Laclos, Les Liaisons dangereuses - Lettre 105: « Hé bien ! petite »

L'explication linéaire, en trois parties.

Dernière mise à jour : 09/10/2022 • Proposé par: LILOU (élève)

Texte étudié

LA MARQUISE DE MERTEUIL A CECILE VOLANGES

Hé bien ! petite, vous voilà donc bien fâchée, bien honteuse ! et ce M. de Valmont est un méchant homme, n’est-ce pas ? Comment ! il ose vous traiter comme la femme qu’il aimerait le mieux ! Il vous apprend ce que vous mouriez d’envie de savoir ! En vérité, ces procédés-là sont impardonnables. Et vous, de votre côté, vous voulez garder votre sagesse pour votre amant (qui n’en abuse pas) ; vous ne chérissez de l’amour que les peines, et non les plaisirs ! Rien de mieux, et vous figurerez à merveille dans un roman. De la passion, de l’infortune, de la vertu par-dessus tout, que de belles choses ! Au milieu de ce brillant cortège, on s’ennuie quelquefois à la vérité, mais on le rend bien.

Voyez donc, la pauvre enfant, comme elle est à plaindre ! Elle avait les yeux battus le lendemain ! Et que direz-vous donc, quand ce seront ceux de votre amant ? Allez, mon bel ange, vous ne les aurez pas toujours ainsi ; tous les hommes ne sont pas des Valmont. Et puis, ne plus oser lever ces yeux-là ! Oh ! par exemple, vous avez eu bien raison ; tout le monde y aurait lu votre aventure. Croyez-moi cependant, s’il en était ainsi, nos femmes et même nos demoiselles auraient le regard plus modeste.

Malgré les louanges que je suis forcée de vous donner, comme vous voyez, il faut convenir pourtant que vous avez manqué votre chef-d’œuvre ; c’était de tout dire à votre maman. Vous aviez si bien commencé ! déjà vous vous étiez jetée dans ses bras, vous sanglotiez, elle pleurait aussi : quelle scène pathétique ! et quel dommage de ne l’avoir pas achevée ! Votre tendre mère, toute ravie d’aise, et pour aider à votre vertu, vous aurait cloîtrée pour toute votre vie ; et là vous auriez aimé Danceny(1) tant que vous auriez voulu, sans rivaux et sans péché : vous vous seriez désolée tout à votre aise ; et Valmont, à coup sûr, n’aurait pas été troublé votre douleur par de contrariants plaisirs.

Sérieusement peut-on, à quinze ans passés, être enfant comme vous l’êtes ? […]

Paris, ce 4 octobre 17**.

(1) Cécile est tombée amoureuse du Chevalier Danceny, qui lui a été présenté par la Marquise de Merteuil.

Laclos, Les Liaisons dangereuses - Lettre 105

Après la mort de Louis XIV, sous la régence de Philippe d’Orléans, le libertinage se développe. Dans ce mouvement, un auteur des Lumières, Pierre Choderlos de Laclos, engagé politiquement, va critiquer l’aristocratie dans son œuvre Les Liaisons dangereuses. Ce roman épistolaire montre cette image libertine de la société aristocratique et sans morale. Celle-ci est illustrée par le duo formé par la marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont. Pour se venger de Gercourt, son amant qui l’a délaissée et s’apprête à épouser Cécile de Volanges, jeune fille « pure » tout juste sortie du couvent, la marquise de Merteuil fait appel à Valmont, pour qu’il mette ses talents de séducteur à son service en séduisant la jeune fille. Elle encourage aussi Cécile dans sa relation avec Valmont. Le roman compte cent soixante-quinze lettres, entre les différents protagonistes de cette intrigue, et la lettre 105 répond à la lettre 97, envoyée par Cécile à la Marquise, à laquelle elle fait entièrement confiance : elle lui avoue sa honte d’avoir cédé aux avances pressantes de Valmont, qui s’est introduit de nuit dans sa chambre, et sa peur des conséquences de son acte.

Quelle conception de l’amour le ton adopté par la marquise dans cette lettre met-il en évidence ? Nous verrons dans un premier mouvement, de la ligne 1 à 7, deux conceptions opposées de l’amour : le libertinage et l’amour romanesque. Ensuite nous observerons dans un deuxième mouvement, de la ligne 8 à 12, un éloge de l’immoralité. Enfin nous analyserons dans un troisième mouvement, ligne 13 à 20, une critique ironique d’une jeune fille naïve et des dangers de la vertu.

I. Deux conceptions opposées de l’amour

Nous verrons dans un premier mouvement deux conceptions opposées de l’amour l. 1 à 7 : le libertinage et l’amour romanesque.

Le début de la lettre est rendu vivant par l’interpellation immédiate de la destinatrice, « Hé bien ! petite » l. 1, sur un ton affectueux, certes, mais le redoublement exclamatif, « vous voilà donc bien fâchée, bien honteuse ! » l. 1, en réponse à la lettre de Cécile, révèle déjà toute son ironie. En imitant le langage enfantin de la jeune fille, elle se moque, en effet, de ses réactions, d’abord par sa question, « Monsieur de Valmont est un méchant homme, n’est-ce pas ? » l. 1 et 2. Elle ridiculise ensuite les reproches lancés par Cécile contre Valmont, en faisant l’éloge du comportement de celui-ci : « [i]Comment ! il ose vous traiter c

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