Kant, Réflexions sur l’éducation : Éducation

Une copie entièrement retranscrite d’une élève de terminale générale pour un devoir à la maison. Note obtenue : 20/20.

Dernière mise à jour : 15/10/2021 • Proposé par: louann.f_ (élève)

Texte étudié

L'homme a besoin de soin et de culture. La culture comprend la discipline et l'instruction. Aucun animal, que nous sachions, n'a besoin de la dernière. (....) L'homme ne peut devenir homme que par l'éducation. Il n'est que ce qu'elle le fait. Il est à remarquer qu'il ne peut recevoir cette éducation que d'autres hommes, qui l'aient également reçue. Aussi le manque de discipline et d'instruction chez quelques hommes, en fait de très mauvais maîtres pour leurs élèves. Si un être d'une nature supérieure se chargeait de notre éducation, on verrait alors ce qu'on peut faire de nous. Mais, comme l'éducation, d'une part, apprend quelque chose aux hommes, et d'autre part, ne fait que développer en eux certaines qualité, il est impossible de savoir jusqu'où vont nos dispositions naturelles. Si du moins on faisait une expérience avec l'assistance des grands et en réunissant les forces de plusieurs, cela nous éclairerait déjà sur la question de savoir jusqu'où l'homme peut aller dans cette voie. Mais c'est une chose aussi digne de remarque pour un esprit spéculatif que triste pour un ami de l'humanité, de voir la plupart, des grands ne jamais songer qu'à eux et ne prendre, aucune part aux importantes expériences que l'on peut pratiquer sur l'éducation, afin de faire faire à la nature un pas de plus vers la perfection.

Kant, Réflexions sur l’éducation

L'homme est un être naturellement inachevé et il a donc besoin d'éducation. L'humanité de l'homme n'est pas immédiatement donnée, mais elle se construit et s'acquiert tant au niveau de l'individu que de l'espèce. Nous sommes biologiquement des homo sapiens, mais notre humanité c'est-à-dire la dignité humaine est au-delà de la stricte biologie. L'éducation construit donc notre humanité, elle se transmet, or le propre de l'éducation est de transmettre une culture qui est celle des prédécesseurs. Mais selon Kant l'homme n'a pas encore pleinement accompli son humanité, c'est ce qu'apprend le spectacle du monde. Comment dans ce cadre améliorer l'humanité ? En améliorant l'éducation des hommes; dès lors Kant se demande comment améliorer l'éducation? En effet si «l'homme ne peut devenir homme que par l'éducation» alors « L'éducation est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être posé à l'homme». Pourquoi le plus grand et le plus difficile ? Le plus grand, car il s'agit de l'accomplissement des dispositions naturelles de l'homme c'est-à-dire de sa finalité, comment ne pas voir l'ambition démesurée que recèle ce problème: il s'agit de façonner l'humanité; le plus difficile, parce que sa résolution est entravée par le fait que les hommes ayant besoin d'un maître pour les guider vers ce but ne peuvent que le trouver parmi eux.

Des hommes imparfaits éduquant d'autres hommes, le progrès ne pourra être que très lent. Or pour Kant « on ne doit pas élever les enfants d'après l'état présent de l'espèce humaine, mais d'après un état meilleur, possible dans l'avenir, c'est-à-dire d'après l'idée de l'humanité et de son entière destination ». Autrement dit cela donne : pour améliorer les hommes, il faut améliorer l'éducation et pour améliorer l'éducation il faut des hommes meilleurs ! Comment sortir de ce cercle ? Pour cela il faut avoir au moins une idée de ce qu'est ce meilleur état de l'humanité. C'est à la position de ce problème que Kant s'attache dans ce texte tout en cherchant les moyens de sa résolution, et dans la mesure où ce problème est encore le nôtre il nous faudra envisager la pertinence de la solution kantienne qui est étroitement liée à la manière dont il pose le problème, que l'on peut formuler ainsi : si l'homme n'est que ce que l'éducation fait de lui et si il y a idéalement une bonne éducation apte à développer les dispositions naturelles de l'homme, ne court-on pas le risque de tendre vers une uniformisation ?

I. La position du problème

« L'homme ne peut devenir homme que par l'éducation. Il n'est que ce que l'éducation fait de lui.». Tel est le point de départ du problème. L'humanité de l'homme n'est pas donnée, mais est à construire. Nous ne naissons pas humains, les seules dispositions biologiques ne suffisent pas.

