Peut-on penser une société sans Etat ?

Dissertation entièrement rédigée en deux parties.

Dernière mise à jour : 25/08/2021 • Proposé par: jeremys (élève)

Cette question peut au premier abord paraitre choquante dans la mesure où elle insinue l’idée selon laquelle la société serait capable de vivre sans règles imposées par une autorité gouvernante supérieure. Or le mot même de « société » est tout à fait dépendant de celui d’ « Etat ». En effet, sans autorité extérieure légitime, une société ne peut exister, de même dans le sens inverse : un Etat n’a d’existence et de sens qu’avec la présence d’une société, d’un peuple à diriger ou du moins à conseiller. Cette interrogation reviendrait à poser cette question : la société peut-elle être sans Etat, est-il possible qu’elle puisse s’émanciper de l’autorité qui la gouverne et qui lui donne même son existence ? On peut affirmer que non en ce sens que la disparition de l’Etat entrainerait celle de la société : cette dernière serait remplacée par l’anarchie, un monde de non-règle qui reviendrait à remettre en place la situation des premiers hommes : celle de la loi du plus fort. L’Homme sans aucune règle ni loi se laisserait aller à ses pulsions, prenant exemple sur ses semblables. Mais l’existence d’une société est-elle forcément dépendante d’une autorité supérieure fixant les règles ? On peut effectivement penser qu’une fois émancipée, la société pourrait subsister et se comporter tel qu’elle le fait depuis des centaines et des centaines d’années, c'est-à-dire vivre de manière paisible avec ses semblables. De plus, la disparition de l’Etat entrainerait un regain de la volonté générale de vivre de manière harmonieuse : désormais sans autorité suprême qui lui dicte ce qu’il doit faire, l’Homme suivrait à la fois son intérêt particulier et la volonté générale. Il serait ainsi son propre gouverneur et égal à tout autre Homme.

