Rousseau, le regard des individus le déforme, car ils ne sont pas à la bonne distance pour le saisir. Cela renvoie directement à la distinction immuable présente entre l’acteur et les spectateurs. En effet, ces derniers n’ont ni les éléments ni les émotions ou les ressentis précis et véridiques de ces expériences étant donné qu’ils n’étaient pas présents. Partager ses expériences entraîne donc la disparition de l’expérience personnelle, car elle est remise en question par des éléments extérieurs parasites ne pouvant réellement capter la subtilité même des expériences.

Enfin, nous pouvons nous demander si l’expérience personnelle existe vraiment à notre époque ? En effet, chaque expérience dorénavant vécue n’est plus propre à l’individu lui-même, car n’est pas le premier à l’avoir vécu. De plus, le partage de ses expériences a déjà eu lieu dans le passé. Nous pouvons prendre comme exemple Robert Musil dans son ouvrage L’homme sans qualités, les expériences ont été transmises: « dans des livres, dans les rapports de laboratoires et des expéditions scientifiques, dans les communautés, religieuses ou autres » (l. 2-3). Les moyens de transmissions énumérés par Musil ont tous un point commun, leur capacité à perdurer dans le temps. Que ce soit par devoir de mémoire ou, car les écrits survivent plus facilement dans le temps tout en facilitant la transmission de leur contenant. Ces éléments ont donc entraîné à un partage des expériences transmises à toute la population, il n’y a donc plus d’expériences personnelles, car elles sont déjà influencées par les différents éléments encrés à nos sociétés.

Cependant, cela est-il vraiment évident ? Partager ses expériences ne permettrait-il pas de développer davantage son expérience personnelle ?

II. Mais partager son expérience aide à mieux la comprendre

Premièrement, partager ses expériences permettrait de les rendre plus concrètes. En effet, qui peut se vanter de n’avoir jamais éprouvé de difficulté à exprimer un ressenti face à une expérience vécue. Cette difficulté rencontrée peut alors disparaître grâce au partage de l’expérience vécue. L’interlocuteur pourrait vraisemblablement être en mesure de répondre à cette problématique. Ce phénomène est développé par Chateaubriand dans son œuvre René, parue en 1802, dans laquelle le personnage éponyme revient en France après des pérégrinations américaines qui l’ont déçu. Son retour en France le laisse sans mots suite à cette déception. Il décrira suite à cela quantité d’éléments superflus afin d’exprimer ses émotions. Cela est un exemple que le partage de ses expériences permet une meilleure compréhension de ces dernières.

Pour finir, malgré les efforts fournis par un individu, il ne pourra développer ses idées jusqu'à leur summum et cela à cause de la diversité de points de vue existant chez les individus. Partager ses expériences serrait donc le seul moyen permettant d’en capter toutes les subtilités en opposant différents points de vue. Cette idée est notamment explicitée par Adam Smith dans les Théories des sentiments moraux, paru en 1759, dans lequel il développe l’idée que la sympathie, qui représente la capacité à se mettre à la place d’autrui, que l’être humain peut ressentir leur permet d’imaginer ce que les autres voient en eux, sachant que les autres leur tendent un miroir sur eux afin de pouvoir mieux se juger. Lors d’une expérience personnelle, nous nous imposons un jugement sur nous-même, ce dernier est néanmoins altéré étant donné qu’il nous est lui aussi personnel. Partager ses expériences et donc se plier au jugement d’autrui permet donc d’approfondir notre expérience personnelle.

Conclusion

À l’issue de notre réflexion, on constate que l’expérience partagée est bénéfique à l'expérience personnelle, car malgré les visions biaisées que les individus peuvent apporter sur nos expériences, elles ne seraient rien sans eux et plus que cela, nous ne pourrions les considérer comme nôtres sans les avoir confrontés au regard extérieur, ce dernier nous permettant parfois de mieux nous comprendre que notre propre personne.