Chaque homme n'est que ce que l'éducation fait de lui, car la caractéristique de l'homme c'est d'avoir à construire une humanité qui n'est pas donnée naturellement, or si nous ne sommes que le produit de notre éducation, celle-ci étant opérée par des hommes eux-mêmes éduqués imparfaitement, nous ne pouvons alors être de bons maîtres nous-mêmes quand vient notre tour d'être éducateurs. De sorte que les progrès de l'éducation ne peuvent être que très lents et difficiles. En effet qu'est-ce que l'éducation ? c'est la transmission d'une culture au sens large que Kant définit par la discipline et l'instruction. Éduquer c'est donc enseigner, transmettre des savoirs et des règles. On voit dès lors que la culture véhicule des manières de vivres, des interdits, des valeurs c'est-à-dire une tradition, l'éducation est donc foncièrement répétitive conservatrice. Ainsi l'homme a-t-il besoin d'éducation. La littérature compte quelques exemples d'enfants sauvages et quelles que soient les discussions que ces exemples puissent susciter, ils montrent tous que sans éducation un homme ne peut accomplir pleinement ses dispositions et devenir pleinement un homme. La conscience de soi, le langage, la raison, qui caractérisent un homme, s'acquièrent. C'est d'ailleurs une spécificité humaine, car les autres espèces possèdent naturellement les schémas de comportements innés sans pour cela avoir besoin de les apprendre, et quand il y a apprentissage cela demeure rudimentaire. Une araignée n'apprend pas à tisser une toile, un castor n'apprend pas à construire un barrage, les grands mammifères n'apprennent même pas à marcher, un chien n'apprend pas à aboyer… De sorte que l'homme ne naît pas homme, mais le devient grâce à l'acquisition d'une culture, par éducation. Mais il faut situer la fonction de l'éducation sur deux niveaux : celui de l'individu et celui de l'espèce; en effet, si l'individu ne devient un homme que par l'éducation cela est aussi vrai de l'humanité en son ensemble, l'humanité est en devenir, nous avons collectivement à accomplir pleinement notre humanité génération après génération. «L'homme ne peut devenir homme que par l'éducation » en même temps qu'elle signe un constat au niveau de l'individu, cette phrase assigne une tâche historique à l'humanité : l'humanité est en devenir, elle se construit elle-même.

Cette caractéristique de notre espèce montre que la nature a procédé comme si elle assignait à l'homme la finalité de tirer de lui-même, peu à peu et avec effort, toutes les qualités naturelles qu'elle y a mises à l'état de dispositions et de potentialités. Tout se passe comme si la nature avait assigné cette tâche à l'homme alors que les autres espèces n'auraient qu'à être et se perpétuer. L'homme a une histoire, pas les animaux. Pour Kant le processus d'hominisation n'est pas achevé et l'homme doit prendre le relais de la nature. Dans ce cadre cette tâche se révèle particulièrement ardue. Une bonne éducation suppose un bon maître c'est-à-dire un maître qui soit déjà parvenu lui-même au stade final ou au moins supérieur. Puisque pour améliorer les hommes il faut améliorer l'éducation et que l'éducation est opérée par un homme qui n'est que le résultat d'une éducation imparfaite, on est condamné à n'avancer que très lentement. Pour faire un homme achevé, il faudrait un homme achevé. Un être inachevé produit, ne peut que produire, des êtres inachevés. Les progrès seront d'autant plus lents que les éducateurs sont moins parfaits, comment progresser et améliorer l'éducation ?

II. Les solutions du problème

À ce problème Kant tente de proposer une solution. La solution idéale serait d'être éduqué par un être d'une nature supérieure. En quoi serait-ce la solution? Ce serait la solution parfaite, car l'éducateur en question aurait une idée précise du but à atteindre, il serait ainsi possible de connaître le but final de l'éducation alors qu'en l'état actuel on ne peut que l'inférer de l'observation des hommes et ainsi avancer comme à l'aveuglette. On ne sait pas vraiment dans quelle direction il faut aller. En l'état actuel des choses, parce que l'éducation aujourd'hui demeure partielle, incomplète, nous n'avons qu'une vague idée de « jusqu'où vont les dispositions naturelles de l'homme».

