Fénelon, Lettre à l'Académie: Modernes et anciens

Commentaire composé synthétique.

Dernière mise à jour : 12/11/2022 • Proposé par: objectifbac (élève)

Texte étudié

Il est naturel que les modernes, qui ont beaucoup d'élégance et de tours ingénieux, se flattent de surpasser les anciens, qui n'ont que la simple nature. Mais je demande la permission de faire ici une espèce d'apologue. Les inventeurs de l'architecture qu'on nomme gothique, et qui est, dit-on, celle des Arabes, crurent sans doute avoir surpassé les architectes grecs. Un édifice grec n'a aucun ornement qui ne serve qu'à orner l'ouvrage ; les pièces nécessaires pour le soutenir, ou pour le mettre à couvert, comme les colonnes et la corniche, se tournent seulement en grâce par leurs proportions. Tout est simple, tout est mesuré, tout est borné à l'usage. On n'y voit ni hardiesse, ni caprice qui impose aux yeux. Les proportions sont si justes, que rien ne paraît fort grand, quoique tout le soit : tout est borné à contenter la vraie raison. Au contraire, l'architecte gothique élève sur des piliers très minces une voûte immense qui monte jusqu'aux nues. On croit que tout va tomber, mais tout dure pendant bien des siècles. Tout est plein de fenêtres, de roses et de pointes ; la pierre semble découpée, comme du carton : tout est à jour, tout est en l'air. N'est-il pas naturel que les premiers architectes gothiques se soient flattés d'avoir surpassé par leur vain raffinement la simplicité grecque ? Changez seulement les noms ; mettez les poètes et les orateurs en la place des architectes. Lucain devait naturellement croire qu'il était plus grand que Virgile. Sénèque le tragique pouvait s'imaginer qu'il brillait bien plus que Sophocle ; le Tasse a pu espérer de laisser derrière lui Virgile et Homère. Ces auteurs se seraient trompés en pensant ainsi : les plus excellents auteurs de nos jours doivent craindre de se tromper de même. Je n'ai garde de vouloir juger en parlant ainsi ; je propose seulement aux hommes qui ornent notre siècles de ne mépriser point ceux que tant de siècles ont admirés. Je ne vante point les anciens comme des modèles sans imperfection ; je ne veux point ôter à personne l'espérance de les vaincre ; je souhaite au contraire de voir les modernes victorieux par l'étude des anciens mêmes qu'ils auront vaincus.

Fénelon, Lettre à l'Académie

Fénelon fut le précepteur des petits-fils de Louis XIV. Son œuvre majeure, Les Aventures de Télémaque, était destinée à leur éducation. Le passage que nous étudions est un extrait d’une lettre adressée à l’Académie en 1714. Il traite de la querelle des Anciens et des Modernes. Après avoir montré comment Fénelon évoque le classicisme, nous verrons quel est son point de vue.

I. Bilan du classicisme

Fénelon fait le bilan du classicisme. Sa lettre est écrite en 1714, ce qui correspond à la fin de cette école. Il résume sa doctrine en trois mots clés : « simple ... mesuré … borné à l’usage » Il se demande si le classicisme correspond toujours à ses trois mots, et si, après cette période, il va survivre.

De plus, il compare les Anciens et les Modernes. Il utilise pour cela une "espèce d’apologue", d’un autre art, l’architecture, et d’une autre époque, grecque et gothique. Il montre que tout a son utilité dans l’architecture grecque, qui représente les Anciens. Au contraire, l’architecture gothique s’intéresse à la performance : elle symbolise les Modernes.

Enfin, il se demande si toute innovation est forcément meilleure que ce qui la précède. En effet, il commence son texte par une affirmation : "Il est naturel que les modernes (…) se flattent d’avoir surpasser les anciens", qu’il reprend à la fin sous forme interrogative : "N’est-il pas naturel que les premiers architectes gothiques se soient flattés d’avoir surpassé (…) la simplicité grecque ?" . Il montre ainsi qu’il doute de la réponse et soumet cette réflexion à ses lecteurs.

II. Un point de vue nuancé

Fénelon exprime son point de vue sur cette question de querelle de façon très discrète. L’apologue lui permet de faire un raisonnement par analogie entre architecture et littérature sans mentionner les auteurs concernés.

Fénelon adopte, et l’on voit bien là son rôle de précepteur, une attitude pédagogique vis-à-vis de ces lecteurs. Il illustre ces propos par un apologue, il utilise l’injonctif : "Changez" et est très nuancé : "je propose seulement". Il est neutre.

Cet extrait ce termine par l’évocation de la victoire des Modernes "je souhaite (…) de voir les modernes victorieux". Il montre ainsi qu’il a confiance en l’avenir, car le temps est victorieux de toute chose.

Conclusion

Fénelon, intervenant à la fin de la période classique, dresse le bilan du classicisme sans prendre parti pour les Anciens

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