Est-il vrai que seul le présent existe ?

Il s'agit d'une dissertation complète pour un devoir à la maison. Note obtenue : 15/20

Dernière mise à jour : 20/03/2022 • Proposé par: JT (élève)

Dans les Aphorismes sur la Sagesse dans la Vie, Schopenhauer affirme que « Le présent seul est réel » , mais que signifie le présent ? Existe-t-il une notion si familière, si courante et simultanément si étrange qui définit notre réalité. Le présent est une des trois dimensions du temps qui définit notre réalité matérielle, on le définit communément comme ce qui existe en ce moment, qui est là et ce qui se tient entre le passé et l’avenir, toutefois l’interrogation « est-il vrai » annonce ici un questionnement sur l’unicité de ce présent tout en présupposant aussi que ce présent existe. Or, d’un côté l’être humain est doté d’une conscience, une conscience du temps unique qu’il ne partage pas avec les autres êtres vivants, il ne vit pas uniquement dans le temps présent, tantôt navigant entre un passé joyeux, douloureux et inchangeable qui nous rappelle notre condition actuelle ou un futur inconnu et inatteignable.

Il est donc nécessaire de se demander si la linéarité du temps qui définit notre existence nous oblige à vivre dans un présent inexistant ? Pour répondre à cette problématique, il est tout d’abord nécessaire d’étudier les différentes réalités du temps présent, puis de s’interroger sur l’illusion du temps, pour enfin aborder la mise à distance possible avec le temps.

I. Le temps, comme réalité physique ou en conscience, est au présent

L’homme existe dans un monde physique caractérisé par deux notions fondamentales et indissociables, le temps et l’espace mais la nature du temps reste difficile à saisir tant pour les physiciens que pour les philosophes. Le temps n’est pas un corps ou un objet, pourtant il conditionne notre existence, toute chose, vivante ou non, est soumise aux effets du temps. Le temps s’inscrit dans l’espace, on peut le voir passer tout au long de notre vie, comme on observe une chute d’eau, ou le mouvement d’un train vers une destination infinie et contrairement à l’espace où on peut saisir, toucher ou confiner des objets, on ne peut pas toucher le temps lui-même, le temps ne peut pas être saisi ni confiné on peut seulement observer et quantifier les effets du temps sur les mondes, les changements et mouvements qu’il induit et mesurer leur intervalle. Ainsi pour les sciences naturelles et la physique, le temps est un facteur à considérer, un paramètre essentiel, toute question physique prendra toujours en compte le temps, on peut reprendre l’idée du temps absolu de Newton introduit en 1687 dans ses Principia Mathematica. Selon laquelle le temps absolu est le même en tout point de l’univers et indifférent au mouvement, ainsi on peut définir le temps objectif comme un temps physique, un temps mathématique uniforme et indépendant de celui qui le mesure.

Ce temps physique objectif se différencie du temps subjectif vécu par notre conscience et qui se situe dans notre esprit, ce temps subjectif peut varier d’individu en individu et dépend donc des émotions et ressenties de la personne qui l’évalue. Ainsi quelquefois le temps ne semble pas se dérouler à la même vitesse selon que l’on s’amuse, ou que l’on s’ennuie. Cette impression qu’une activité désagréable dure éternellement et inversement, c’est selon ce temps que nos représentations de la réalité sont mises en relation les unes avec les autres. On peut ainsi définir la temporalité comme un temps présent abstrait qui déploie à partir du présent et qui ne s’écoule pas uniformément, un temps qui ne peut être mesuré qu’à l’intérieur de soi, un temps fluctuant et variants, qui se ralentit ou s’accélère à travers notre existence, prenant l’exemple d’un homme dans le coma, la chute éternelle du temps, continuera toujours mais dix années d’inconscience se présenteront à ce patient comme un laps de temps éphémère. Le temps est donc lié à l’objet non pas comme une de ses propriétés physiques, mais en tant qu’il rend possible son existence à travers notre conscience qui nous délivre, elle, l’intuition de la durée. On peut ainsi reprendre l’idée de Kant qui définit le temps comme « la forme du sens interne », ce qui se situe dans notre esprit, dans notre conscience et c’est selon ce temps que nos représentations sont mises en relation les unes avec les autres.

