Chercher la vérité, est-ce prendre un risque ?

Dissertation entièrement rédigée par un élève.

Dernière mise à jour : 26/08/2021 • Proposé par: lello22 (élève)

A celui qui tente de s’approcher d’une vérité interdite ou considérée comme dangereuse, on prédit qu’il va se brûler les ailes comme l’a fait Icare. La vérité est souvent comparée à un idéal dont la proximité serait dangereuse pour l’homme. Et celui qui se met en quête du vrai semble mettre en péril, par cette démarche, bien des choses assurées, sa vie, son bonheur, son confort, ses certitudes. On peut donc se demander si la recherche de la vérité consiste à prendre un risque. Car si le chercheur entreprend cette quête de la vérité, c'est justement parce que ce qu’il risque de perdre ne lui semble plus valoir grand-chose, à ses yeux seule la connaissance de la vérité peut redonner sens à tout. En sorte que le risque, précisément et paradoxalement, s’abolit comme risque lorsqu’on l’affronte et qu’on se met effectivement en chemin vers la vérité.

Nous verrons dans un premier temps quels types de risque prend toute personne qui décide de chercher une vérité inconnue ou interdite. Mais il apparaîtra que le risque n’est pris que parce que cette vérité prend une valeur supérieure à tout, en sorte que les biens, la vie etc., ne sont risqués que parce qu’ils n’ont plus de valeur à nos yeux, on peut donc dire qu’en quelque sorte ils ne sont plus risqués. Nous montrerons enfin que la recherche de la vérité nous conduit à prendre en effet un risque suprême car elle nous demande un engagement total, qui exige que nous dépassions le moment de la peur pour entrer vraiment dans le chemin vers le vrai, où plus aucun risque ne subsiste.

I. La recherche de la vérité est un risque face au pouvoir

Si un homme veut chercher la vérité, c’est qu’il ne l’a pas en sa possession, ou du moins n’en a pas l’impression. Chercher la vérité, c’est se mettre en quête, aller vers de l’inconnu, en sorte qu’il nous est impossible, par principe même, de savoir avec certitude si notre quête va réussir, et même, si ce qu’on trouvera, si on le trouve, répondra à nos attentes. Car finalement, je peux me mettre en quête d’un trésor en sachant ce qu’est la richesse, mais puisque la vérité me semble encore inconnue, je ne peux pas savoir ce que sera sa possession, s’il m’est jamais donné d’en jouir.

C'est pourquoi la recherche de la vérité semble constituer une démarche risquée, je mets dans la balance quelque chose de certain, ce que je tiens entre les mains, pour quelque chose d’incertain - c’est le fait de toute quête, mais ce point semble plus aigu lorsque la vérité est l’objet de la quête. Je prends un risque en cherchant le vrai, c’est comme si je pariais ce que j’ai pour l’espoir d’une possible possession. Mais que risque celui qui cherche la vérité ? Il risque beaucoup, et à plusieurs niveaux : Si la vérité lui est cachée par d’autre, si elle est possédée par d’autres qui la lui interdisent, cela implique qu’il vit dans une société ou un régime politique où certains détiennent le savoir, par exemple, comme c’était le cas dans le monde ancien, ou médiéval, dans lequel les pouvoirs religieux, souvent, étaient détenteurs des connaissances, livresques, savantes. C'est le cas dans toutes circonstance où un groupe d’hommes fait en sorte que les connaissances ne sortent pas du cercle d’initiés, car le savoir est associé au pouvoir. La vérité devient le secret, et celui qui cherche à connaître le secret est passible de punition, la mort souvent, la perte de ses biens, de son bonheur, de ce qui lui tient à cœur. C'est le cas en politique, avec le secret d’État, qui désigne souvent la vérité sur des événements dont on considère que la connaissance serait plus nuisible qu’utile au public. Celui qui veut savoir, là encore, non pas pour lui même, mais pour le savoir lui-même, celui qui cherche la vérité au nom de la vérité, celui-là risque beaucoup, car il se heurte à des pouvoirs puissants, rendus encore plus puissants par la connaissance qu’ils ont des vérités secrètes. C'est le cas lorsque le clergé interdit au croyant d’interroger les mystères inhérents à tout texte sacré, et transforme le texte en dogme, alors que le vrai chercheur de la foi sait qu’il ne peut trouver la réponse qu’en interrogeant les textes, en faisant le chemin vers la vérité. La recherche de la vérité est donc une entreprise risquée pour le chercheur lorsque la vérité est détenue par des pouvoirs qui l’interdisent, la cache, la garde secrète.

