La liberté consiste-t-elle à faire ce que l'on veut ?

Dissertation entièrement rédigée en trois parties :
I. La liberté, synthèse de l’entendement et de la volonté,
II. Il y a des nécessités inhérentes à la liberté et à la volonté,
III. La liberté suprême est de suivre la morale

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: romaing (élève)

Ce que je veux, c'est être libre et faire ce qui me plaît » explique Carmen dans l’opéra de Georges Bizet. Cette affirmation qui pourrait sembler évidente montre le lien entre liberté, volonté et faire. Or le fait de faire, qui comporte en son sein une action, pourrait tout à fait se voir comme une contrainte par rapport à la volonté : on ne fait pas toujours ce que l’on veut, ce que l’on désire. La volonté se présente en effet comme un désir. A ces deux termes s’adjoint celui de la liberté. En apparence, la traduction empirique de la liberté, qui est une conception purement spirituelle, est un acte quelconque qui n’est pas entravé par quelque chose ou par quelqu’un. Encore faut-il voir que la réalisation de cet acte est commandée par un vouloir. Mais le problème se pose : la volonté peut-elle réaliser un acte libre, quel que soit le type de liberté : liberté métaphysique, liberté politique, liberté spirituelle, liberté humaine mais aussi liberté de l’animal ou autre ? La liberté est-elle liée au vouloir in fine et seulement au vouloir ou à d’autres actes de pensées ? Liberté et volonté sont-elles réellement indissociables l’une de l’autre pour pouvoir fonctionner ? La liberté consiste-t-elle à faire ce que l’on veut ?

I. La liberté, synthèse de l’entendement et de la volonté

La première définition qui nous vient à l’esprit est celle que La liberté qui consiste à faire ce que l’on veut, est une liberté sans contrainte mais irréfléchie. Cette liberté existe en effet, elle se retrouve chez le barbare. C’est une liberté où les actes de volitions de l’homme, du barbare, sont des actes qui sont totalement irréfléchis. Le barbare ne va pas penser ses actes, il va les réaliser par le biais de son instinct. Cette liberté ne peut décemment pas se définir comme telle. En effet, la première définition de la liberté est celle d’un acte de pensée, libre. Cet acte de pensée est le vouloir. Le barbare va vouloir se nourrir : pour cela, il va tuer un animal pour le manger. Il est libre de tuer un animal pour le manger, mais ne pense pas ce qu’il fait. Le fait de tuer un animal va lui être dicté par son instinct uniquement. Il « fait ce qu’il veut », mais le fait par la nécessité de la conservation de son espèce, qui est un acte instinctif chez lui. C’est un acte irréfléchi, donc non libre. Pour Kant, cette liberté est la liberté dite « inférieure », et il ne peut s’agir véritablement d’une liberté qui « consiste », c’est-à-dire qui a pour essence en faire ce qu’il veut. La liberté consiste donc à faire ce que l’on veut de manière impulsive. On ne peut appeler libre une situation où la volonté libre est absente, ce qui semblerait lier indéfectiblement liberté et volonté.

Pourtant, la liberté consiste dans un acte de vouloir qui doit être nécessairement guidé par la raison. La liberté est un acte réfléchi qui consiste à faire ce que l’on veut au sens de faire comme déterminer quelque chose dans sa manière d’être. Alors il semble possible de voir dans les stoïciens des personnes chez qui la liberté consiste à faire ce que l’on veut. Pourtant, le but de la méthode stoïcienne est de parvenir à une liberté où tout ne dépend que de soi. C’est ce que développe Epictète au paragraphe quatorze de son Manuel : « Le maître de chacun, c’est celui qui a pouvoir sur ce que chacun veut ou ne veut pas ». Il devient nécessaire pour être son propre maître de faire en sorte que tout ne dépende que de nous. La liberté stoïcienne se présente alors plutôt comme un apprentissage en vue d’une liberté a posteriori que comme une liberté donnée a priori. Et cet apprentissage contraint la volonté au sens général – Wille en allemand – pour le profit d’une volonté au sens du choix libre – Willkür en allemand, langue qui montre bien la distinction qu’il existe entre les deux états. Dans une conversation pour prendre un exemple d’Epictète, il vaut mieux garder le silence pour éviter de s’engager. C’est donc contraindre notre propre volonté de donner un avis sur un sujet pour préserver sa volonté comme choix libre et éviter d’avoir la possibilité de manquer à sa parole par la suite. Dans ce cas-là, la liberté consiste alors plus à faire ce que l’on doit pour être libre, plutôt qu’à faire ce que l’on veut pour être libre. La contrainte de la volonté ne peut donc apparaître comme une solution pour être libre, et la liberté ne consiste pas à faire ce que l’on veut, mais à faire ce que l’on doit, c'est-à-dire accomplir sa fonction propre, sa nature – être à sa place dans l’ordre naturel et s’accorder avec le rythme de la nature – quand bien même c’est en vue d’une liberté supérieure et d’une volonté supérieure. Le but existe, mais les moyens d’y parvenir ne rendent pas libre le choix et les volontés pour autant.

