Peut-on reprocher à une œuvre d’art de ne rien valoir ?

Devoir maison d'un élève de terminale en voie générale. Note obtenue : 15/20.

Dernière mise à jour : 29/01/2022 • Proposé par: Azahu (élève)

De notre point de vue moderne, certains reprochent parfois aux œuvres de ne “rien valoir”. On peut ainsi se questionner sur le sens de cette formulation. Ne rien valoir signifie que ces œuvres sont sans intérêt, sans valeur, voire dénuées de toute utilité. Le terme "reprocher" quant à lui signifie blâmer, accuser, condamner. Le concept de valoir est subjectif et donc propre à chacun d’entre nous. Par exemple, certains verront un certain génie chez Marcel Duchamp et sa “Fontaine” tandis que d’autres peuvent se scandaliser, car qu’est ce que pourrait valoir un urinoir ?

Mais peut-on lui reprocher son approche à l’art sous prétexte qu’il ne vaudrait rien ? On peut ainsi se questionner sur la finalité de l’art. L’art doit-il forcément avoir une valeur ? Néanmoins le fait qu'une œuvre ne vaille rien peut-il être caractérisé comme un reproche ? Et sur quels arguments reposerait ce reproche ? Pour répondre à ces questions nous aborderons dans un premier temps qu’une œuvre d’art vaut forcément quelque chose puis dans une deuxième partie qu’en réalité cette valeur est pourtant toujours subjective pour enfin terminer en se demandant si nous ne réduisons pas l’art à sa simple valeur.

I. Une œuvre d'art a forcément une valeur

Tout d’abord une œuvre d’art se distingue de toutes les autres productions humaines. En effet, à l’inverse de l’outil qui lui ne prend son sens qu'avec son utilité ou sa fonction, l’œuvre découle d'une intention d'un artiste. Une œuvre a ainsi toujours une certaine vocation, une certaine valeur à la fois pour l’artiste, mais également pour le spectateur. De nombreux philosophes se sont ainsi demandé qu’est-ce qu’apportait l’art ? Nous avons tendance à attendre de l’art qu’il produise de beaux objets, pourtant à travers les âges nous n’avons pas eu le même rapport au beau. Pour les Anciens, les Grecs et les Romains, le beau est objectif c’est-à-dire qu’il est lié à l’objet, à sa nature. Les œuvres d’art sont belles grâce à leurs caractéristiques presque mathématiques : la symétrie, la régularité et la proportion.

Pourtant tous les penseurs antiques ne s’accordent pas sur ce point, l’art peut aussi valoir quelque chose grâce à d’autres critères. Une œuvre peut ainsi valoir quelque chose, car elle nous procure des émotions. C’est ce que Aristote appelle la Catharsis ou l’intérêt de l’art serait de se purger de nos émotions en les éprouvant face à une fiction. L’œuvre permet de nous faire réfléchir et nous grandit. Ainsi, l’art nous permet d’être un défouloir de nos émotions. Le théâtre et les tragédies de son époque comme Œdipe en étaient le symbole. De nos jours, nous l’éprouvons encore notamment grâce au cinéma à travers des œuvres cinématographiques comme La Vie est Belle, nous plongeant dans une époque que nous ne connaissons que grâce aux livres, mais où pourtant nous nous attachons aux personnages et à l’atmosphère dramatique du film. D'autre part, les œuvres d'art peuvent faire passer un "message". Le sens exprimé par certaines œuvres d'art peut même vouloir être très explicite et ne laisser au public que peu d'interprétations possibles. On peut par exemple penser à l’artiste Banksy, artiste de street art connu pour ses nombreuses œuvres engagées. Ou bien même au très célèbre tableau Guernica de Pablo Picasso qui dénonce la violence de la guerre. Une œuvre aura ainsi toujours une valeur notamment pour l’artiste qui l’a conçu. Dans cette vision le philosophe Hegel nous dit que ce que l’artiste exprime dans son art, c’est avant tout lui-même. C’est ce qu’il appelle l’expression sensible de l’esprit de l’artiste. L’art est pour l’artiste un langage et son œuvre un symbole, il exprime sa façon de voir le monde et sa sensibilité à travers ceux-ci. Toute œuvre a alors sa propre interprétation, il ne faut pas seulement se limiter aux apparences, mais comprendre la réelle volonté de l’artiste qu’il exprime à travers son œuvre.

Les concepts d’art gratuit et d’art révélateur rajoutent également une utilité aux œuvres en général. Il a ainsi une utilité sociale puisqu’il nous permet un imaginaire ou des références communes, mais il permet également aux artistes de révéler le monde tel qu’il en en vérité/réalité aux non-artistes. Une œuvre d’art peut valoir quelque chose, notamment grâce à sa valeur marchande. En effet, certaines œuvres se vendent à plusieurs millions d’euros comme récemment avec la vente du Salvator Mundi de Léonard de Vinci à près de 450 millions de dollars, l’œuvre la plus chère jamais vendue. Ces œuvres souvent rares, d’artistes mondialement connus s’arrachent pour des prix exorbitants.

