N'y a-t-il de violence que pour l'homme ?

Ceci est la dissertation presque complète (il manque juste la conclusion). Elle est entièrement rédigée et m'a permis d'avoir 19/20.

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: micha17 (élève)

Introduction

Hobbes affirme que l'homme est un loup pour l'homme, indiquant par ces mots que la violence est un phénomène naturel chez l'humain. Mais pourtant, le loup n'est pas un loup pour le loup, alors qu'il peut tuer violemment sa proie. La violence, force brutale qui contraint ou détruit un être, semble être l'apanage spécifique de l'humain, mais seulement parce qu'elle n'est pas humaine, mais animale, bestiale, ou simplement naturelle. On peut donc se demander s'il n'y a de violence que pour l'homme. On peut constater en effet, et ce sera l'objet de notre première partie, que la violence est un fait de nature, et que l'homme n'est pas le seul qui soit capable de l'exercer ou de la subir, encore qu'il soit apparemment le seul à pouvoir désigner comme violence un acte qui vise à la destruction d'un autre être. La violence, nous le montrerons dans un second moment, semble n'avoir de sens que pour l'homme, précisément parce qu'elle est l'absolument non humain, et exprime l'animalité dans laquelle il peut se dégrader. Cette double nature, humaine et non humaine, qui fait peser sur l'homme la menace permanente de l'inhumanité, semble donc la condition pour que la violence prenne sens comme ce contre quoi l'homme doit lutter pour construire son humanité.

I – La violence est un fait de nature et l'homme n'est pas le seul qui soit capable de l'exercer ou de la subir

A – Description du phénomène de la violence
La violence est définie comme une force brutale qui contraint, soumet, un être ou une chose. On parle de la violence des éléments déchaînés, de la violence des lois naturelles qui conduit certains êtres vivants à en détruire d'autres, de la violence d'un acte ou d'une émotion chez un homme. On désigne par là le moment où des forces brutales se mettent en mouvement et produisent des effets destructeurs pour d'autres êtres, ou éventuellement, pour l'être qui manifeste cette violence, lorsqu'elle se retourne contre lui.
- La violence détruit l'unité, l'intégrité d'une chose, d'un être. Cela vaut pour toute forme de violence. Ce qui est visé, c'est la destruction de quelque chose est uni dans une identité. Il y a des forces qui unifient un être, le tiennent ensemble, et la violence, c'est lorsqu'on oppose à ces forces d'autres forces qui tendent à briser cette unité, pour atteindre à la mort du corps (dans tous les sens du terme : corps humain, animal, objet inanimé, corps politique, etc.).

B – Il entre dans la violence également un caractère de soudaineté, d'imprévisibilité. Le moment de la violence, c'est le moment de l'explosion, du déchaînement des forces. Dans le cas d'une violence calculée, préméditée, et accomplie de sang froid, par exemple, il y a un déchaînement dans le moment de l'acte, quelque chose comme un pur mouvement de destruction. Il entre dans la violence une sorte d'accélération du temps naturel. On parlera de mort tranquille lorsque cet événement a eu lieu en suivant le cours qui était supposé être le sien, et de mort violente, quand ce cours naturel du temps est interrompu et précipité. La destruction est naturelle, elle se fait selon les lois de la nature, mais à l'intérieur de cette naturalité, la violence apparaît comme un phénomène non naturel, un moment où la nature s'affole, sort de son cours, comme le "temps sort de ses gonds" pendant les grands bouleversements qui secouent le Royaume du Danemark du Prince Hamlet. Le rapport de force est cependant la loi naturelle de l'être : mon corps tient sur terre en vertu d'un ensemble de forces qui se contrent et s'équilibrent. Il y a violence lorsque ces forces semblent se déséquilibrer, même si en réalité le moment de la violence ne transgresse pas les lois physiques, mais les utilise au contraire pour son œuvre de destruction.