Il s’agit alors de trouver une liberté, acte réfléchi, qui consiste dans une volonté comme choix libre mais qui n’est pas contrainte. Le vouloir se présente comme un choix, libre, entre deux objets. Lorsqu’on désire « faire ce que l’on veut », on est libre de choisir soit un objet, soit un autre, lorsqu’on nous en présente deux. Mais si l’on ne sait pas choisir, on peut choisir au hasard ; rien, absolument rien ne peut nous déterminer entre l’un et l’autre. Mais dans ce cas, le choix n’a pas d’objet. On peut alors parler de liberté d’indifférence. C’est le cas de l’âne de Buridan qui doit choisir entre le boire et le manger, et qui ne sait pas choisir. Ici, il y a un double problème, une double impasse. Si la volonté n’est ici pas du tout contrainte, elle n’est pas le moyen de réaliser le choix, elle est donc absente, et dans ce cas de figure, la liberté ne peut consister à faire ce que l’on veut, étant donné le fait qu’il n’existe pas de vouloir. Si la liberté ne peut compter sur la volonté à l’heure du choix, alors elle se nie elle-même. La non-existence de la volonté et la non-existence du « faire », c’est-à-dire de l’acte, nient la liberté en elle-même. Si son essence, ce en quoi elle « consiste » n’existe plus, alors elle-même n’a plus d’existence. La liberté ne consiste pas à « faire ce que l’on veut », et elle ne consiste même pas à « faire » tout court. La liberté d’indifférence est le plus bas degré de la liberté, explique Descartes dans sa Lettre au Père Mesland du 9 février 1645, c’est ce qu’on pourrait appeler une sorte de « liberté servile ».

La liberté est pour Descartes la synthèse de l’entendement et de la volonté. Si la volonté chancelle, il ne peut y avoir de liberté, il est nécessaire alors qu’elle existe et qu’elle soit forte. Mais elle doit aussi tenir compte de l’existence de l’entendement.

II. Il y a des nécessités inhérentes à la liberté et à la volonté

Dans la réalité, il ne peut y avoir d’indifférence totale car le choix se traduit dans l’action même. La liberté suppose un choix, une volonté, une décision, c'est-à-dire un acte réfléchi de mon entendement – il faut connaître ce à qu’on veut –, lié à ma volonté. Une des formes de la liberté est le libre arbitre. Ce n’est pas la seule, mais c’est une de ses formes. Le libre arbitre pour Descartes suppose un choix que ce libre arbitre guide : on peut faire une chose, ou une autre, ou ne pas la faire. Mais la volonté de ne pas la faire est un choix en tant que tel, c’est le choix de ne pas réaliser une des actions proposées. Il ressort de là une dimension paradoxale du choix libre : on a toujours le choix, et pourtant on ne peut pas choisir de ne pas avoir le choix… Les actes et les pensées sont déterminés par un libre choix et mon libre arbitre est en devoir d’être interrogé sur ma décision. Le libre arbitre se pose alors comme un pouvoir fier : j’ai le choix d’aller à droite dans la rue, ou à gauche, ou de rester à ma place, et de part mon libre arbitre, je peux aller à droite. C’est le pouvoir de réaliser une action. Mais le problème de cette définition de la liberté est que la liberté semble plus passer pour un pouvoir faire que pour un vouloir faire. En effet, la liberté dans le cas du libre-arbitre consiste plus à faire ce que l’on peut, que faire ce que l’on veut, si le libre arbitre est interrogé sur ma décision, il va déterminer si je peux, et non si je veux. Or, être libre, est-ce vouloir faire ce que l’on veut, ou vouloir faire ce que l’on peut ? La question mérite d’être posée car pour Descartes, l’homme a une volonté infinie, mais a une puissance finie. La liberté, pour permettre de faire tout ce que l’on veut, devrait découler d’un paramètre infini, et pour Descartes, seule la volonté chez l’homme est infinie, la puissance ne l’est pas. Il nous est alors nécessaire d’interroger : existe-t-il une puissance infinie liée à une volonté infinie ? On peut le penser en la personne de Dieu.

