L'art a t-il pour seule fonction de nous plonger dans l'imaginaire ?

Devoir maison. Le professeur a commenté: "devoir d'une grande qualité mais peut être un peu trop approfondi - 15/20".

Dernière mise à jour : 15/08/2023 • Proposé par: Sara.hmn (élève)

Au sujet du réel dans les œuvres littéraires, le célèbre écrivain et philosophe Albert Camus déclare « l’art n’est ni le réel tout seul, ni l’imagination toute seule, mais l’imagination à partir du réel », de cette manière, nous pouvons définir l’art comme étant le domaine de l’activité humaine lié à la fabrication, qui prend des formes historiques diverses des pyramides d’Égypte jusqu’à l’art abstrait en se basant sur le fictif et le réel. L’art au singulier désigne la création d’œuvres esthétiques autrement dit la création des beaux-arts et est le produit de l’imagination, par opposition au réel dans la mesure où c’est une expérience qui vue et limitée par les barrières d’un monde fictif. La fonction de l’art réside essentiellement en un divertissement et une escapade au réel avec la création d’un monde fictif. Si le terme de « fiction » peut paraître récent et susciter un engouement renouvelé dans le domaine de la philosophie depuis plusieurs décennies, la pratique est forte ancienne et consiste à inventer et raconter des histoires, à imaginer des mondes et des personnages, c’est l’ensemble des choses produites par un esprit de l’imagination.

Nous pouvons observer que les œuvres d’art ne sont pas des objets comme les autres par leur détachement du monde commun, celui de la quotidienneté où les objets et instruments se laissent oublier et du monde de la marchandise où la circulation des objets en fait de simples produits de consommation. C’est dans ce contexte que nous pouvons nous poser la question suivante : la seule fonction de la création artistique est elle seulement de nous plonger dans l’imaginaire ou au contraire nous permettre l’accès à l’effectivité du monde et du réel sous une forme particulière ? Nous verrons de prime abord que la création artistique résulte de la fiction, car elle est une œuvre de l’imagination pour ensuite voir que la fonction de l’art peut également être la manifestation du réel par l’originalité de l’homme. Enfin, nous verrons que l’art peut être symbole du dépassement des barrières fiction/réalité débouchant sur le développement d’une société humaine.

I. La création artistique résulte de la fiction

D’emblée, nous pouvons constater que l’art est tout d’abord fiction parce qu'il nous emmène dans un univers imaginaire qui constitue une entité homogène, cohérente, dotée de sa logique propre. L’imagination ne produit pas seulement des images, mais un imaginaire comme un ensemble d'images constitué en un tout unifié et cohérent, qui nous écarte, nous éloigne du réel, de ses lois contraignantes et pesantes, de son ennuyeuse banalité. c'est le divertissement qui, s'il n'est pas la finalité de l'art, peut en être l'un des effets. l'art fait diversion par rapport à notre quotidien. En guise d’exemple, nous pouvons citer la Nouvelle Héloise de Rousseau paru en 1761 où le désir est la souffrance de l’absence de quelque chose qui n’est pas en sa possession, pour combler ce manque, l’imagination entre en jeu, car il ne subit pas les limites du réel, si on obtient par la suite l’objet cela peut décevoir l’individu, car l’objet n’est pas à l’espérance attendue. Nous pouvons citer le chapitre VIII de l’ouvrage avec «  Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité et tel est le néant des choses humaines, qu'hors l'Être existant par lui-même, il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas. » où Rousseau aborde les thèmes du désir, du bonheur et de l'imagination. Il souligne l'importance de l'imagination dans le développement du désir. Il soutient ici la thèse selon laquelle le désir se nourrit de l'imagination plus que la jouissance de sa réalisation décevante qui apporte le bonheur de sorte que l'univers imaginaire des objets idéalisés du désir a plus de valeur pour l'existence de l'homme que toutes les richesses acquises. Pour soutenir cette thèse, l'auteur met en garde quiconque n'éprouverait plus aucun désir parce qu'il possède tout ce à quoi il a aspiré. Il explique que les objets ne sont désirables, n'ont de valeur que parce que l'imagination les embellit, nous les rend tangibles à travers un espoir protéiforme alors que leur réalité découverte dans la possession de ces objets nous révèle leur fadeur, nous dépossède des illusions valorisantes dont nous les avions parés. Rousseau peut alors conclure que seul ce monde imaginaire créé à l'occasion du désir rend la vie de l'homme digne d'être vécu. L’art donne à son créateur l’occasion de choisir lui-même un espace et un temps, il peut de cette manière inventer le lieu et la temporalité de son œuvre. Nous pouvons alors nous référer à Spinoza avec son œuvre Ethique où il propose une réflexion sur la logique propre de l’imagination, une logique différente de celle du réel qui régit par liens de causalité et où il dénonce les préjugés finalistes propres à Aristote dans l’Appendice, livre I où la cause est avant l’effet dans l’échelle du temps ou le but peut être une cause.