II. Mais cette valeur est pourtant toujours subjective

Une œuvre d'art réussie serait alors un objet beau ou cher, qui a un sens ou qui cherche à en faire passer un ? Pourrions-nous lui reprocher de ne rien valoir si elle n’entrait pas dans ces critères prédéfinis sur ce qu’est une œuvre d’art ? Pourtant, une œuvre d'art réussie pour l'un peut être considérée comme ridicule par l'autre. Dès lors, qu'est-ce qui fait véritablement la valeur d'une œuvre d'art ? Est-ce le prix ? La rareté ? Ou même le succès ? Notre esthétique moderne abandonne la prétention de la beauté objective antique qui confondait beau et utile. L’art moderne tient compte d’un jugement de goût subjectif. Nous devons cette vision moderne au philosophe Burke pour qui le beau serait subjectif c’est-à-dire qu’il est propre au sujet. La beauté n’est plus une vérité suivant des règles de proportion et d’harmonie comme elle pouvait l’être chez les Anciens, mais un sentiment subjectif et relatif. Notre perception du beau diffère selon les individus et les cultures. Une chose n’est pas belle ou laide en soi, tout dépend de la sensibilité du spectateur. On peut ainsi le résumer au proverbe, "on ne discute point des goûts et des couleurs", car ils dépendent de chacun.

Ainsi le philosophe Kant remarque que ce jugement de goût est esthétique, le beau n’est plus dans ce qui est représenté, mais dans la façon de le présenter, ce qui rend une œuvre belle c’est ce qu’elle est en elle-même, c’est sa forme, l’essentiel qui fait le beau. Nos goûts sont ainsi relatifs à chacun de nous. Notre rapport au beau est désintéressé, on trouve belle une œuvre indépendamment de tout jugement esthétique ou financier. Notre point de vue du beau ne se contrôle pas, il est propre à chacun d’entre nous. Cette subjectivité rentre alors au cœur même du principe de l’art : la beauté n’est pas dans l’objet, mais dans le regard du spectateur. Le spectateur peut alors reprocher à une œuvre de ne rien valoir à ses yeux. Cependant son jugement est proprement personnel, un ami ou un voisin pourrait très bien avoir un avis opposé à son jugement. Dès lors il est presque impossible de reprocher quelque chose sur la valeur d’une œuvre, car pourquoi un jugement serait-il plus juste que celui des autres ?

III. Surtout, l'art par essence dépasse la simple notion de valeur

De cette manière on peut s’interroger sur notre rapport à la valeur. Pourquoi voudrait-on forcément que l’art ait une valeur ? N’est-ce pas au final le réduire simplement à sa seule valeur ? En établissant une définition aussi radicale de l'art, qui devrait suivre certains critères, mouvements, formes, couleurs… Ou qu’il doive faire obligatoirement passer un message ou une émotion, nous réduisons le concept d'art à toute création humaine ayant pour unique but la production du beau ou d’utilité. Pourtant, de nombreuses œuvres ne se soumettant pas à ces exigences, se verront refuser l'appellation d’œuvre d'art. On peut illustrer cela avec les œuvres de Marcel Duchamp. Son urinoir était considéré comme un objet “immoral et vulgaire” qui n’avait pas sa place dans une galerie d’art. Pourtant l'artiste le détourne de son usage premier, et l'expose simplement en le retournant, et alors celui-ci devient une œuvre.

Marcel Duchamp brise ainsi ce phénomène qui nous dit que les œuvres doivent forcément avoir une valeur quelconque. Pourquoi un urinoir devrait-il être moins considéré par les critiques d’art qu’un De Vinci ? On peut également penser au mouvement de l’art abstrait qui ne semble pas forcément avoir de valeur à première vue. Peut-on alors leur reprocher de ne rien valoir puisque nous ne voyons pas en elles ce que nous attendons d’une œuvre ? On peut donc bien voir que le fait que des œuvres n’aient pas de valeur n'est pas un reproche, car l'on peut juste apprécier l'art pour l'art, un art qui n’a pas besoin d’être utile pour pouvoir exister et ainsi le contempler pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’il devrait être.

Conclusion

En conclusion, on a pu voir qu’à travers le temps les œuvres d’art se devaient de suivre certains critères pour être considérées comme de l’art. Ainsi nous serions tentés de répondre à notre problématique à la hâte, une œuvre doit forcément avoir sa vocation. Mais n’est-il pas réducteur d’interpréter une œuvre d’art uniquement sur ces critères qui ne sont au final qu’une interprétation d’un fait, d’une perception, d’un rêve ou d’une idée ? Vouloir à tout prix assigner une valeur, un sens à une œuvre d’art nous éloigne de sa véritable essence. Ainsi on ne peut reprocher aux œuvres d’art de ne rien valoir puisque leur essence même n’est pas de valoir quelque chose, mais d’être contemplées.