Le problème de l’homme est qu’il a une volonté infinie, mais un entendement, et surtout une puissance finis. Au contraire de Dieu qui a une puissance, une volonté et un entendement infinis. Or, la vraie liberté, l’essence de la liberté consiste autant en la volonté de faire l’acte qu’en sa réalisation. La liberté consiste à faire ce que l’on veut, et à le réaliser. Être libre, ce n’est bien pas faire ce que l’on peut, mais vouloir faire ce que l’on veut, en étant capable de le réaliser. Je peux vouloir construire un bâtiment, c’est ma volonté au sens général – Wille – mais si je n’ai pas les matériaux adéquats, il ne sert à rien que je veuille le construire. Ma vraie liberté va, semble-t-il, consister en vouloir choisir quelque chose que je peux réaliser, ce sera cela la « vraie volonté », qui prendra le sens de Willkür à ce moment-là. La volonté semble devoir être bornée par la puissance d’agir, par une décision juste et adaptée. Seul Dieu a en lui la puissance infinie. Mais alors étant donné le fait que Dieu ne va pas à avoir à borner sa volonté, la liberté de Dieu consiste-t-elle à faire ce qu’Il veut ?

Dieu, au moment où il a créé le monde a, semble-t-il, eu la liberté de le créer selon la propre volonté, selon ses désirs et ses aspirations. Pourtant, au moment où il choisit le meilleur des mondes possibles, était-il libre de choisir un autre monde ? Autrement dit : la liberté de Dieu consistait-elle à faire ce qu’il voulait ? Avait-il la puissance d’agir autrement que par créer le monde qu’il a finalement créé ? Aurait-il pu créer un monde sans nourriture pour l’homme par exemple ? Il paraît évident que non, c’est ce que Leibniz développe dans son texte La Cause de Dieu. En effet, il y a certaines contradictions que Dieu aurait été obligé de définir : Leibniz explique que Dieu ne pouvait créer un monde où les objets et les corps seraient à la fois pesants et flottants : Dieu est soumis au principe de nécessité métaphysique. Des corps à la fois pesants et flottants ne sont nécessairement pas compatibles dans le même monde de par leurs propriétés propres. Il n’est donc pas si libre de faire ce qu’il veut. Il est limité par la nécessité. D’autre part, Dieu aurait pu créer un monde où les méchants seraient récompensés et obtiendraient le salut, et les justes punis et damnés. Mais dans ce cas, il ne le fait pas pour une simple raison : sa volonté est éclairée par la perfection de son entendement infini. Ainsi, il ne peut que choisir le meilleur des mondes possibles. La création d’un monde où le méchant est récompensé et où le juste est damné n’est pas possible car Dieu est soumis à une nécessité morale également. La volonté de Dieu a beau être infinie, tout comme sa puissance, elle ne peut passer outre les deux nécessités métaphysique et morale. La liberté de Dieu ne consiste donc pas à faire ce qu’Il veut, infiniment, mais nécessairement, ce qu’il veut au regard de ses obligations.

Il semble donc apparaître que la liberté ne peut consister à faire ce que l’on veut tout simplement, tout de go, et qu’il y a des nécessités inhérentes aux deux notions liées que sont liberté et volonté.