II. Seul le présent est accessible

La différence majeure entre l’espace et le temps c’est la liberté que l’espace nous offre, on peut se déplacer librement dans l’espace, de tous les côtés, je peux aller d’un emplacement quelconque vers un autre dans la direction qui me plaise, sans être conditionné par une linéarité ou une irréversibilité de cette espace, mais dans le temps je suis contraint par une linéarité je ne peux pas me déplacer librement dans le temps, tout instant passé est à jamais inatteignable car il n’est plus là et tout moment futur est aussi inatteignable car il n’existe pas encore. Le temps lui-même est toujours présent mais aussi continuellement absent à renouveler la réalité en quittant l’instant présent pour un autre présent différent et nouveau. Cette caractéristique lui confère la qualité paradoxale d’être instantané et irréversible. Irrémédiabilité et éternel, c’est ce qui affirme Saint-Augustin dans ces Confessions de 397-401, « Si le futur et le passé existent, je veux savoir où ils sont [...] ils n’y sont ni en tant que futur ni en tant que passé, mais en tant que présent », le présent est le moment où toutes les choses s’envisagent, qu’elles soient passées, présentes ou à venir, Augustin met alors en évidence l’irréductibilité du présent par rapport au passé et au futur.

Cette irréversibilité du temps présent agit sur nous, en tant qu’êtres vivant notre existence est marqué par une temporalité. On est conscient du passage du temps, du vieillissement, de l’irrévocabilité de nos actions, et de nos souvenirs. Toute erreur commise dans le passé peut nous hanter tout au long de notre vie, prenant l’exemple d’une trace numérique ineffaçable. Cette erreur pourra impacter le futur de cette personne d’une façon négative, et cet individu pourra peut-être regretter son action mais malheureusement pour lui on ne peut ni demander un « droit à l’oubli », ni remonter le temps. On sait aussi qu’on est voué à la mort, et cette idée d’une fin imminente qui peut nous surprendre à tout moment est à l’origine de notre crise existentielle, de notre questionnement du temps présent. Sénèque dans la De la brièveté de la vie, en l'an 49 disait « Aussi, si tu vois quelqu’un avec des cheveux blancs et des rides, ne va pas penser qu’il a vécu longtemps : il n’a pas vécu longtemps, il a existé longtemps. ». Il met ainsi en avant l’idée du temps qui nous embarque et nous submerge dans ses temporalités en nous privant du moment présent. Ainsi ajoute t-il « le temps agit sur nous, bien plus que nous ne parvenons à agir sur lui ».

III. On peut se néanmoins se libérer du présent

Ce présent infini et continuellement renouvelable est notre zone existentielle du temps, on existe et on agit dans ce présent mais la linéarité du temps et notre finitude comparée à l’infinité du temps présent et son renouvellement incessant, nous poussent à vouloir se procurer notre vie, notre temps présent en engageant dans les plaisirs de la vie. Les épicuriens et les stoïciens insistent sur le plaisir d’exister extrinsèque au passage du temps et au présent dans une sorte de sentiment d’éternité, ainsi se libérant de la crainte de la mort, ce qui leur permet de savourer pleinement la vie, car craindre la mort, c’est aussi craindre incessamment son arrivée. En se libérant de cette angoisse existentielle, l’homme pourra alors apprécier pleinement sa vie et son temps présent.

De même l’homme peut se tourner vers l’art qui résiste au temps et possède une certaine permanence temporelle c’est ce qu’affirme Hannah Arendt: « Du point de vue de la durée pure, les œuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres choses » dans La crise de la culture, 1961. La création artistique est ainsi un des moyens de marquer son temps, de transmettre aux générations futures, voire d'explorer le temps passé. Cela ne créé pas une nouvelle réalité temporelle, mais donne au moins un écho à notre temps présent, en le rendant connecté à d'autres temporalités. Savoir qu'on créé une œuvre qui peut durer au-delà de notre existence rend les besoins ou l'actualité immédiates moins pressants. Revenir sur des histoires passées rend le présent plus familier, plus simple à appréhender, comme une répétition d'évènements et de causes qui entraînent les mêmes effets, et sont autant d'expériences desquelles on peut apprendre, comme si on les avait soi-même vécues.

Conclusion

Nous nous sommes donc interrogés si la linéarité du temps qui définit notre existence et nous oblige à vivre dans un présent inexistant. Les trois dimensions du temps existent à travers deux réalités du temps différentes, une objective physique linéaire indépendante de l’homme et une autre subjective située dans notre esprit et relié à nos émotions et état de conscience.

Ces deux réalités très proches et analogues caractérisent notre existence, or la linéarité du temps et son irréversibilité rendent le futur inaccessible à l’homme du fait de son inexistence et le passé inaccessible, hormis par le souvenir, qui n’est jamais aussi vrai que le moment présent. Ainsi seul le présent existe et compte vraiment, bien qu'on puisse prendre de la distance avec celui-ci. Seul le présent est atteignable, mais cela n'empêche pas de s'en libérer, ou du moins d'en atténuer son importance.