Ensuite, nous pouvons voir que l’art est en partie fiction de par sa représentation qui déforme, transfigure ou défigure, sublime ou pervertit la réalité qu'elle représente. La copie du réel que propose l'art est une copie déformée et c'est en cela qu'il nous éloigne aussi du réel et n’est présent que dans un imaginaire. L’art est une création donc une vision subjective du monde tel que l’artiste le perçoit qui peut faire l’objet d’une transfiguration de la réalité par la sublimation ou la perversion. Pour Platon l’art est une activité mensongère puisqu’il consiste à produire des faux-semblants. L’art est une illusion et nous ramène au monde sensible, alors que la vérité, selon la métaphysique platonicienne, existe dans le monde intelligible. La vérité ne se perçoit,pas, elle ne peut que se penser et cette thèse qui est exposée dans La République. L’art n’est en effet qu’une « mimésis » (imitation) qui se donne pour but de copier la beauté naturelle, mais il est trompeur. L’artiste n’est qu’un illusionniste qui n’a pas vraiment sa place dans la cité idéale. Platon insiste en écrivant dans le Phèdre que l’artiste est médiateur d’une force extérieure, inspirée par une force divine. Enfin, dans l’Ion, qui est également une critique de l’art, Platon dénonce le fait que le but de l’artiste est de susciter des émotions qui éloignent l’homme d’une maîtrise de soi et d’une lucidité permettant la réflexion. L’art n’est pas pour Platon, un mode d’accès à la vérité intelligible. De cette manière, nous pourrions alors faire le rapprochement entre les termes fiction et illusion étant donné que l’artiste donne à voir le produit de son imagination, une illusion constituée de toute pièce en fonction de la perception et de son rapport. C’est ce qu’affirme Proust dans Le Temps Retrouvé « le style pour l’écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision », l’art n’est donc pas une technique, mais une vision fictive. Elle peut alors être sublimée comme Kant l’énonce dans Critique de la faculté de juger, c’est alors une « production de belle représentations et pas une représentation de choses belles », seul résultat importe et non l’objet. La mimesis correspond également à la transformation du laid en beau, il y a donc une épuration du réel et de sa laideur physique/morale, c’est dans ce cadre que nous retrouver chez Baudelaire L’Alchimie qui est le motif structurant en profondeur la réflexion baudelairienne autour de la création poétique. Baudelaire se considère comme un alchimiste qui transforme la laideur du réel en beauté : « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or », écrit-il dans son poème « Orgueil ». Le poète se doit de transformer le réel par le verbe, en en extrayant la quintessence.  C’est notamment dans « Une charogne » que la laideur devient un objet poétique étant donné qu’il utilise l’art traditionnel pour construire en partie la fiction afin de sublimer un cadavre qui apparaîtrait comme repoussant.

Enfin, le but premier de l’art par définition n’est pas d’imiter le réel, la nature, même dans le cas de l’art imitatif. La nature, comme création de Dieu, suscite l’admiration chez l’homme ; elle peut symboliser la liberté qui correspond à une représentation très importante dans histoire de l’art. Le but de l’art est d’abord de se démarquer avec un objet trivial (nature morte) grâce à notre style, notre originalité. L’art est ici donc bien fiction, car comme l’affirme Hegel c’est une esthétique, une copie qui n’est jamais fidèle donc forcément un échec, car il n’est pas la nature et copier la nature est donc inutile, car elle déjà présente tout autour de nous. Ce n’est pas le but de l’art, nous pouvons citer en guise d’exemple le chant du rossignol qui est spontané, pas réfléchi, ni travaillé. Pourquoi sommes-nous déçus quand on apprend le simulacre ? Car c’est une imitation ce qui provoque une impression de tromperie par simple prouesse technique « ce qui nous réjouit donc ici c’est l’imitation de l’humain par la nature » ce qui impose un paradoxe au vu du fait qu’ il n’y a aucune réflexion dans la nature ≠ Art

Ainsi, l’art est le produit de l’imagination. Cependant réduire son champ à la fiction serait ignoré en partie d’autres aspects de la création artistique. Même si elle est le produit de l’imagination, l’œuvre d’art est un objet bien réel. Dès lors, elle appartient à une société, une époque, s’inscrit dans une histoire et ne s’inscrit pas ainsi uniquement dans la fiction.

