Peut-on tout justifier ?

L'analyse du sujet, suivie d'un développement en trois parties. Note obtenue: 13/20.

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: clara188 (élève)

Il faut prendre garde à la plurivocité du terme "justifier", qui signifie "rendre juste". "Juste" renvoie à la fois à la "justesse" et à la justice. On peut donc traiter aussi bien la question de la vérité (peut-on justifier toute opinion ?) que celle de la morale (tout comportement est-il juste ?). Le mieux est de trouver un plan qui rassemble les deux perspectives. Le terme "tout" doit faire l’objet d’une attention particulière.

I. Le présupposé relativiste

On trouve, dans la tradition sophistique, l’opinion selon laquelle toute cause peut être défendue, la bonne comme la mauvaise. Les sophistes enseignent d’ailleurs l’art oratoire, essentiellement pratiqué dans les procès et les délibérations publiques. Mais la sophistique, comme le pointe Platon, prend garde d’enraciner cette position axiologique dans une théorie de la connaissance, que l’on peut, avec François Châtelet, nommer sensualiste. Rien n’est plus juste ou moins juste, parce que d’abord rien n’est en soi vrai ou faux, aucune discussion ne peut trouver de solution définitive. En effet, tout énoncé serait un "point de vue", relatif aux sentiments et à l’état d’esprit de tel individu à tel moment. De ce point de vue, tout peut être "justifié" : ce que je fais et ce que je pense est juste du moment que je le pense et que je le fais. Et tout peut être "rendu juste" aux yeux de mon juge : il suffit de changer, par une habile rhétorique, l’état d’esprit de l’auditeur.

II. L’impasse du relativisme

On voit que la question ne peut être traitée sans s’interroger sur les fondements du jugement en général. Peut-on et doit-on faire usage de critères absolus du jugement ? Peut-on discriminer, dans la multitude des pensées et des actions, ce qui doit être et ce qui ne doit pas être ?

Il apparaît que l’activité humaine ne peut, sans se leurrer elle-même, renoncer à rendre compte d’elle-même, c’est-à-dire à choisir des critères d’universalité et d’objectivité, aussi bien dans le domaine de la connaissance que dans celui de l’action. A cette condition seulement sont possibles aussi bien la science que la liberté et la responsabilité (imputabilité des actions). Or l’établissement de critères, qu’il s’agisse de justesse ou de justice, implique une référence à la raison, faculté des lois et des principes. Est injustifié, de ce point de vue, ce qui offense les exigences de la raison. C’est ainsi que Platon conçoit le passage de l’opinion à la science : la science est le discours justifié, c’est-à-dire fondé sur des raisons. Les exigences de la science moderne sont d’ailleurs dans le droit fil de cette tradition fondatrice : ne peut être reçue pour scientifique qu’une hypothèse testée selon les exigences d’une expérimentation de part en part investie de rationalité (non-contradiction, mathématisation...).

L’existence de critères discriminants est à l’oeuvre également dans l’action, aussi bien du point de vue juridique que du point de vue moral. L’homme ne peut renoncer, comme le montre Kant, à l’exigence de responsabilité. Or je ne puis rendre compte que de ce qui procède de l’autonomie (se donner à soi-même sa propre loi) et donc de la raison dans son usage pratique (impératif catégorique). La loi du devoir, que je l’écoute ou non, pose donc une limite absolue aux entreprises casuistiques d’auto-justification. C’est d’ailleurs ce qu’en d’autres termes pointe Pascal dans Les Provinciales , en mettant au grand jour le caractère intenable de la casuistique jésuite.

Cette analyse nous conduit enfin à montrer les limites de l’exigence de justification : ne peut être juste (ou non-juste) que ce qui se situe "dans les limites de la raison" (Kant). Ne peut ainsi être justifiée (ni réfutée) une croyance, en particulier religieuse. On ne peut justifier la croyance dans l’existence de Dieu, ni d’ailleurs la croyance dans sa non-existence : il s’agit d’un objet à propos duquel aucune connaissance, aucun savoir universalisable, n’est possible.

III. Comprendre n'est pas justifier

On peut enfin, comme simple remarque, noter que tout comportement humain, et toute opinion, peuvent sans doute être "expliqués", c’est-à-dire qu’on peut leur assigner une cause. C’est ce à quoi nous invite Spinoza ( Ethique , 3) lorsqu’il recommande de "ne pas rire, ni se lamenter, ni haïr, mais comprendre". On peut d’ailleurs rapprocher cette attitude de celle de toute approche "psychologisante", et du freudisme en particulier.

Mais il faut noter qu’un comportement "expliqué" ne devient pas "juste" pour autant. La présence de psychiatres dans les tribunaux ne dispense du "jugement" que dans des cas exceptionnels. L’homme ne peut pas si facilement, et sans se tromper lui-même, renoncer à sa propre responsabilité.

Corrigés liés disponibles

Autres corrigés disponibles sur ce sujet

Proposez votre corrigé pour ce sujet

Proposez votre propre corrigé
et gagnez 30 jours d'accès premium !