II. La recherche de la vérité est un risque pour soi-même

Mais la vérité doit être l’objet d’une quête précisément parce qu’elle est difficile à découvrir, elle ne se donne pas d’elle-même dans l’évidence, c'est pourquoi il est possible à ceux qui l’on découverte de la cacher. Or, si la vérité nous est voilée, cela signifie qu’une grande partie de la vie d’un homme est faite d’opinion, de demi-vérité, d’illusions, d’incertitudes. La doxa, chez Platon, par exemple, est le nom donné à ces opinions qui recèlent du vrai et du faux, mais dans un mélange indistinct, et ce qu’on croit être le vrai ne l’est que relativement à l’opinion du reste de la société, ce sont des « vérités » historiques, sociales, relatives, et non la vérité universelle, immuable, que chacun peut examiner avec sa raison et fonder en droit. C'est pourquoi ces opinions sont variables d’une société à l’autre, d’un temps à l’autre. Et celui qui se met en quête, dans un tel contexte, d’une vérité universelle, celui-là prend le risque de heurter les opinions de sa société, comme Socrate qui vient déranger la conscience athénienne, et que la cité condamne alors qu’il est l’homme juste. C'est ce que raconte Socrate lui-même dans l’Allégorie de la caverne (République, VII) : l’homme qui a réussi à échapper à l’illusion d’un monde sensible qui n’est pas le véritable être, et qui revient dans l’ombre de la caverne pour enseigner les autres, on le prend, on le ridiculise car ses yeux qui ont contemplé le soleil du vrai ne voient plus rien dans l’obscurité, on le tue, même, dit Socrate. Celui qui cherche la vérité prend le risque de mourir pour sa quête, car cette vérité n’est pas nécessairement ce que veulent les hommes, elle ne vient pas toujours conforter les hommes dans leurs illusions, dans leurs désirs, dans leurs pouvoirs etc.

Enfin, le risque que prend celui qui cherche la vérité, c’est ultimement le risque de perdre ses opinions, il doit savoir renoncer à ce qu’il croit vrai, se lancer dans l’inconnu. Car même si la doxa est un mélange, les parois de la cavernes de simples ombres, au moins c'est mon univers, je le connais et je m’y reconnais, le sol semble fixe, et j’ai dans ce monde qui est peut-être d’illusions, mon confort, mon bonheur, ma sécurité. C'est pourquoi l’acte de penser par soi-même est toujours risqué, le confort est plus grand lorsqu’on laisse les autres penser pour nous, c’est ce qu’indique Kant dans Qu’est-ce que les Lumières. Les Lumières, c'est le Sapere aude, qui signifie : pense par toi-même, ce qui ne veut pas dire : pense selon ton caprice, mais au contraire, pense en suivant les strictes lois de la raisons, de la logique, de l’entendement – non pas en suivant les règles variables et doxiques des sociétés et des autres hommes, qui peuvent se tromper. Celui qui cherche la vérité risque de perdre ce qui le tient debout, il met en jeu un sol assuré, car la recherche de la vérité commence avec la mise en question des évidences, le questionnement de ce qu’on croit le plus certain, l’ouverture intellectuelle sur le monde des possibles : ce qui semblait impossible tout à coup devient concevables – pourquoi pas ? Mais le monde des possibilités intellectuelles est infini, et l’homme tremble devant cet infini qui vient écraser son monde fini, limité, délimité. La recherche de la vérité suppose un travail de remise en doute de tout ce qui faisait notre monde, et il commence par la remise en doute de nous-mêmes, de notre propre existence et de ce qui nous définit. Ce travail sur soi et sur le monde n'est pas facile, car il se peut que ce qui en résultera ne soit pas confortable, ou agréable.

Pour celui qui cherche la vérité, il y a un risque personnel, politique, intellectuel. Lorsqu’on prend un risque, pour quelque raison que ce soit, on calcule toujours que le risque en vaut la chandelle, c’est ce qui donne sens au risque, on risque l’aventure parce qu’on estime que ce qui désiré vaut plus que ce qui est mis en jeu. Mais pour la vérité, le risque devient presque total, il semble que c'est à tout que l’on doive renoncer : car la recherche de la vérité ne peut pas se contenter de demi-mesures, celui qui se met en quête du vrai doit affronter le moment de la peur, car il doit affronter la perte du sol ancien. Pour refonder, il faut commencer par détruire ce qui est branlant. Chercher la vérité, ce n'est pas seulement prendre des risques, c’est prendre le risque absolu, on risque tout, il nous faudra peut-être renoncer à tout. Et il faut s’attendre, le cas échéant, à rencontrer sinon la mort réelle, mais au moins la mort symbolique, la mort à soi de celui qui renonce, comme dit Husserl, à ses anciens habits, qui devient un nouvel homme en quittant les opinions fausses. La quête ne peut donc commencer que dans la conscience parfaite de ce qu’on met en jeu et qu’on risque de perdre.