II. La fonction de l’art peut également être la manifestation du réel

En effet nous pouvons voir que l’art n’est pas que fiction dans la mesure où la création artistique peut utiliser l’imaginaire pour mieux faire percevoir la vérité, la rendre plus accessible. C’est le cas par exemple de nombreux films. Ainsi « Star Wars » connu de tous n’est pas seulement un film de l’espace peuplé de créatures peu ordinaires, mais il peut être vu comme une volonté de l’artiste de faire comprendre la guerre froide. On symbolise donc l’URSS par les guerres au sabre laser rouge qui correspond à la couleur du communisme et malgré les apparences d’une fiction purement distrayante, il s’agit en fait d’une réalité dévoilée d’une manière particulière. La fiction a également été un moyen pour de nombreux auteurs de dénoncer des réalités comme l’injustice, l’arbitraire, la guerre et l’esclavage. Dans Candide, de Voltaire, nous pouvons nous référer au fait que l’auteur reprend le conte afin de lui donner une dimension philosophique en passant par la fiction, et en abordant tous les sujets philosophiques du temps de l’auteur: la religion et le fanatisme, la liberté politique et la tyrannie, la connaissance et l’obscurantisme, le bonheur et la fatalité, la liberté et l’esclavage. À travers l’eldorado, Voltaire dénonce l’utopie : un monde parfait n’existe pas. C’est le réalisme qui doit prévaloir chez l’homme rationnel, et non la croyance en une société harmonieuse, qui n’existe pas et ne peut pas exister. L’art ne se restreint donc pas qu’à la fiction donc, mais nous fait prendre conscience de certains sujets relevant du réel par des moyens détournés. Si l’art a été contrôlé durant certaines périodes de l’histoire, c’est qu’il permettait aux artistes d’exprimer une vérité, une vérité qui dérangerait les dirigeants des dictatures par exemple. S’il n’avait été qu’illusion et fiction, les autorités n’auraient pas pris peur des artistes qui avaient en quelque sorte le pouvoir de dévoiler certaines réalités, certains dysfonctionnements bien réels. Ainsi, avant la chute du mur de Berlin, la stasi surveillait constamment les artistes de l’Allemagne de l’est.

Bergson propose de définir l’art à travers sa fonction. Selon lui, l’artiste est un personnage central de la société étant donné qu’il nous apporte des informations précieuses, il a donc un statut voisin de celui de scientifique. Non seulement l’artiste nous informe sur le monde et sur nous même, mais il révèle également notre sensibilité et notre esprit. L’artiste qui exprime une idée et une émotion leur donne une forme objective. Nous avons comme unique centre d’intérêt l’utilité et la rentabilité, la société nous conditionne à servir l’intérêt général, l’ensemble de ce qui relève de l’individuelle est mal aimé par celle-ci. L’artiste lui est chargé à travers ses œuvres de révéler la sensibilité humaine, nous pouvons alors nous référer "Le Cri" d'Edvard Munch qui est sans doute l’un des tableaux les plus anxiogènes de sa génération qui offre cette vision de ce personnage, tenant sa tête, entre ses mains longues et fines, les yeux sont écarquillés d'épouvante, la bouche béante pousse un cri silencieux. Le ciel est ardent, couleur sang, ondulant et mouvant , la mer est sombre et l'être spectral marche le long d'une fragile balustrade. Deux ombres inquiétantes, silhouettes fantomatiques, s'éloignent d'un pas menaçant vers l'horizon ; la scène n'offre aucune échappatoire, en le regardant un profond sentiment de malaise s’installe. Ce qui intéresse surtout Munch ce sont "les impressions de l'âme et non celles des yeux". Il vit l'art comme une vocation ; il s'agit pour lui d'un "flux de conscience". Le rouge dans sa symbolique le renvoie au feu, au sang et à la souffrance... Comme les touches de bleu noir dans la lande préfigurent la mort et le vide. C'est un tableau empreint de violence et d'un réel malaise. Bien que fictif, l’effet suscité par le tableau quant à lui est bien réel, Le Cri a eu de nombreux échos ; souvent utilisé pour symboliser l'homme moderne emporté par une crise d'angoisse existentielle ; il a été sérigraphié par Andy Wahrol. L’art appartient bel et bien au réel de par son lien entretenu avec le monde des choses qui sont, qui produisent des effets – mon rêve, même si son contenu est imaginaire, est lui bien réel puisqu’il produit des effets sur moi. L’œuvre d’art malgré son contenu imaginaire produit des effets sur les individus qui l’observent, elle existe, nous pouvons la toucher, la voir, l’entendre, la lire.

