Le travail dénature t-il l'homme ?

Dissertation entièrement rédigée en trois parties :
I. Le travail développe l'homme
II. Mais celui-ci peut devenir aliénant
III. Les conditions d'un travail qui nous réalise

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: darwin (élève)

Peut-on penser que le travail n'est simplement que le propre d'un être soumis à la nécessité de travailler afin de survivre ou bien que le travail contribuerait à l'accomplissement de chacun, à une libération vis à vis des contraintes extérieures et ainsi transformer l'homme ?
Au sens courant, le travail désigne une activité ayant pour but de produire quelque chose d'utile, de transformer ce que la nature nous donne déjà pour satisfaire les besoins de l'homme. Le travail est le résultat d'un effort de la conscience et de la volonté humaine, contrairement à une activité seulement animale. En développant cette conscience de ce qu'il fait, pourquoi il le fait et à quelles fins, l'homme ne se libérerait-il pas là de la contrainte même du travail ? Et par conséquent, le travail ne lui donnerait-il pas pleinement sa valeur d'homme ? C'est en accédant à son humanité que l'homme grandit, mûrit et se transforme.
L'objectif est alors de montrer comment le travail, en plus de produire des objets, des produits finis et parfois à fins commerciales, serait susceptible de produire un effet sur l'homme, d'envisager sa transformation, son évolution.
Est-ce le travail qui permettrait alors à l'homme de devenir homme ? A cette question, on peut répondre que par le travail comme source de libération, l'homme perd sa soumission à la nature et gagne son autonomie. Mais l'homme peut aussi y « perdre son âme » : le travail peut, au lieu de transformer l'homme, menacer sa propre vie, comme dans le travail forcé.
Toute personne susceptible de s'intéresser au problème pourrait comprendre que même si le travail prétend mettre l'homme dans des conditions plutôt bonnes à son épanouissement, à son accomplissement, de fait il peut aussi s'y perdre.

Le travail depuis des siècles a été conçu comme le moyen de garantir sa survie en subvenant à ses besoins manquants. Ce travail est le résultat d'un effort de la conscience et de la volonté, c'est pourquoi l'activité humaine ne peut être comparée à l'activité animale. Les besoins de l'homme ne peuvent être satisfaits par des moyens immédiats : l'homme a dû inventer, penser des conduites, des outils, des moyens pour arriver à ses fins. Ainsi on peut dire que l'homme a du s'adapter en transformant la nature, afin de combler ses besoins. Mais une fois ses besoins comblés, l'homme a vu naître d'autres besoins plus « superficiels », c'est alors un cercle sans fin qui se met en place qui aboutit à l'apparition simultanée d'une satisfaction et d'un manque. Le travail se traduit-il alors simplement par une nécessité vitale, parfois avilissante et contraignante; ou est-il au contraire le propre de l'homme ?
Le travail a d'abord une valeur morale : il oblige à l'effort et à la persévérance. Ainsi Alain pense que le travail est une éducation de la volonté. Il est aussi une éducation à la liberté : nous ne sommes libres que si nous ne subissons pas le monde, et nous ne le subissons pas si nous pouvons le modifier grâce au travail. Mais si le travail oblige à l'effort et à la persévérance, ne travaillons-nous pas au sein d'une communauté humaine pour y trouver une reconnaissance ? On peut alors souligner la spécificité du travail humain qui implique un plan et un projet défini, déjà réfléchi, qui se différencie ainsi de l'opération animale. L'homme exerce une volonté réfléchie et réalise ses buts consciemment. C'est ce que Marx explique en prenant l'exemple de l'abeille et de l'architecte. Ce dernier construit « la cellule » dans sa tête avant de la construire dans la réalité, contrairement à l'abeille. C'est parce que le comportement de l'homme obéit à un projet et donc d'une certaine façon envisage l'avenir, que des aptitudes mentales telles que l'imagination, la volonté, la persévérance se développent. Dans ce sens, cela permettrait-il à l'homme de se réaliser ? Le travail serait alors le propre de l'homme, ce qui permet à l'homme de réaliser son humanité ? C'est ce qu'a cherché à montrer Hegel. L'homme, en transformant la nature et les choses se construit et se réalise lui-même. Il façonne la nature, la construit, la pense à son image, ainsi il accède à la conscience et à la liberté. Il n'est plus dépendant de la nature, il se libère de celle-ci. La conscience alors s'extériorise, elle impose son empreinte sur les choses. C'est l'activité transformatrice qui permet la prise de conscience de soi. Hegel, dans sa dialectique maîtrise/servitude, explique que le maître fait travailler l'esclave pour la satisfaction de ses propres besoins et finit ainsi par en dépendre, tandis que l'esclave grâce à son travail plie la nature à sa propre volonté. L'esclave devient le « maître du maître » et le maître « l'esclave de l'esclave ». L'esclave s'est en effet construit, transformé en homme parce qu'il a su extériorisé sa conscience et ses projets. Le travail serait-il alors une source d'autonomie ? Certainement puisque l'esclave forme les choses à son image et se transforme, et asservira donc son maître qui deviendra son esclave. Marx reprendra l'idée d'Hegel : l'homme se réalise dans et par son travail parce qu'il peut s'y reconnaître. Le travail est alors conçu ici comme un chemin vers l'autonomie, vers un accomplissement de soi, une conscience de soi. Le travail forme, transforme, éduque. C'est par lui que l'homme se réalise en tant qu'homme, il lui donne pleinement sa valeur d'homme et lui permet d'accéder à son humanité.