Cette première hypothèse ne peut en aucun cas être envisagée sérieusement, mais elle a dans ce texte deux fonctions. D'abord elle sert à montrer la difficulté du problème : pour bien éduquer les hommes, il faudrait ne pas la confier à des hommes, mais à un être d'une nature supérieure. Ici les expériences menées sur les chimpanzés et en particulier celle sur Washoe effectuée par A & B Gardner reprise par R. Fouts pourraient éclairer le point de vue kantien sur l'éducation par un être d'une nature supérieure. En effet l'homme peut être considéré comme un être d'une nature supérieure par rapport au singe ainsi quand il prend en charge son éducation parvient-il à des résultats spectaculaires, dont les singes livrés à eux-mêmes sont bien incapables, l'éducation délivrée à Washoe aura permis de développer les dispositions naturelles qu'elle possédait et qui sans cette éducation serait demeurées insoupçonnées. Il y a bien une analogie ici : les éducateurs humains sont bien par rapport à Washoe comme un être supérieur le serait par rapport à l'homme, connaissant les potentialités et les buts à atteindre il peut mettre en place les moyens d'y parvenir. Ensuite, et c'est la deuxième fonction, cette hypothèse improbable sert à indiquer la voie de la solution : faute d'un être d'une nature supérieure immédiatement disponible, nous ne pouvons que confier l'éducation des hommes à des hommes, donc à des êtres de même nature : les grands hommes.

En quoi consiste cette solution ? Il ne s'agit sans doute pas de confier l'éducation aux meilleurs d'entre les hommes, mais plutôt de demander à ceux qui gouvernent et décident, d'enfin se préoccuper de l'éducation, car il faut se rappeler qu'à l'époque où écrit Kant (autour de 1780), il n'y a pratiquement pas de système éducatif, la masse des hommes ne peut bénéficier d'une éducation développée. Ce que Kant vise donc c'est la sensibilisation des élites gouvernantes à la nécessité d'une éducation pour la masse des hommes. Ce qu'il vise c'est une mobilisation des puissants. Ce n'est pas une solution idéale, car d'abord elle ne va pas de soi et ensuite elle est loin d'être aussi parfaite que la première. En effet le spectacle du monde montre que les grands ne s'en préoccupent guère, ce qui tendrait à montrer leur imperfection même. Ainsi, à la solution absolue, un maître d'une nature supérieure, se substitue une solution relative. Les grands hommes, les esprits éclairés sont préoccupés d'eux-mêmes et semblent jaloux de leur savoir ainsi que de la supériorité que cela leur donne sur le commun des mortels. Notons cependant que cette solution n'est pas impossible, elle est expérimentable, et Kant semble regretter amèrement que cette expérience ne soit pas à l'ordre du jour. Cependant on peut voir que d'une certaine manière ce projet des Lumières n'est pas resté vain puisque l'éducation s'est considérablement développée et est devenue un enjeu majeur et une préoccupation centrale aujourd'hui.

III. L'intérêt philosophique

Dans ce texte on peut déceler un paradoxe : Kant propose de trouver des maîtres pour pouvoir devenir majeur c'est-à-dire se passer de tutelle donc de maître et devenir autonome. L'intérêt philosophique de ce texte consiste avant tout à souligner l'importance de l'éducation pour l'homme. Ce faisant, il offre une conception de l'homme comme être en devenir, mais dont le devenir, s'il est inscrit en lui à l'état de disposition naturelle, ne s'actualise que par son travail, dans l'histoire. L'homme construit son devenir donc se construit dans l'histoire en fonction des ses dispositions initiales. Tout n'est pas possible, il y a une fin pour l'homme en l'homme.

Pour Kant l'homme est un être inachevé, mais cet inachèvement n'est pas irrémédiable. Il correspond en même temps à l'imposition d'une tâche pour l'homme : accomplir ce que la nature n'a laissé qu'à l'état de disposition. L'homme ne devient homme que par ses propres efforts, de sorte que chacun s'inscrivant dans la longue chaîne des générations, travaille pour les générations suivantes. Ce qui est donc en jeu ici c'est la finalité de l'homme. Il y a une fin qui est un idéal. Cette finalité est l'autonomie c'est le projet même des lumières : l'éducation réside dans la diffusion des connaissances pour accéder à une émancipation et sortir de
l'obscurantisme et donc de la tutelle des autorités religieuses et politiques, il faut sortir de la minorité. Cependant Kant ajoute une dimension, car les lumières se concentrent sur ce qu'il appellerait l'instruction or l'autonomie passe aussi par la discipline i.e. l'incorporation de règles qui soumettent nos penchants naturels : être majeurs ou autonome, c'est suivre des lois. Quel est cet idéal ? Ce texte ne le dit pas, mais l'anthropologie et la philosophie kantienne sont censées le découvrir à travers une analyse des facultés de l'homme. Cependant il peut se traduire par un mot: l'autonomie. Mais peu importe en fait ce qu'il est ce qui est important c'est l'affirmation de cet idéal. Cette affirmation aujourd'hui nous paraît, en tant que telle et indépendamment de son contenu, difficilement acceptable, dans la mesure où il semble prescrire une certaine uniformité à une époque où la diversité et la différence sont des valeurs.