Enfin les œuvres d’art sont les témoins historiques des préoccupations d’une société à une époque donnée. Elles appartiennent à une époque et sont le résultat d'une histoire, d’une culture dont les productions sont propres à un peuple, un lieu et une époque. C’est le témoin de l’évolution d’une technique dans le temps qui représente des réalités fondamentalement de l’Histoire. La création artistique appartient donc à la culture qui varie selon l’outil, la religion, le pouvoir politique et la société qui permet d’en apprendre sur une époque. Nous pouvons dès lors citer en guise d’exemple le célèbre tableau "La Liberté guidant le peuple" d’Eugène Delacroix qui à travers la toile glorifie le peuple citoyen « noble, beau et grand ». Historique et politique, il témoigne du dernier sursaut de l’Ancien Régime et symbolise la Liberté et la révolution picturale.Cette peinture est ancrée dans un contexte historique très fort. Le peintre ne s'en cache pas et l'assume dès la genèse de l'œuvre. On ne regarde pas "Guernica" de Picasso sans savoir qu’une réalité historique est exprimée à travers ce tableau qui représente le bombardement de la ville éponyme lors de la guerre civile espagnole, et est l'un des plus célèbres tableaux de Pablo Picasso et l'une des représentations les plus puissantes des horreurs de la guerre et Molière à travers toutes ses comédies met en scène les réalités de son époque. Même dans le surréalisme, le dadaïsme, une vision du monde absurde est dévoilée. Alors qu’on pourrait penser que la musique  de Frank Zappa n’est qu’un enchevêtrement de sons destinés à nous transporter vers un autre monde, il cherche en fait à nous faire part de sa critique des États-Unis contemporaine. Ainsi la dimension historique qui se cache dans toute œuvre d’art, même dans celle de Marcel Duchamp où on peut trouver dans l’interrogation à propos de l’ontologie de l’œuvre d’art et dans la question de savoir si tout peut devenir de l’art, une réflexion de notre époque),étend la fonction de l’art.

III. l’art peut être symbole du dépassement des barrières fiction/réalité

Ainsi, nous pouvons dire que l’art peut également être la manifestation du réel par l’originalité de l’homme. Nonobstant, l’art peut être symbole du dépassement des barrières fiction/réalité débouchant sur le développement d’une société humaine.

De surcroît, nous pouvons considérer également l’art comme un moyen d’expression. C’est justement cette gratuité qui permet à l’art de constituer un langage plus adapté pour parler du monde réel, car en se détournant du réel quotidien, trivial, préoccupé par l’intérêt et l’utile, l’art nous permet d’être au plus près du réel sensible, singulier. L’art n’est pas prisonnier de préoccupations utilitaires tel que la préoccupation économique et s’oppose au fait que nous nous limitons souvent dans notre recherche de l’amélioration, de par un souci de survie et d’efficacité, de notre existence à ne voir que ce qui nous intéresse tandis que l’art n’a aucune attache. Le caractère inutile de l’art permet de nous libérer de ces préoccupations : regard subjectif, montre la chose pour elle-même sans sensibilité particulière. Proust dans son ouvrage Le Temps Retrouvé affirme que l’art dévoile une subjectivité et que l’œuvre d’art est la manifestation d’expression et d’éducation de par le développement de la subjectivité avec une confrontation avec celle de l’auteur, on apprend à aimer ou déprécier une œuvre. L’usage de l’art est donc au centre du réel et permet de faire passer un message que le langage ne permet pas de transmettre. Einstein lui affirme qu’aucun discours n’a une représentation parfaite, que l’art est un outil de représentation et donc de dévoilement de la vérité, c’est une modélisation du réel avec la science, les religions… Bien qu’il ne peut pas se substitué à la science, l'art peut quand bien même la compléter ce qui permettrait un conditionnement mutuel de ces deux domaines.

