Introduction
Giraudoux est un auteur du XXè siècle. Diplomate et spécialiste des relations franco-allemandes, il se rend rapidement compte de la menace hitlérienne. Il véhicule le message de la tragédie à travers la relecture d'un célèbre mythe grec : Electre. Il met également en avant le complexe d'Electre, c'est-à-dire la version féminine du complexe d'Œdipe. En effet, celle-ci aime son père Agamemnon, qui fut assassiné par sa mère et son amant il y a 20 ans. Electre voue en retour une haine sans borne à sa mère Clytemnestre. Dans la scène 8 de l'acte I, on assiste aux retrouvailles d'Electre et de son frère. Il s'agit d'un passage lyrique qui permet de mieux comprendre la psychologie d'Electre. Nous étudierons d'abord ses relations avec son frère, puis avec ses parents.
I. Les retrouvailles
Des relations plus que fraternelles
Les relations qu'ils entretiennent, ou du moins celles qu'Electre souhaiterait, semblent être plus que fraternelles. "O joie..." s'exclame Electre. Pour elle, Oreste représente l'être idéal : elle associe en fait ce frère à son père.
Electre recrée Oreste. Il se transforme en une statue qu'elle modèle. Elle ne cite que certains organes : la main, l'oreille, la poitrine, la bouche. Ceux-ci représentent en fait tout ce dont Electre a besoin pour assouvir sa soif de vengeance : une main pour tuer, ... Elle cherche à créer la machine parfaite pour tuer sa mère et son amant.
Electre tente de s'approprier Oreste. Elle veut le détacher de l'influence de sa mère : "te laver d'elle". Oreste est plus objectif qu'elle, alors qu'il a plus de choses à lui reprocher : il a été exilé et Clytemnestre a peut-être tenté de le tuer quand il était un bébé. Cependant, il est plus indulgent. Electre, au contraire, est intransigeante.
Des retrouvailles douloureuses
Les retrouvailles sont douloureuses. Tout d'abord, en ce qui concerne Oreste, il se sent sous la domination d'Electre. Il le dit lui-même : "Tu m'étouffes". De même que pour Electre. "Ta parole et ton regard m'atteignent trop durement, me blessent"
Electre domine en effet son frère. Elle parle de lui comme s'il n'était pas là, c'est-à-dire à la 3è personne du singulier. De plus, elle monopolise la parole. Alors qu'Oreste a "tout à lui dire", elle lui répond : "Tais-toi". Au lieu d'échanger leurs expériences (ils ne se sont pas vus depuis 20 ans), elle ne pense qu'à leur but commun, c'est-à-dire le crime.
Electre tente déjà de convaincre Oreste qu'il doit commettre le crime : "sa maternité n'est qu'une complicité qui nous lie". La complicité fait référence à ce crime. Tous deux sont liés par le sang, c'est pourquoi ils doivent venger la même cause. Il s'agit d'une référence au mythe des Atrides en général, où chaque génération venge la précédente.
Pour finir, ce passage laisse entendre la fin de la pièce : "te rendre orphelin d'elle". Electre va l'obliger à commettre le crime.
II. Le mythe des Atrides
a) L'amour du père
Electre éprouve de l'obsession pour son père, comme le montre l'anaphore "j'aime". Il s'agit d'un sentiment amoureux plutôt qu'une relation qu'il existe entre une fille et son père.
Elle lui attribue sa naissance. "son cerne de futur père", qui décrit la fatigue d'une mère avant l'accouchement. Elle transpose les caractéristiques de la femme enceinte à son père. Il passe pour celui qui l'a mise au monde. "cette surprise qui remua" qui s'apparente aux mouvements d'un enfant dans le ventre de sa mère. Quant à la "maigreur de neuf mois", elle correspond à l'épuisement dû à la création d'Electre. Elle déplace les souffrances de la mère sur le père. D'autre part, elle fait croire qu'il est le seul à s'être réjoui de sa naissance : "le sourire paternel".
Elle accepte, et même admire, chez son père, ce qu'elle reproche à sa mère. En effet, elle n'accepte pas que celle-ci est un amant, alors qu'elle nomme des "consolations", les adultères de son père.
b) La haine de la mère
Au début et à la fin du passage, les termes "mère" et "haine" sont associés. Oreste lui demande pourquoi elle hait à un tel point sa mère. Elle ne répond pas directement : elle dit seulement qu'elle aime son père. Cela signifie qu'elle considère sa mère comme une rivale. Il s'agit du complexe d'Electre.
Elle emploie des termes très dépréciatifs pour sa mère : "c'est la jalousie et la peur". En fait, elle plaque sur sa mère les sentiments qu'elle-même éprouve à son égard.
Conclusion
Dans cette scène, il n'y a qu'une seule réplique du mendiant. Il est omniscient. Il est le témoin de la scène, au même titre que les spectateurs. Son analyse lui permet d'anticiper la suite.
Ce passage est révélateur du complexe d'Electre et de ses intentions. Il s'agit d'une scène de conditionnement : elle empêche Oreste de parler, de bouger ... Elle l'isole des autres informations qu'il pourrait avoir, et de sa mère en conséquence. Elle le marginalise, afin de le pousser au crime. Elle réinvente sa naissance, ce qu'Oreste ne peut pas contester, puisqu'il n'était pas né. Le tempérament d'Electre déteint sur son frère. Ce passage justifie donc le fait que ce soit Oreste qui commette le crime. En effet, Giraudoux ne peut plus utiliser l'argument de la femme faible, celui des écrivains grecs. Il crée donc une raison psychologique.