En transformant la nature, l'homme transforme sa propre nature. Il apprend, crée, développe, progresse dans ses compétences. Le travail alors construit l'homme, et constitue son essence même. L'homme se transforme à travers le travail. Pourtant, cet idée de travail est souvent associée à l'idée de pénibilité, de fatigue, et même de souffrance. Si il donne à la fois les conditions de son accomplissement, il reste aussi l'objet de multiples souffrances.

Le travail se divise en tâches et se répartit entre les différents travailleurs. Chacun accomplit un travail et par conséquent acquiert une certaine compétence dans ce domaine. Mais n'est-ce pas alors instituer peu à peu une division du travail matériel mais aussi intellectuel ? La division du travail condamne l'homme, l'emprisonne et l'enferme dans un cercle d'activité déterminé, auquel il est impossible d'échapper. Le travail, au lieu de transformer l'homme, le faire évoluer peut alors aussi lui faire « perdre son âme ». Ici, affirmer que le travaille libère semble contradictoire avec toute la réalité du travail, avilissant et épuisant, puisqu'il peut menacer la vie de l'homme lui-même, comme dans le travail forcé. Le travail devient alors extérieur à l'artisan qui n'y développe aucune énergie authentique, physique ou morale. Ce phénomène d'aliénation fait de l'homme un producteur qui ne se reconnaît plus dans la chose qu'il produit. Et en ce sens, aucune conscience de soi n'est envisageable, l'homme, au contraire d'être libre, est aliéné et se retrouve devant son produit comme devant une réalité qui le domine. Pour Marx, l'homme va se réaliser dans le travail grâce à la technique. Mais quand les machines remplacent les simples outils, le travail se déshumanise complétement. L'homme n'a alors plus aucun moyen de pouvoir réaliser son humanité : puisqu'il pers la maîtrise de la technique, il devient lui-même « mécanisé » et le travail l'ennemi de sa personnalité. L'homme se retrouve aliéné et ne se reconnaît plus dans ce qu'il fait : comment alors ici ne pas « perdre » le sens de sa vie ? Cette aliénation semble alors dangereuse... Le travail devient un véritable esclavage au lieu d'être l'occasion d'une réalisation de soi et de sa liberté, d'une réelle transformation de l'homme.

Si le travail prétend pouvoir mettre l'homme dans des conditions favorables à sa réalisation, comment peut-il faire pour ne pas s'y perdre et tomber dans l'aliénation ? Quel travail est alors à même de donner aux hommes de la liberté ?

C'est un travail proprement humain qui permettrait aux hommes d'accéder à la liberté dans le travail. Il faut que l'activité qu'il effectue soit humanisante et qu'elle lui permette de découvrir son propre potentiel, ce qu'il est : qu'elle lui permette de trouver sa propre reconnaissance. Il faut que l'homme « fasse » tout en se « faisant » lui-même. Il doit entrer en débat avec lui même, jusqu'à se reconnaître dans ce qu'il fait. Ainsi, il pourra aussi se faire reconnaître par les autres. Travailler relève alors ici de se travailler soi-même. Avec ses capacités actuelles, l'homme se projette dans l'avenir, avec un projet, un but qui lui fera accéder à la conscience de soi. Ricoeur y voit un cogito pratique : c'est parce que je me fais qu'il m'est possible de me faire, c'est à dire d'accéder à la conscience de mes capacités, de ce que je peux faire de moi. C'est pourquoi Rousseau dira que « l'homme est le seul être perfectible ».

Pour conclure, le travail n'est qu'un moyen pour donner à l'homme les conditions de son accomplissement. Mais ces conditions peuvent se retourner contre lui puisqu'un travail qui serait seulement productif ramènerait l'homme à sa condition animal. C'est d'un travail créatif que l'homme a besoin, c'est à dire un travail marqué par une originalité ( culturelle par exemple ) de l'homme. Ainsi, il peut s'extérioriser, s'exprimer et se réalise. Le travail serait une fin en soi. L'homme n'est pas un être fini. Il est à faire et bien plus, il doit se faire lui-même en réfléchissant sur les moyens de réaliser ses fins. C'est bien parce qu'il n'est pas conditionné par un système pré-établi qu'il est susceptible de progresser : il est donc libre ! Mais cette liberté, avant de se manifester dans son travail, est inscrite dans son être. L'homme peut se transformer avec le travail, en réalisant ce qu'il y a de meilleure en lui-même, il est en devenir, puisqu'il est un être perfectible.