Zola, Germinal - Partie V, chapitre 5: La révolte des ouvriers

Commentaire en deux parties.

Dernière mise à jour : 18/01/2022 • Proposé par: zetud (élève)

Texte étudié

Les femmes avaient paru, près d'un millier de femmes, aux cheveux épars, dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d'enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l'agitaient, ainsi qu'un drapeau de deuil et de vengeance. D'autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons ; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre. Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d'un seul bloc,, serrée, confondue, au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes, ni les tricots de laine en loque, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant la Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme l'étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d'un couperet de guillotine.

"Quels visages atroces !" balbutia Madame Hennebeau.

Négrel dit entre ses dents : "Le diable m'emporte si j'en reconnais un seul ! D'où sortent-ils donc, ces bandits-là ?"

Et, en effet, la colère, la faim, ces deux mois de souffrance et cette débandade enragée au travers des fosses, avaient allongé en mâchoires de bêtes fauves les faces placides des houilleurs de Montsou. A ce moment, le soleil se couchait, les derniers rayons d'une pourpre sombre ensanglantaient la plaine. Alors, la route sembla charrier du sang, les femmes, les hommes continuaient à galoper, saignants comme des bouchers en pleine tuerie.

" Oh ! superbe !" dirent à demi-voix Lucie et Jeanne, remuées dans leur goût d'artistes par cette belle horreur.

Elles s'effrayaient pourtant, elles reculèrent près de Madame Hennebeau, qui s'était appuyée sur une auge. L'idée qu'il suffisait d'un regard entre les planches de cette porte disjointe, pour qu'on les massacrât, la glaçait. Négrel se sentait blêmir, lui aussi, très brave d'ordinaire, saisi là d'une épouvante supérieure à sa volonté, une de ces épouvante qui souffle de l'inconnu. Dans le foin, Cécile ne bougeait plus. Et les autres, malgré leur désir de détourner les yeux, ne le pouvaient pas, regardaient quand même.

C'était la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous, fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois, il promènerait des têtes, il sèmerait l'or des coffres éventrés. Les femmes hurleraient, les hommes auraient ces mâchoires de loups, ouvertes pour mordre, Oui, ce seraient les mêmes gueniiles, le même tonnerre de gros sabots, la même cohue effroyable, de peau sale, d'haleinie empestée, balayant le vieux monde, sous leur poussée débordante de barbares. Des incendies flamberaient, on ne laisserait pas debout une pierre des villes, on retournerait à la vie sauvage dans les bois, après la grande ripaille, où les pauvres, en une nuit, videraient les caves des riches. Il n'y aurait plus rien, plus un sou des fortunes, plus un titre des situations acquises, jusqu'au jour où une nouvelle terre repousserait peut-être. Oui, c'étaient ces choses qui passaient sur la route, comme une force de la nature, et ils en recevaient le vent terrible au visage. Un grand cri s'éleva, domina la Marseillaise :

" Du pain! du pain! du pain ! "

Zola, Germinal - Partie V, chapitre 5

Germinal est un roman écrit par Emile Zola en 1885. C’est le 13e volume des « Rougon-Macquart ». Zola y raconte l’histoire d’Etienne Lantier, un homme devenu mineur dans le Nord de la France. A la 5e partie de ce roman, un extrait décrit la révolte des mineurs.

Nous verrons que ce texte, au-delà de la description, est aussi une représentation de l’apocalypse. Nous étudierons pour cela dans une première partie, la révolte des mineurs qui dévoilent leur misère et leur violence. Puis, dans une seconde partie, nous étudierons la vision apocalyptique que présente Zola, en déshumanisant les mineurs et en présentant un aspect de fin du monde.

I. Une vision la révolte des mineurs

Premièrement, cet extrait représente une vision de révolte pour les mineurs.

a) La misère, cause de la violence

Nous voyons d’abord que la misère en est la cause. En effet, Zola dénonce ici le fait que les mineurs vivent dans la pauvreté : ils n’ont pas suffisamment à manger et ne peuvent s’habiller décemment comme le suggère les mots « guenilles »,« meurt-de-faim », « cheveux épars », « dépeignés », « peaux nues », « nudités », « loques », « faim », « peaux sales », et « haleine empestée ». Le champ lexical de la souffrance montre également que la misère insoutenable dans laquelle vive les mineurs est associée à leur violence : ici, souffrance et violence sont cause et conséquence. En effet, ensuite Zola nous présente la révolte à travers cette violence. Les mineurs sont dits « déchainés », « débridés », et leur progression est associée à un éboulement, donnant une impression de masse gigantesque écrasant tout sur son passage. Zola rend cette foule encore plus violente en ne décrivant pas quelques mineurs furieux parmi la foule mais en présentant cette foule comme une seule entité. Une entité rendue compacte par la haine. Les femmes aussi sont rendues violentes par l’utilisation d’une hyperbole utilisée en même temps qu’une allitération en « g » : « des gorges gonflées de guerrières ». Cette expression fait référence aux Amazones, des femmes guerrières de la mythologie.

b) Une violence qui se mue en révolte

De plus, Zola accentue la violence des mineurs dans cette phrase « cette hache unique qui était comme l’étendard de la bande avait dans le ciel clair, le profil aigu d’un couperet de guillotine », il montre ici la menace que présentent

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