Une passion sans illusion est-elle possible ?

Annale bac 1995, Série L - France métropolitaine

Dissertation entièrement rédigée.

Dernière mise à jour : 27/10/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

On admet volontiers que, sous prétexte de "réalisme", l'homme ne doit pas se bercer d'illusions. Parmi les origines classiquement repérées à ces dernières, la passion figure généralement en bonne place, aux côtés de la perception ou de l'imagination. Mais la passion détermine-t-elle nécessairement l'illusion ? Ne peut-on au contraire concevoir une passion sans illusion ?

I. Aliénation et illusion

De Platon à Kant au moins, la passion est décrite en termes négatifs. Son étymologie suppose d'abord que l'individu la subit ; mais surtout elle entraîne des comportements paraissant indignes de l'humanité : c'est l'"hubris", la "maladie de l'âme". Démesure et pathologie seraient ses aboutissements. Dans un tel contexte, l'illusion accompagne la passion comme une de ses conséquences nécessaires : puisque le passionné pervertit l'usage de la raison, puisqu'il ne veut plus rien savoir d'une réalité qu'il interprète systématiquement en fonction de ses buts exclusifs, il est condamné à vivre dans un univers illusoire.

Sans doute certains auteurs (Descartes, Spinoza) admettent-ils qu'une analyse intellectuelle de la passion reste possible à celui qui en est la victime, et que cette analyse a une portée bénéfique : de la passion, on pourra annuler des effets malsains en la connaissant avec précision. Mais un tel travail n'implique-t-il pas une modification de l'état passionnel qui signifie en fait sa disparition pure et simple? Ainsi, la passion, aussi longtemps qu'elle règne sur l'esprit et les sens, paraît-elle bien entraîner la subjectivité vers l'illusion.

On notera toutefois que de tels points de vue partagent aussi une interprétation globalement négative de l'illusion, dont l'homme devrait avoir pour préoccupation en quelque sorte permanente de se débarrasser: l'illusion, c'est l’anti-vérité, une trahison des devoirs rationnels, et c'est bien à ce titre qu'elle est détestable. (Jusqu'à ce que Nietzsche affirme au contraire sa nécessité, et repère dans les œuvres d'art ses formes les plus hautes, seules capables de rendre supportable la vie elle-même...).

II. La passion exaltante

Ce point de vue classique trouve un aboutissement paradoxal dans la trop célèbre formule de Hegel, selon laquelle rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion. En apparence, il y a là revalorisation de la passion, puisqu'elle apparaît comme participant à l'élaboration de l'histoire, et de ses événements les plus "grands". Mais en fait

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