Peut-on tout pardonner ?

Copie rédigée par moi-même, élève de prépa HEC.
Note obtenue : 14/20.

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: Fanny1324 (élève)

INTRO :

« Pardonner c’est une action plus noble et plus rare que celle de se venger. » Cette citation de William SHAKESPEARE met en avant l’action de pardonner, c’est-à-dire accorder le pardon d’une faute commise, ne garder aucun ressentiment d’une injure reçue. Le pardon vient du latin dono, « tenir quitte de » et du préfixe « per » qui renforce l'action. Le pardon met un terme à un confit, il permet d’absoudre une somme de souffrance. D’autre part, le pardon est une valeur fondamentale des religions monothéistes. « Père, je remets ma vie entre tes mains, pardonne leurs, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Les dernières paroles du Christ avant sa crucifixion caractérisent le pardon comme rémission d’une faute. Ainsi, au sens biblique du terme, le pardon de Dieu annule ou écarte le châtiment requis par le péché. Par ailleurs, l’intitulé du sujet repose sur l’adverbe « tout », l’Homme est-il en mesure de pardonner la totalité des offenses commises sans exception ? N’existe-t-il pas des actes impardonnables ? La question porte donc sur l’amplitude de pardon. En outre, la question suppose que le pardon nous est un acte connu. Elle porte non seulement sur la capacité que nous avons à pardonner autrui mais aussi la légitimité de pardonner celui qui a commis l’offense. Pouvoir, en effet, signifie en avoir la possibilité mais aussi avoir le droit d’accorder pardon à autrui. Ainsi nous pouvons nous demander à quelles conditions doit répondre le pardon. Nous tenterons de répondre successivement à ces trois questions : Tous les hommes sont-ils aptes à pardonner ? Le pardon est-il entièrement désintéressé ? Le pardon dépasse-t-il le devoir de justice ? Après avoir vu que le pardon est possible par tous, nous verrons les limites de son amplitude. Enfin, nous comprendrons que le vrai pardon est légitime.

I.

Dans un premier temps, l’Homme peut tout pardonner car cela découle de la nature et du fondement du pardon.
Le pardon rétablit le lien qu’a brisé l’offense. Pardonner c’est se séparer d’un évènement traumatisant, on tire un trait sur un acte qui a pu nous affecter de quelque façon que ce soit. En effet, on met notre haine et notre rancœur de côté afin d’accorder notre pardon à autrui. Tous les Hommes ont la capacité morale de pardonner, ils partagent tous ce même devoir moral dont le pardon en fait partie. Le respect pour autrui trouve sa source dans les règles morales que nous nous dictons. En d’autres termes nous pardonnons pour répondre à une exigence de moralité dictée par notre raison.
C’est en ce sens que le pardon s’inscrit dans le cadre d’un rapport avec autrui. C’est à la victime qu’il revient de pardonner son offenseur, l’offenseur ne peut se pardonner à lui-même. Ce qui fit dire à Hannah ARENDT dans La condition de l’homme moderne que « Nul ne peut se pardonner à soi-même, nul ne peut se sentir tenu à une promesse qu’il n’a faite qu’à soi… ». Le pardon apparait dans le cadre d’un échange : l’un offre le pardon, l’autre le reçoit après l’avoir demandé. Ainsi le pardon rétablit le lien social antérieurement brisé. Il permet de renouer des liens sociaux avec autrui, de rétablir une confiance ou ben un engagement moral et affectif.
De surcroît, la notion de pardon est intimement liée à celle de la transformation. Un proverbe bouddhiste dit : « Le seul aspect positif du mal réside dans le fait qu’il peut être purifié ». Accorder son pardon à quelqu’un c’est aussi accepter le changement aussi bien pour l’offenseur que pour soi-même. Celui qui pardonne offre alors à l’autre les conditions d’un nouveau départ tel une virginité à ne pas souiller. H. ARENDT qualifie le pardon comme « La rédemption possible de la situation d’irréversibilité ». Si le pardon n’existait pas nous serions condamnés à payer les conséquences de nos offenses pour le reste de notre vie. « Nous serions enfermés dans un acte unique dont nous ne pourrions jamais nous relever » H. ARENDT. En pardonnant à autrui nous mettons un terme à des sentiments parasitant le corps et l’esprit comme la haine, la rancœur, la vengeance ou encore la violence. Le pardon semble alors être une rédemption possible par tous et pour tous.
Par ailleurs, la religion symbolise le pardon comme étant un acte divin. Alexander Pope disait « L’erreur est humaine, le pardon divin ». C’est en ce sens que nous pouvons nous demander si nous avons la légitimité de pardonner. On aurait tendance à penser que le pardon ne peut être qu’accordé par une force transcendante et supérieure. Néanmoins la religion enseigne le pardon, elle donne aux Hommes les moyens de pardonner. Ainsi le Christ a conféré aux apôtres le pouvoir divin de pardonner les péchés : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». D’autre part, dans la religion juive la fête du « Yom Kippour » est également appelé la fête du Grand Pardon. Lors de cette journée les Hommes peuvent se racheter en demandant leur pardon à Dieu. Enfin, nous pouvons retrouver dans le Coran des appels au pardon universel tels que « Les croyants dominent leur rage et pardonnent à autrui ».
Par conséquent, nous semblons être capables de tout pardonner. Armés de notre morale, nous pouvons pardonner autrui et ainsi rétablir un lien avec lui. De même que la religion nous donne les moyens de pouvoir pardonner.