Ce que propose Kant n'est rien moins qu'un arrachement à sa propre tradition à sa propre culture. Il s'agit pour les éducateurs de rompre avec leur culture d'instaurer une rupture dans la tradition. La tradition c'est la continuité et la répétition, au nom de l'autorité des anciens, du passé: « On a toujours fait comme ça et avant c'était mieux». On voit l'effort que demande Kant, il nous demande de sacrifier l'efficacité immédiate des principes éducatifs, pour une entreprise dont l'accomplissement est très éloigné et dont nous n'avons rien à attendre pour nous, sans compter qu'il nous faut admettre que nos traditions c'est-à-dire nos valeurs sont néfastes. Kant est un philosophe des lumières pour lequel l'autorité de la tradition est un des pires maux de l'humanité. On fait ceci ou cela parce que ça se fait. Or ce qui est n'est jamais une norme pour ce qui doit être. Le monde tel qu'il est est corrompu, mauvais, et éduquer les enfants en vue de ce monde mauvais c'est ce condamner à ne pas améliorer les choses, mais à les reproduire; pour rompre le cycle il faut voir plus loin : plus loin c'est l'accomplissement des dispositions de l'humanité une amélioration de l'homme dont nous sommes fort éloignés. Pour Kant aujourd'hui on avance à l'aveuglette, sans but, donc on éduque en fonction des repères que nous fournit notre société. Pour sortir de là il faut donc avoir une idée de ce qu'est réellement l'humanité qui serve d'idéal et de but.

Mais cette idée peut nous paraître dangereuse, même si pour Kant ce n'est que positif et généreux. Aujourd'hui on sait ou cela peut mener ! Qu'est-ce que l'idée de l'humanité et de son entière destination? Pour améliorer l'humanité il faut dit Kant disposer d'une idée du but à atteindre. Cette idée, qui est un idéal, risquerait de correspondre à l'imposition d'un modèle unique d'humanité. Or aujourd'hui nous pensons que par delà les conflits que suscite la diversité, celle-ci constitue une richesse. Ce constat s'effectue au moment où nous devenons sensibles à la disparition des cultures minoritaires face à une culture globale dominante. Cela est ressenti comme une perte pour l'humanité dans son ensemble. Malgré tout il faut être attentif à ce que propose Kant. Certes la culture à laquelle il appartient est corrompue et ne saurait fournir un modèle, mais indéniablement c'est malgré tout celle-ci qui est aussi celle des Lumières qui est la plus avancée pour lui. L'universalisme kantien ne serait-il pas un ethnocentrisme ? L'idée d'améliorer l'humanité est en elle-même dangereuse, car elle suppose un idéal humain qui même s'il est généreux peut-être soit dévoyé, soit excluant pour ceux qui n'y correspondraient pas.

Conclusion

Dans une certaine mesure l'histoire a donné raison à Kant, car depuis la fin du dix-huitième siècle l'éducation est devenue une des préoccupations centrales de l'humanité dans les pays développés elle s'est considérablement accrue et de grands organismes internationaux, tels que l'UNESCO, la promeuvent pour l'ensemble de la planète. L'enjeu consistant à y voir une source d'émancipation pour les hommes, dans la filiation du projet des Lumières et de la Révolution française.

Mais faut-il voir là l'accomplissement de la destination humaine au sens où l'entendait Kant ? L'universalisme de Kant se heurte cependant aujourd'hui aux revendications identitaires liées aux appartenances culturelles : le projet kantien semble revenir à considérer les particularismes culturels comme les signes d'une défaillance éducative : si l'on savait comment éduquer les hommes conformément aux finalités naturelles alors s'en seraient finies des variations culturelles: celles-ci s'expliquant par le fait que chaque éducation ne parvient qu'à développer certaines facultés et donc demeurant très partielles. Il semble que l'universalisme kantien soit abandonné au profit d'une valorisation de la diversité et de son corrélat, la tolérance sans que l'on sache encore s'il faut le regretter ou s'en réjouir.