III. On peut dépasser le risque de de la vérité et la transformer en opportunité

La recherche de la vérité exige donc du chercheur le dépassement du moment de la peur, mais ce moment, la représentation des risques, on ne peut pas en faire l’économie, car c'est lui qui donne le sens à la recherche, il faut avoir vu ce qu’on perdait, vu ce qu’on gagnait, mesuré l’écart immense entre les deux, et aller vers le vrai intentionnellement. La recherche de la vérité constitue à proprement parler une prise de risque, mais au sens où elle nous oblige à nous confronter au moment nodal qu’est le moment de la peur. L’homme qui veut chercher le vrai, qui veut se lancer dans l’aventure, tremble en pensant à ce qu’il risque, à ce qu’il pourrait perdre, car les risques, nous le disions, sont réels pour l’homme qu’il est – nous ne sommes pas de purs esprits insensibles à toute douleur, à toute émotion. Et le moment de la peur, c'est le moment fondateur où une conscience regarde le vide, se confronte authentiquement avec l’idée de la perte, de la mort, de sa propre mort. Je regarde le risque comme on regarde la possibilité de sa propre mort dans les yeux. Et en toute conscience, je décide de faire la démarche malgré tout. Et le paradoxe du risque vient de ce que celui qui prend un risque sait que le risque existe, mais il l’abolit paradoxalement en le reconnaissant. Car il s’y prépare, et va donc être prêt à ne pas se faire surprendre par le danger, le cas échéant – le trapéziste prend des risques, mais il ne les prend que parce qu’il est sûr de lui, il connaît ses techniques, et c'est pourquoi il n’a pas peur. L’homme qui se met en quête du vrai ne cherche pas au hasard, il va développer des méthodes, il va utiliser les lois de la raison, il va précisément utiliser ce qu’il n’utilisait pas auparavant, et c’était cette carence qui le maintenait dans l’ignorance ou l’illusion. Et lorsque la recherche a commencé, il n’a plus peur, pas plus que le trapéziste sur son trapèze, car il sait comment avancer, il a passé le moment de la peur, il lui a fallu le traverser, et pour cela, affronter avec courage la représentation des risques. Mais le moment de la décision est aussi un moment paradoxal où, comme nous le disions, le risque s’abolit d’avoir été reconnu – il ne demeure un risque que pour celui qui regarde de l’extérieur, qui n’accomplit pas l’action, et qui se sent comme un spectateur impuissant devant les dangers possibles. Mais l’homme qui affronte le tyran sans craindre pour sa vie au nom de la vérité, peut le faire car il n’est plus devant l’image des risques, il est dans la chose, dans le chemin.

C'est en ce sens que Husserl parle du moment du passage à la vie philosophique – mais on peut l’étendre à toute démarche authentique et absolue de recherche du vrai – comme d’un moment de vocation, dans l’Introduction de la Philosophie Première, II. Il y montre comment la démarche philosophique consiste pour l’homme philosophe, l’homme entier, l’esprit et le corps, comme un moment où il engage la totalité de sa vie connaissante, certes, mais aussi et surtout sa vie complète : « Devenir philosophe en ce sens le plus authentique du mot, implique que lui incombe une décision correspondante qui engagera sa vie de manière absolument radicale, une décision qui fera de sa vie une vie pas vocation absolue. » Le radicalisme de cette vocation vient de ce que le sujet connaissant doit décider qu’il ne renoncera plus à la vérité pour des motifs personnels, particuliers, il doit se consacrer à la recherche de la vérité de manière entière, chercher à assurer ses positions par tous ses moyens. Et c'est en tant que « moi pratique » que l’homme fait cette démarche, c'est en ce sens que la recherche de la vérité est une prise de risque, on y engage sa vie non seulement spirituelle mais matérielle. Mais puisque le chercheur de la vérité a compris que la possession spirituelle de la vérité valait plus qu’une vie matérielle dans l’illusion, la perte de cette dernière n’a plus de signification réelle, il est prêt à sacrifier sa vie – pas inutilement, mais si la vérité le demande. Car pour celui qui cherche la vérité, pour celui qui a si radicalement fait ce que Platon désigne comme la « profession de foi du philosophe » (Phédon), le fait même de ne pas respecter cette promesse de chercher le vrai implique une « aberration de soi-même, un devenir-infidèle-à-soi-même » (Philosophie Première).

Conclusion

La recherche de la vérité, comme nous l’avons vu, semble donc une entreprise qui implique une prise de risque réel, pour notre vie d’homme, et également intellectuels – mais avec des implications pratiques – dans la mesure où pour cette quête, nous devons être prêts à renoncer à ce qui nous semble certain. Mais nous voyons en examinant la nature même de cette quête, que le risque est pris seulement parce que celui qui cherche, ayant estimé ce qu’il s’apprête à risquer, considère que cela vaut moins que ce qu’il cherche, et même, il ne le risque que parce qu’il ne s’en contente pas. En sorte que le risque, paradoxalement, n’existe que pour celui qui se le représente, le confronte, et l’affronte dans le but de l’abolir. Pour le sujet connaissant qui cherche la vérité, le risque disparaît lorsque le moment de la peur est surmonté, car l’homme ne fait ensuite plus qu’un avec la recherche, il s’y consacre avec toute sa volonté et ne craint plus de perdre ce dont il conçoit la vanité. Le risque se transforme donc pour le chercheur, au fond, car le danger ne vient plus de la recherche même, il peut venir de l’homme, il lui faut être toujours vigilant pour être à la hauteur de sa quête.