II.

Cependant la question porte sur l’amplitude du pardon. Certes nous pouvons pardonner, mais est-ce que tout est pardonnable sans restriction? « Je puis tout pardonner aux Hommes exceptés l’injustice, l’ingratitude et l’inhumanité ». Cette citation de Diderot souligne les limites subjectives du pardon : l’Homme doit-il tout pardonner ?
Tout d’abord, le pardon et son interférence avec nos sentiments entachent son action purificatrice. En effet, lorsque nous sommes aveuglés par nos sentiments, le pardon n’est pas entièrement désintéressé. On pardonne par faiblesse, lâcheté ou encore impuissance à sanctionner. Certains préfèrent pardonner les offenses commises par ceux qu’ils aiment plutôt que d’accepter de voir s’effondrer leur fragile édifice affectif. C’est ainsi que LA ROCHEFOUCAULD ironisa en disant « On pardonne tant qu’on aime ». Puis il y a ceux qui ne sont pas dans la capacité de pardonner car la souffrance est trop grande ou encore l’acte est irréparable. Pardonner leur semble surhumain, comme si donner leur pardon signifiait tout oublier. LE CONTE DE LISLE traduisait cela par la phrase « Je te pardonne et veut tout oublier »
Par ailleurs, le pardon répond à une exigence de réciprocité. On ne peut pas pardonner à quelqu’un qui ne se repend pas de ses erreurs. En effet, on ne peut demander pardon si l’on n’a pas compris quelles sont les fautes commises. Le pardon arrive au terme d’un travail sur soi où l’on se remet en question. Reconnaitre sa responsabilité prouve une certaine transformation morale. C’est en ce sens que le pardon se distingue de la simple excuse. On peut excuser une faute commise dans des circonstances atténuantes : n’a-t-on jamais dit « je t’excuse » à quelqu’un qui nous a malencontreusement marché sur le pied ? L’excuse appelle à la déresponsabilisation tandis que le principe du pardon repose sur la responsabilisation. Ce qui revient à dire que c’est en exprimant sa culpabilité que l’on peut espérer être pardonné. Quelqu’un qui ne reconnait pas sa faute n’a pas le mérite d’être pardonné car il pourra la réitérer. Donc les pardons d’apparence, de convention sociale et d’hypocrisie, qui ont pour but de favoriser l’harmonie sociale, encouragent la répétition de l’offense. C’est pourquoi seul le pardon éclairé doit être accordé.
Ensuite, il nous paraît impensable de pardonner l’impardonnable. Chacun détermine selon ses croyances, valeurs et engagements la frontière entre le pardonnable et l’impardonnable. Hannah ARENDT disait que l’horreur nazie était hors des catégories de l’humain à tel point qu’elle mettait en question la faculté même de juger et de pardonner. Selon JANKELEVITCH dans l’Imprescriptible la mort de la victime rend le crime impardonnable: « Le pardon est mort dans les camps de la mort ». A cet égard, le pardon semble privé de sens puisque « le coupable et la victime ne partagent aucun langage et rien de commun ni d’universel ne leur permet de s’entendre » J. DERRIDA. Cette « folie de l’impossible » ou folie du pardon comme le disait ce dernier, atteste l’incapacité de pardonner pour oublier. Puis, « Comprendre c’est pardonner » comme disait la Baronne DE STAAL. Comment peut-on arriver à comprendre et donc pardonner quelque chose qui nous dépasse, qui ne nous affecte pas directement?

III.