Pour aller dans ce sens, l’art en tant que moyen d’expression peut également également épurer les mauvaises passions (catharsis) avec la tragédie, l'art qui convertit les passions de l'homme. Du plaisir esthétique à la vertu thérapeutique, la tragédie élève spirituellement et moralement l'homme. La catharsis est la purification des émotions effectuée au moyen de l’art et tout particulièrement grâce à la crainte et à la pitié émanant du récit tragique. Dans la Poétique, Aristote étudie méticuleusement le récit tragique. Il explique que le tragédien vise à susciter la stupeur chez son public en proposant des personnages impuissants face au destin. En utilisant ces procédés, le tragédien envoûte son public et lui fait subtilement comprendre qu'entre la réalité et la fiction, il n'y a qu'un pas. La catharsis se base également sur le processus d'identification, l'art étant fondé sur l'imitation de la nature, la tragédie reprend les codes du réel et les représente dans la fiction. Grâce à cela, le sectateur peut se mettre à la place des acteurs, retrouvant des émotions et un environnement communs. Généralement, la tragédie use de deux émotions qui touchent le spectateur : la terreur et la pitié , ce qui pousse le spectateur à se poser la question "Et si j'étais à sa place, comment réagirais-je ?". En réalité, la catharsis convertit les émotions et purifie les passions. Elle agit sur la morale du spectateur qui se libère de tous ses désirs et fantasmes nocifs et malsains. Une fois le phénomène de surprise passé, le spectateur prend du plaisir à observer la scène puisqu'il est libéré d'un poids qui, jusqu'alors, lui pesait sans qu'il en ait nécessairement conscience. Après le plaisir purement esthétique vient la guérison thérapeutique. De même qu'à Athènes l'on pratiquer la purgation pour guérir certains maux tenaces, la musique peut, elle aussi, avoir un effet thérapeutique sur l'âme humaine. Parce que les sons des mélodies imitent les émotions humaines, les auditeurs se laissent transporter. Chaque mélodie est une réplique de leurs émotions : une fois écoutée, le sentiment en question s'amoindrit voire, parfois, se dissipe totalement.

De second abord, pour Aristote, l’activité artistique exprime au contraire un authentique effort de connaissance. Dans La Poétique, il dit que « la poésie est plus philosophique et plus noble que l’histoire » ; plus qu’une description simple de la réalité. L’art permet d’atteindre une vérité plus générale qu’une vérité immédiate. La finalité de l’art peut alors rejoindre celle de la philosophie. Bergson rejoint en partie cette thèse en écrivant que le but de l’art est de nous faire voir ce que l’on ne voit pas habituellement. L’artiste a pour rôle de faire surgir l’invisible dans le domaine du visible, il nous apprend à changer notre vision du monde et notre conscience ordinaire et appauvrie. Il nous en donne une vision plus intense en nous faisant ressentir des émotions nouvelles, nous conduit vers une vérité. Le dévoilement de la vérité est le même que le dévoilement d’une peinture au public : une découverte dont le médiateur est l’artiste. Hegel disait : « dans l’art nous n’avons pas simplement affaire à un jeu agréable, mais nous assistons au dévoilement de la vérité ». Avec ses procédés particuliers, l’artiste nous rapproche de la réalité. Les réalistes se donnaient pour credo non pas d’écrire la vie telle qu’elle était, d’abord parce qu’il faudrait des volumes énormes de papier et du temps à n’en plus finir, et parfois parce que le vrai n’est pas le vraisemblable, mais de la transformer en ajoutant un fil conducteur, en donnant de l’importance à certains détails pour rendre leur œuvre encore plus vraie comme l’expliquait Maupassant. Proust partageait cette idée : « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ». La littérature, comme tout art, nous aide à mieux voir la réalité.

Conclusion

Ainsi dire que l’art n’est que fiction serait une vision trop réductrice de celui-ci. Il permet en fait une expression plus aboutie, différente et révélatrice du monde, nous invitant à découvrir une vérité plus profonde et ancrée dans le réel.