I. Une société sans Etat ne peut subsister

Une société sans Etat : qui n’y a jamais pensé, au moins de façon frivole ? L’idée de disparition de l’Etat revient en effet souvent chez l’Homme, le jugeant soit injuste, soit trop stricte ou encore totalement illégitime. Si l’on peut effectivement penser une société sans Etat, il est impossible pour l’Homme de la concevoir et de la créer. Si l’on se retourne vers le passé, on peut ainsi se rendre compte que les plus grandes réussites de l’Histoire se sont faîtes avec la présence d’un Etat : l’Empire Romain en est l’un des exemples les plus flagrants. A l’opposé, on peut s’apercevoir que les modèles anarchistes n’ont jamais laissé grande trace positive dans l’Histoire. Le mot même de société renvoie toujours, directement ou indirectement à celui d’Etat. Ces deux mots ont des significations dépendantes l’une de l’autre : au même titre qu’on ne saurait imaginer un Etat sans société à gouverner, il est impossible de concevoir cette dernière sans autorité qui la gouverne. Ce serait ôter à chacun son moyen, sa raison d’existence. Ainsi, la société, peut-on le penser, totalement incapable de se débrouiller seule et perdrait son statut même de société : ce ne serait qu’un peuple, un groupe d’individus qui chercherait à survivre au milieu de ses semblables. De cette manière, plus rien ne pousse l’Homme à respecter les droits d’autrui, il n’est plus l’objet d’aucune contrainte extérieure et cherche donc avant tout à satisfaire son intérêt particulier, en accumulant par exemple ses richesses de façon illégitime aux yeux des autres. Peu à peu, on a donc une extinction de l’intérêt général : l’Homme ne fait plus rien pour les autres mais au contraire effectue tous ses actes en fonction de ses intérêts propres. Il devient égoïste et ne pense absolument plus à autrui. Désormais libre de ses actes, et ne dépendant plus de personne, l’Homme peut suivre de manière totale ses pulsions et par la même occasion empiéter sur ce qui était autrefois les droits de l’homme et du citoyen, c'est-à-dire par exemple commettre un meurtre impunément, ou, de manière encore plus grave, affirmer ma supériorité vis-à-vis d’autrui et assujettir mes semblables. Peu à peu, mon pouvoir va devenir exagéré et tout à fait totalitaire, si bien que je serai bientôt le seul à gouverner. Le peuple, aveugle et apeuré me laisse faire ce qu’il me plait, considérant initialement ma prise de pouvoir comme légitime et bienvenue. C’est ainsi que naissent souvent les pouvoirs totalitaires. Prenons l’exemple de l’Allemagne au début des années trente : le peuple allemand est désorienté, sans véritable Etat et pouvoir efficace. C’est ce qui va permettre à Hitler de prendre le pouvoir en 1933 et effectuer ses actes abominables, satisfaisant entre autre son antisémitisme. On peut en effet difficilement penser qu’il ait voulu aider le peuple allemand en mettant en place le génocide des Juifs. C’est donc ainsi qu’il est possible de se rendre compte que la suppression de l’Etat entraine presque systématiquement celle de la société, qui devient un simple groupe d’individus nécessiteux et qui peut donner suite à la mise en place d’un autre Etat injuste et illégitime moralement. On peut également remarquer le côté antithétique de cette démarche de la suppression de l’Etat : à l’origine, l’Homme souhaite obtenir plus de libertés et exercer son propre pouvoir. Or, par la suite, on peut se rendre compte que cette volonté d’émancipation est en fin de compte liberticide en ce sens qu’elle va peu à peu entrainer la suppression totale de ma liberté, entravée par l’action de mes semblables, qui, voulant satisfaire leur intérêt particulier, ne me considéreront plus et oublieront rapidement l’intérêt général. L’individualité prend ainsi la place de l’entraide et de la considération de l’autre. On a donc un retour au début de l’Histoire humaine : chacun ne pense qu’à lui, ne travaille que pour lui, satisfait à ses propres besoins et laisse dans la nécessité ceux qui en ont le plus besoin. La loi du plus fort est réinstaurée et domine désormais l’Humanité.

Nous avons donc vu qu’une société sans Etat ne saurait exister ou, du moins, subsister. Nous pouvons cependant nous rendre compte que l’Homme est initialement libre et que le pouvoir qu’exerce l’Etat sur lui est loin d’être légitime. Mais la disparition de cet Etat est-elle vraiment symbole de suppression de la société ? Nous allons désormais voir que cette question détient une autre réponse moins péremptoire.