C – Cependant, l'éprouvé de la violence semble être spécifique à l'homme. On parle d'une violence de la nature, mais on n'attribuera pas la violence à la chose naturelle ou l'animal, on ne parlera pas d'un loup violent, même si par ailleurs on peut dire que les règles qui régissent les sociétés animales peuvent être violentes. L'être vivant éprouve la douleur, la destruction, mais la notion de violence ne semble avoir de sens que pour l'être humain, qui peut seul la remettre en contexte et la désigner comme telle. Les autres êtres vivants, soumis aux lois naturelles, vivent cette violence sur le mode de l'immanence, sur le mode de l'immédiateté. L'homme, lui, est capable de s'élever au-dessus de sa simple immédiateté naturelle. Il est également capable de réfléchir l'unité, et c'est pourquoi il peut éprouver, au delà de la douleur, la violence de cette douleur. La violence visant à la destruction de l'identité, il faut une conscience réfléchie de cette identité pour que naisse la notion de violence. La violence est un fait de nature, mais elle n'apparaît comme violence que pour celui qui voit ce qu'elle produit, à savoir la destruction, et non pas seulement l'éprouver ou en souffrir. Mais pour comprendre la destruction, il faut avoir la notion de ce qu'est l'unité, l'intégrité. Il y a donc une violence objective, dans le monde physique et naturel, mais elle ne peut être pensée comme violence que pour un être qui voit, au-delà du moment de la destruction, l'unité de ce qui est détruit. Lorsque le médecin ampute une jambe pour sauver son patient, la violence faite au corps est réelle, mais l'unité qui vaut alors est celle de l'être humain, de la conscience, c'est son intégrité et sa vie qu'il convient de sauver, et l'intégrité du corps devient alors accessoire en face de l'intégrité de l'humain.

D – On parle également de violence pour désigner l'abus de la force dans le but de soumettre l'autre, ce qui suppose une certaine intentionnalité de l'acte. Cependant hors l'humain, les êtres naturels, pour les raisons déjà évoquées, n'ont pas conscience de l'autre comme autre, et ne peuvent donc viser sa destruction comme autre, ils ne visent, lors de leur comportement violent, que l'assouvissement d'un désir ou d'un besoin naturel. Ils sont donc là encore dans l'immanence, il n'y a pas de visée intentionnelle vers l'autre comme autre, il y a seulement expression, en quelque sorte, d'un mouvement naturel qui vient d'eux, mais ne va pas spécifiquement vers l'autre, il n'Y va que de manière contingente, il se trouve que cet autre est un gibier potentiel, une proie. L'homme qui veut tuer son congénère vise, au delà de la destruction du corps de cet autre, la destruction de sa conscience comme conscience autre.

E – On peut en conclure que la violence se distingue du simple rapport de force lorsque l'on vise l'anéantissement de l'autre pour son anéantissement, ce qui suppose une conscience de l'altérité, de l'identité, toute chose dont seul l'homme semble capable. Mais la violence reste cependant, et paradoxalement, un fait naturel, l'exercice d'une force extrême pour détruire, contraindre un autre corps. Nous avons donc le paradoxe d'un fait naturel qui n'existe et ne peut exister que pour celui qui n'est pas uniquement soumis aux lois de la nature, l'homme.

II – Il n'y a de violence que pour l'homme, parce qu'elle exprime ce qui en l'homme n'est pas humain, mais purement naturel.

A – L'homme, nous le disions, reconnaît la violence dans la nature et la désigne comme telle, en tant qu'elle se présente à lui comme le moment d'un pur rapport de force qui vise à ou produit effectivement la destruction d'un être. Il ne peut la désigner comme violence que s'il a conscience de cette unité et de la distorsion temporelle que produit l'explosion de violence.
Lorsque l'homme est violent, il accomplit ce qu'il a reconnu comme existant dans la nature, une œuvre de destruction brutale. Le moment de la violence, c'est celui où l'homme se conduit comme une brute, comme un animal, justement. Mais pour être désigné comme brute, il faut précisément ne pas en être une, ou avoir une nature autre. Il n'y a que de l'homme que l'on dira qu'il se conduit comme une brute, ce terme n'est utilisé à propos des animaux, par exemples, que pour désigner un caractère naturel, non pour dénoncer un comportement. L'animal, lui, ne peut jamais quitter son animalité, qui ne lui est pas reprochée. L'homme au contraire est cet être qui a la possibilité de quitter sa nature humaine pour redescendre jusqu'au statut de brute. La violence ne peut donc faire sens que pour quiconque est capable de distinguer entre la naturalité et un autre de la nature, en l'occurrence l'humanité. Ce qui rend possible la notion de violence, ce qui la fait émerger, c'est la séparation opérée par la conscience et la raison, qui nous permet de dire : ceci est violent, comme on dirait : ceci n'est pas humain, n'appartient pas en propre à l'humain, ceci appartient à la nature, c'est le fait naturel en l'homme.

B – La violence est donc ce qui, issu de la nature où elle n'a pas de sens comme tel, vient s'immiscer dans notre humanité pour détruire l'humain. Même lorsqu'elle vise la destruction d'une chose, la violence vise plus loin que l'objet, la chose appartient à l'ennemi, ou elle symbolise ce que nous haïssons.

