Malraux, La Condition humaine : Dernière nuit en prison

L'analyse linéaire du texte.

Dernière mise à jour : • Proposé par: Qunxsx17 (élève)

Texte étudié

Ô prison, lieu où s’arrête le temps, - qui continue ailleurs… Non ! C’était dans ce préau séparé de tous par les mitrailleuses, que la révolution, quel que fût son sort, quel que fût le lieu de sa résurrection, aurait reçu le coup de grâce ; partout où les hommes travaillent dans la peine, dans l’absurdité, dans l’humiliation, on pensait à des condamnés semblables à ceux-là comme les croyants prient ; et, dans la ville, on commençait à aimer ces mourants comme s’ils eussent été déjà des morts… Entre tout ce que cette dernière nuit couvrait de la terre, ce lieu de râles était sans doute le plus lourd d’amour viril. Gémir avec cette foule couchée, rejoindre jusque dans son murmure de plaintes cette souffrance sacrifiée… Et une rumeur inattendue prolongeait jusqu’au fond de la nuit ce chuchotement de la douleur : ainsi qu’Hemelrich, presque tous ces hommes avaient des enfants. Pourtant, la fatalité acceptée par eux montait avec leur bourdonnement de blessés comme la paix du soir, recouvrait Kyo, ses yeux fermés, ses mains croisées sur son corps abandonné, avec une majesté de chat funèbre. Il aurait combattu pour ce qui, de son temps, aurait été chargé du sens le plus fort et du plus grand espoir ; il mourrait parmi ceux avec qui il aurait voulu vivre ; il mourrait, comme chacun de ces hommes couchés, pour avoir donné un sens à sa vie. Qu’eût valu une vie pour laquelle il n’eût pas accepté de mourir ? Il est facile de mourir quand on ne meurt pas seul. Mort saturée de ce chevrotement fraternel, assemblée de vaincus où des multitudes reconnaîtraient leurs martyrs, légende sanglante dont se font les légendes dorées ! Comment, déjà regardé par la mort, ne pas entendre ce murmure de sacrifice humain qui lui criait que le cœur viril des hommes est un refuge à morts qui vaut bien l'esprit ?

Malraux, La Condition humaine

La Condition humaine, roman d’André Malraux publié dans l’entre-deux guerres, en 1933, raconte le parcours d'un groupe de révolutionnaires communistes. Ils préparent le soulèvement de la ville de Shanghai, survenu quelques années auparavant, du 21 mars au 13 avril 1927.

Opprimés et humiliés par les Occidentaux, les révolutionnaires cherchent un sens à leur vie et trouvent dans le communisme une raison valable de mourir. Le roman raconte ainsi comment ces personnages meurent en héros, en idéalistes allant jusqu’au bout de leurs convictions.

Extrait

Kyo (personnage principal, révolutionnaire communiste) a été condamné à mort et attend son exécution. Il est fait ici le récit de la dernière nuit.

Enjeux de l’extrait

Dans une atmosphère pesante et grave l'extrait montre la beauté du sacrifice, célèbre les condamnés et les évoque comme des martyrs, justifiant le sacrifice et la mort par la légitimité et la nécessité du combat

Problématiques possibles

Comment, par le récit de la dernière nuit des condamnés, Malraux fait-il de leur sacrifice un acte créateur ?

Mouvements

- La prison, lieu sacré (lignes 1 à 9)
- Justification et célébration du sacrifice (lignes 8 à 21)

I. Description de la prison comme un lieu sacré (lignes 1 à 9)

« Ô prison », « résurrection », « grâce », « souffrance sacrifiée » : le lieu est sacralisé, et ce dans tout l’extrait. L'atmosphère est grave, pesante, apaisée.

Le narrateur externe, semble réfléchir ou chercher ses mots. Son interjection (le « Ô » vocatif) ressemble à une prière. La ponctuation de la la première phrase est hachée et hésitante (juxtaposition, subordonnée relative apposée entre tirets, aposiopèse et exclamation).

La dimension mystique du lieu, hors du temps et hors du monde, est contredite par la négation « non ! ». De même que les verbes à l'imparfait « c'était » et conditionnel passé « aurait reçu » montrent qu'ici se rejoignent les condamnés et les autres hommes, et évoquent déjà la fatalité, à savoir que la révolution est destinée à être réprimée, quoi qu’il arrive. Cela est par ailleurs souligné par les propositions subordonnées successives « quel que fût son sort, quel que fût le lieu de sa résurrection ».

La sémantique du sacré, et l'expression de la totalité « de tous », montrent que la révolution est aussi destinée à renaître ailleurs, et que celle-ci a un

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