II. Une société sans Etat se heurte à la question de la légitimité

On peut ensuite dans un second temps affirmer que l’Homme peut penser une société sans Etat. Cette réflexion est effectivement l’objet de nombreuses interrogations. C’est pour cette raison que plusieurs auteurs ont développé cette pensée avec la rédaction d’œuvres tel que Utopie de Thomas More ou encore l’épisode de l’ «Eldorado» que l’on peut lire dans Candide de Voltaire. Ces sociétés idéales sont en totale autarcie, les gens vivent en harmonie les uns avec les autres, tout en étant entourées de richesses pour l’épisode de l’ «Eldorado». Cette utopie est un exemple de société sans Etat dans lequel chacun est libre, il n’y a d’ailleurs aucune criminalité, comme le prouve le fait qu’il n’y ait ni de palais de justice ni prison. C’est de cette manière que l’on peut penser une société idéale et que peuvent naitre certains courants de pensée tels que l’anarchisme et le marxisme. Ainsi, Proudhon considère comme illégitime le pouvoir de l’Etat et considère que la société doit être capable et avoir la possibilité de se gouverner elle-même de telle manière que la présence de l’Etat devienne inutile au sein de cette société. Marx, lui, considère l’Homme comme un être initialement libre et donc qu’il ne doit être dirigé par personne d’autre qui lui-même. L’Etat n’est donc pas justifié au sein d’une société, c’est à cause de lui que l’Homme est enchainé. Mais l’Homme, habitué à une autorité supérieure, reste passif. Il critique également la religion comme faisant partie de l’Etat car cette dernière endort le peuple et l’habitue à sa douleur en lui faisant croire à une vie meilleure après la mort. La société, ainsi, se fait à son destin et supporte la douleur en silence. C’est d’ailleurs pour cela que Marx définit la religion ainsi : « la religion est l’opium du peuple ». Avec la disparition de l’Etat, l’Homme ne serait plus soumis et contraint à aucune loi et réuni en société avec ses semblables, il parviendrait à élaborer des lois que tout le monde pourrait accepter et intérioriser afin de faire siennes. Chacun pourrait également enfin satisfaire pleinement, en respectant les droits des autres, son intérêt particulier tout en collaborant à l’intérêt général. Cela reviendrait donc à restituer l’Homme d’une de ses qualités premières, à savoir la liberté. Il accomplirait ce que tant de personnes ont déjà vainement tenté, c'est-à-dire allier l’intérêt particulier et l’intérêt général de manière autonome et volontaire. Mais on peut trouver une faille à cette thèse. Effectivement, rien ni personne ne peut affirmer que certains individus ne trouveront pas certains points de la société justes et ainsi ils pourront troubler l’ordre public. De même, certaines personnes peuvent être contre ce régime et cette disparition de l’Etat. A chaque régime politique, on peut en effet remarquer de vives contestations. Les oppositions sont inévitables, même en démocratie.

Conclusion

Nous avons donc vu que ces deux thèses n’étaient pas satisfaisantes ; la première pouvant être contredite par le fait que l’Homme est initialement libre et que l’Etat vient le corrompre, l’emprisonner psychologiquement. Cette suppression de l’Etat ne serait donc qu’un juste retour des choses et une remise en ordre. La deuxième, qui consistait à affirmer qu’une société sans Etat peut être pensée, était contestable dans la mesure où aucune solution politique, y compris l’absence d’Etat, n’était satisfaisante pour tout le monde et qu’elle entrainait forcément des contestations. La solution passerait donc par la mise en place d’un système politique accordant des droits plus importants et nombreux à la société et donc par la suppression de certains pouvoirs à l’Etat. Cette suppression de certaines autorités à l’Etat devrait se faire de manière progressive de telle manière que la société s’habituerait peu à peu à la disparition de l’Etat. Elle aurait donc le temps de se préparer psychologiquement à l’absence d’une autorité supérieure qui régissait autrefois ses droits et ses actions de façon à ce qu’elle ne soit pas apeurée par sa soudaine liberté et autonomie. La construction par étape d’une nouvelle société parait donc essentielle pour le bien-être et l’équilibre des Hommes.

A la question « peut-on penser une société sans Etat ? », nous avons vu dans un premier temps que cela semblait tout à fait impossible en ce sens que l’Etat et la société sont indissociables l’un de l’autre, et ainsi que la disparition de l’Etat entrainerait obligatoirement celle de la société. Soumis à aucune règle, les Hommes ne penseraient qu’à leur intérêt particulier et oublieraient les autres, ce qui pourrait être à l’origine d’un pouvoir totalitaire. Ensuite, dans une seconde partie, nous nous somme rendus compte qu’une société pouvait exister sans Etat, par le biais des thèses anarchiste et marxiste : l’Homme est initialement libre et l’Etat s’empare de cette liberté. Le pouvoir qu’il exerce que le peuple est donc illégitime et n’a pas de raison d’être. Ces deux thèses présentant des failles, nous nous sommes enfin aperçu que la mise en place d’une société sans Etat ne serait possible que de manière progressive, de manière à ne pas apeurer l’Homme, habitué à être gouverné par quelqu’un d’autre que lui-même. La question est maintenant de savoir si la disparition de l’Etat serait véritablement quelque chose de positif et de bénéfique pour l’Homme…