C – Cela explique que la violence soit rationalisée par les sociétés. Les lois vont décider des violences permises ou interdites, pour ne garder le nom de violence qu'à celles dont on estimera qu'elles ne relèvent que de la barbarie, de la brutalité. Les religions qui sacrifient des humains, les inquisiteurs qui brûlent les hérétiques, les chefs politique qui envoient les soldats à la guerre, ne le font pas au nom de la nature, mais au nom de la loi : l'ennemi est celui qui incarne la force destructrice, et c'est l'unité (la religion, l'état, la communauté) qui, pour justifier la destruction en retour de l'ennemi, déclare se défendre contre la force violente et destructrice de l'ennemi. Il y a toujours un discours qui justifie l'action violente, pour lui ôter son caractère de violence, et ce discours désigne l'ennemi comme le vrai agresseur, la violence en retour n'étant dans ce cas considérée que comme les forces de résistances à l'ennemi. Il faut donc légiférer autour de l'acte de destruction, pour distinguer celui qui préserve l'unité et celui qui la détruit. Celui qui préserve l'unité, comme le coup de scalpel du chirurgien, sera désigné d'un autre nom que violence en tant qu'il relève non pas de la brute, mais de l'humanité : mettre à mort celui qui menace notre religion et la communauté des croyants, mettre à mort l'ennemi qui n'est plus un homme mais un simple soldat, instrument anonyme de l'autre État, celui qui veut me détruire. Les lois de la guerre sont faites pour séparer l'homme de la bête, elles nous indiquent que les hommes, même dans la guerre qui comprend des actes brutaux, veulent s'élever au-dessus de la bête. Il y a des règles de guerre, et le soldat qui les transgresse pour commettre des forfaits est passible d'un châtiment parce qu'il a agit non pas au nom de la cause supérieure qu'il était supposé servir, mais au nom d'un instinct, d'un désir, de la cupidité ou la bestialité, autant de mouvements qui rappellent l'animal en lui.

D – Celui qui est désigné comme purement violent, c'est le barbare, la brute, autrement dit, celui qui commet un acte de destruction non pas pour préserver une unité considérée comme plus haute, mais parce qu'il suit les lois naturelles de son désir ou de ses pulsions, celui qui se conduit comme le ferait un animal. Le discours de légitimation qui accompagne toutes les violences "légales" servent à distinguer entre une destruction dite valide, et une autre qui serait la vraie violence, la mouvement impulsif, brutal, de la bête. La violence est donc, au sein de l'humain, le moment où l'humain disparaît, paradoxalement, le moment où j'agis sans contrôle sur mes émotions, mes passions, sans conscience de mon humanité ou de celle de ma victime, le moment où la raison a disparu, cette raison qui me permettait de percevoir, précisément, l'autre en face de moi et de lui donner un sens. Cet autre ne devient, comme pour l'animal, qu'une proie, alors qu'il est avant tout, pour le discours légitimant, l'ennemi, l'hérétique, le danger, l'agresseur. Inversement, celui qui veut dénoncer comme violence ce qui se donne le masque de la loi, celui-là montrera que derrière ce masque se cache une vraie violence : vous dites que vous tuez cet homme parce qu'il menace votre religion ou votre état, mais en réalité, je dénonce ce faux discours et je vous montre que ce qui vaut, c'est l'humain en face, aucune réalité ne doit valoir plus que l'humain que vous détruisez comme le ferait des brutes. Quelle que soit la position idéologique et théorique des uns et des autres, ce qui est désigné comme violence est toujours un acte de destruction dans lequel l'homme se rabaisse à la condition d'animal, qu'il est supposé avoir quitté avec la civilisation, la raison, la conscience.

III – Il n'y a de violence que pour l'homme car il est le seul à devoir construire son humanité en surmontant son animalité.

A – C'est donc parce qu'elle n'est pas humaine que la violence n'existe que pour l'homme. La notion de violence ne prend sens que chez celui qui est capable d'identifier du naturel et du non naturel, et qui est doué de cette double nature, comme c'est le cas pour l'homme. L'animalité de l'animal n'est pas condamnable, alors que la violence humaine est condamnée par l'homme dès qu'elle ne peut plus se prévaloir du discours de la loi. La violence est en effet ce qui désigne l'inhumanité, et c'est pourquoi elle ne peut pas prendre sens dans un monde de pure animalité, où la notion même d'humanité et d'identité de l'être humain n'existe même pas. C'est pourquoi toutes les théories qui justifient la violence brutale comme un fait de nature qui ne doit pas être contrarié, ne s'élaborent que sur fond d'une certaine conception de l'homme : on tient qu'il est un simple élément de la nature, un animal parmi d'autres, et que la satisfaction de ses instincts et de ses pulsions constituent la loi de son être, comme pour le prédateur de chasser et de tuer sa proie. La violence se manifeste donc chez l'homme, et chez lui seul, comme ce qui vient nier son humanité.