Et si les Hommes ne savaient qu’oublier ? Contrairement au pardon qui trouve sa source dans la compréhension, mais surtout dans la remémoration, l’oubli marque une rupture avec le passé. Il est indéniable qu’il est plus difficile de comprendre que d’oublier. En effet, parfois la compréhension d’un acte inhumain nous semble irréalisable, comme c’est le cas de la collaboration française lors de la Seconde Guerre Mondiale. Alors on préfère oublier pour ne pas y penser. NIETZSCHE dans la deuxième dissertation de sa Généalogie de la morale fait un vibrant éloge de l'oubli, qui n'est pas seulement une entropie, une inertie, mais une faculté active d'effacement. « Nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l'instant présent ne pourraient exister sans faculté d'oubli ». Le philosophe français Gilles Deleuze écrit que l'oubli est cette faculté qui permet de séparer la conscience, comme capacité à réagir à de nouvelles sensations, de l'inconscient, comme système de réactions à des traces de sensations antérieures. Néanmoins, pardonner ne signifie pas absoudre ou oublier. Il faut se souvenir de l’offense pour pardonner et aller de l’avant. L’oubli ne donnerait qu’une apparence de sérénité, un sentiment d’apaisement éphémère. HONORE DE BALZAC disait « On peut pardonner, mais oublier, c'est impossible. ».
Ensuite, l’Homme peut pardonner mais avec du temps. En effet il est conseillé de prendre son temps pour pardonner, afin que le pardon soit un acte spontané et allant de soi. JANKELEVITCH dans la première partie de son ouvrage Le Pardon (1967) qui s’intitule « l’usure temporelle » place le temps comme partenaire du pardon. La durée qui cicatrise est une méditation nécessaire afin de reconnaitre sa souffrance. C’est ainsi que le temps a un certain pouvoir sur les effets de la faute et non sur le fait de la faute. On intègre progressivement ce que l’on a vécu et on abandonne les sentiments contradictoires au pardon comme la rancœur ou la vengeance. Comme disait JANKELEVITCH, « Pour pardonner il faut se souvenir. La rancune est la condition bizarrement contradictoire du pardon ». Le pouvoir de pardonner est alors, comme le dit H.ARENDT, ce qui révèle dans l'action une faculté de faire des miracles, d'ouvrir des possibles qui semblaient morts. Le travail du pardon va au-delà du travail du deuil. Puis, GANDHI place le pardon comme une vertu supérieure, qui symboliserait courage et sagesse : « C’est le pardon qui est supérieur à tout. La vengeance n’est que faiblesse, née de la peur réelle ou imaginaire de subir un tort. ». Etre courageux serait de ne pas répondre à la haine, d’abandonner la soif perpétuelle de vengeance qui nous anime. La vengeance ne sera jamais rétributrice, elle ne nous rendra jamais ce que l’on a perdu. Laissons de côté le proverbe disant « Œil pour œil, dent pour dent » et soyons en paix avec nous-même (Pensée bouddhiste). En ce sens, pardonner résonne comme le dépassement de soi et l’abandon de ces pulsions qui nous paralysent. « La non-violence est infiniment supérieure à la violence… la clémence est d’autant plus noble que le châtiment. Le pardon est la parure du guerrier » GANDHI.
Enfin le pardon semble trouver sa limite dans les exigences de la sphère juridico-politique dont la vertu est l’impartialité mais surtout la justice. En effet, il semblerait que l’exercice de la justice soit incompatible avec la notion de pardon. Par exemple la justice exige la remémoration du tort, là où le pardon serait censé apporter l'apaisement. Cependant, un pardon qui pourrait venir après la justice serait un pardon qui militerait pour la justice, qui chercherait à rétablir la réciprocité rompue par le tort, l'injure ou l'agression. En ce sens justice et pardon ne sont pas étrangers, l’un appelle l’autre et réciproquement. « Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon. » Ces paroles de JEAN PAUL II prononcées le 1er Janvier 2012 lors de la Journée mondiale de la Paix soulignent l’objectif commun de la justice et du pardon, soit la paix sociale. Le pardon répare et la justice dédommage. « la démocratie n’est pas le règne du nombre mais le règne

Conclusion

« Le pardon, quel repos ! » comme disait V.Hugo. L’Homme n’est pas parfait, « les humains sont testés dans le monde » comme il est écrit dans le Coran, mais tous les Hommes sont capables de pardonner. Le pardon étant le fruit d’un échange réciproque n’a de sens qu’en face d’une personne responsable de ses actes. La religion aide les Hommes à se pardonner entre eux et ainsi permet l’harmonie sociale. Néanmoins, le pardon trouve sa source dans le désir d’oublier le passé et le tort causé. C’est en ce sens que tout pardonner est impensable. L’ordre juridique a introduit la notion d’imprescriptibilité pour les crimes contre l’Humanité ce qui va annoncer le devoir de mémoire. Cependant pardonner n’est pas chose facile, cela nécessite du temps et un travail sur soi. Néanmoins, la justice peut aider à pardonner, car elle efface les injustices.

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