III. La liberté suprême est de suivre la morale

Être libre, c’est donc, quoi qu'il en soit, avoir la capacité de décider, et mettre en œuvre ce que l’on veut. Or, si être privé de liberté, c’est être privé du pouvoir de décision effective, c’est être impuissant. Ainsi a contrario, être libre, c’est être capable de mettre en pratique ses volontés, celles que l’on décide, c’est être « puissant » selon le terme employé par Spinoza dans l’Ethique. Le pouvoir agir, le pouvoir faire est la clé de tout. C’est en cela que « consiste » la liberté, c'est-à-dire que c’est en cela que ses propriétés sont. Et pour pouvoir agir, il faut posséder la connaissance – au moins partielle – de ce que l’on veut faire. Or, si la liberté est conditionnée à notre connaissance, et si notre liberté consiste à faire ce que l’on veut, c'est-à-dire à faire ce que l’on désire, pour être libre, il faut peu à peu apprendre à se connaître et à se comprendre. Il faut faire un effort de compréhension pour sortir de la servitude dans laquelle l’homme est plongé pour accéder à la liberté. Alors si l’on fait cet effort, si l’on prend conscience de ce qu’il faut faire pour devenir puissant et parvenir à faire ce que l’on veut, alors on peut espérer devenir libre. Chez Spinoza, pour arriver à ce que la liberté consiste à faire ce que l’on veut, il faut être actif, mettre en œuvre les moyens de connaissance. Plus on connaît, plus on est libre, c’est ce qu’il développe dans la Préface de la Ve partie de l’Ethique.

Par nos désirs, on devient cause de ce qui se produit en nous. Et si Spinoza définit l’impuissance comme ne pas être cause de ce qui se produit en nous, alors la puissance c’est être la cause de ce qui se produit en nous. C’est donc là qu’on trouve la puissance de l’être. Et donc sa faculté à faire ce qu’il désire. On devient donc libre par un processus. On n’est pas libre par nature, le libre arbitre est une illusion pour Spinoza. On devient libre à force d’efforts de compréhension. On fait ce que l’on veut au sens de faire comme commencer à être, devenir. La liberté consiste ici à commencer à être ce que l’on veut, par une compréhension, et par des actes qui sont libres, comme Spinoza qui afficha sur un placard à la Haye le mot ultima barabarorum pour dénoncer les autorités orangistes qui venaient de tuer Jan de Witte, Grand pensionnaire des Provinces Unies. C’est pour des actes comme celui-ci que l’on est en droit de dire que la liberté consiste à faire ce que l’on veut, avec un faire qui est un « commencer à être » et une volonté qui est la volonté du choix libre – Willkür.

On a enfin trouvé les moyens d’arriver à une liberté qui semble liée à la volonté et à une définition de ce en quoi elle consisterait. Il nous reste à nous demander si l’essence d’une liberté « suprême », d’une haute liberté peut se traduire dans ce « faire ce que l’on veut ». Si consister c’est « avoir son essence dans », pour que la liberté trouve son essence dans « faire ce que l’on veut », il est nécessaire que cette liberté soit conditionnée à la loi morale selon Kant. Si l’on prend l’exemple de l’opuscule Qu’est-ce que les Lumières ?, la vraie liberté de faire ce que l’on veut réside dans la double faculté de suivre la loi morale, en faisant un usage privé de sa raison et un usage public de sa raison, c'est-à-dire qu’il faut d’une part pour l’exemple d’un fonctionnaire qu’il est obligé de servir l’Etat et qu’il ne doit pas raisonner d’aucune manière dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, il ne peut lui désobéir – c’est faire usage privé de sa raison –, et d’autre part prendre le public à témoin en mettant au jour les fautes commises par l’Etat – c’est faire usage public de sa raison. Le désir est celui d’instruire le peuple de ce qu’on pense, c'est-à-dire en sachant, en connaissant ce que l’on pense, en ayant le désir de le publier, tout en respectant le devoir moral exigé par sa fonction de fonctionnaire par exemple de respecter l’Etat et de faire ce qu’il demande, même si c’est néfaste. Ce n’est donc pas un désir personnel, et la liberté n’est pas motivée par le désir, donc non contraire à l’impératif catégorique kantien, mais par la volonté de suivre la loi morale. La liberté « suprême » consiste à suivre cette Morale. C’est ce que Kant appelle la liberté supérieure à l’inverse du plus bas degré de la liberté pour Kant, la liberté inférieure que l’on a déjà vue. Ce n’est qu’à cette double condition que l’on peut déclarer que la liberté consiste à faire ce que l’on veut.

Conclusion

La volonté, le « faire ce que l’on veut », est une composante essentiellement voire même nécessaire de la liberté, mais pour cela il lui faut passer par plusieurs étapes essentielles, par plusieurs actes de la pensée, mais dont la volonté est toujours l’aboutissant. La liberté qui consiste à faire ce que l’on veut possède in fine un très grand degré de liberté, le plus grand degré de liberté même, car elle permet tous les possibles, et permet leur réalisation, elle permet donc de faire ce que l’on veut, de devenir ce que l’on veut autant que de réaliser ce que l’on veut.