B – La notion d'humanité ne va donc pas de soi, et il semble que l'homme ait à lutter en permanence pour se construire comme homme alors qu'il appartient en quelque sorte à deux règnes, à deux mondes : il y a en lui tout le domaine de la sensibilité, qui relève de la nature, et qui comprend les émotions, les instincts, les pulsions, les désirs, et le domaine de la rationalité, par laquelle il s'élève au-dessus de son animalité.
La nature en lui le pousse à satisfaire ses besoins et ses désirs tout simplement, comme le ferait un animal. Et pour les satisfaire, il devra peut-être détruire ce qui est sur son chemin, l'empêche de jouir de l'objet qu'il possède, cet obstacle se présentant à lui comme un pur obstacle, et non pas un homme, ou un être vivant. Toute être devient simple objet de désir ou obstacle, l'être en face de moi est réifié par mon désir.
Mais si les hommes ne font que suivre leur désir, ils se voient eux-mêmes menacés d'être détruit par les autres hommes, et cette conception est à la base, en théorie politique, des thèses contractualistes comme celle de Hobbes : les hommes à l'état de nature se voient bientôt plongés dans les ténèbres d'une guerre de tous contre tous, dans laquelle personne n'est à l'abri de la mort. En effet, si je peut détruire celui qui s'interpose entre l'objet de mon désir et moi, il peut en retour, s'il est plus fort, me détruire également. Je peux me défendre contre un homme, mais dans l'état de nature, ce sont tous les hommes qui sont potentiellement mes ennemis. C'est pourquoi, dit Hobbes, les hommes, vaincus par la peur de la mort, ont décidé de se réunir en société civiles, sous la contrainte de certaines lois qui, en leur ôtant un peu de la liberté totale mais stérile qu'ils auraient à l'état de nature, leur donnent en retour la sécurité et la liberté de jouir de ce qu'ils ont acquis et possèdent dans le cadre de la loi, sans craindre d'être victime des autres. Le droit est établi, et la violence brutale par laquelle je satisfais immédiatement mon désir est condamnée comme transgression du pacte social, et régression à mon animalité.
C'est précisément le caractère rationnel de l'homme qui lui permet de faire ce calcul par lequel il va entrer en communauté civile et se soumettre au droit, un droit qui n'est plus le droit naturel des simples lois physiques, mais un droit plus haut, celui que la raison nous désigne comme étant "ce qui doit être", le légitime. L'homme découvre en lui la capacité à résister à ses inclinations sensibles, en donnant sens à autre chose que les simples besoins. C'est ce caractère rationnel qui est considéré comme ce qu'il y a de plus haut en l'homme, et qui nous confère notre humanité. La raison me permet de considérer l'autre comme un Autre, de ne plus voir en face de moi un simple objet, mais une conscience, qui ne se réduit pas à un simple corps matériel. Là où mon désir m'incline à le détruire pour jouir de l'objet, ma raison peut avoir contrôle sur cette inclination, et me faire choisir de ne pas le détruire. Mais puisque l'homme a un corps, il sera en permanence soumis à cette tentation de l'animalité, une animalité qui, lorsqu'elle surgit chez lui, devient inhumanité. C'est en ce sens que nous pouvons dire que l'homme est contraint, en quelque sorte, de construire son humanité, par une lutte de sa raison contre ce qui tend à la ramener vers le plus animal en lui, et pour lequel il n'est pas fait. L'animal est fait pour être animal, la chose pour être chose, et ils n'ont pas l'aptitude à se penser eux-mêmes comme conscience et à choisir une autre voie que la soumissions aux lois naturelles. Mais l'homme, par sa raison, peut se connaître comme conscience et identité, et par sa volonté, peut choisir un acte qui s'oppose à ce que lui dicte la loi naturelle. Cette capacité à choisir, à ne pas se soumettre à la nature, contrairement à l'animal, donne toute la mesure de sa déchéance de l'humanité lorsqu'il cesse de choisir, de lutter, et qu'il se soumet à la loi de son désir, de sa nature, et commet un acte violent qui ne devrait être réservé qu'à l'animal, innocent par ignorance des lois du bien et du mal.