Vivre en société, est-ce vivre libre ?

Dissertation écrite en première année de prépa littéraire dans le cadre d'une khôlle. Le professeur a conseillé de donner plus d'importance à la première thèse (à laquelle on s'oppose ici). Il a donné pour note 12/20.

Dernière mise à jour : 04/06/2022 • Proposé par: Ntournesol (élève)

Il nous est immédiatement possible de souligner l'opposition que ce sujet fait exister entre société et liberté, les deux étant associes à « vivre ». Vivre, c'est exister, être là dans l'instant présent, avoir des relations avec notre environnement. Subir des actions ou y participer, se savoir responsable de sa présence. Selon la question, on peut vivre en société et vivre libre, mais est-ce que les deux se rejoignent ? Mis à part les ermites, les êtres humains ne se sont jamais imaginés vivre seuls dans la nature. Ils ont toujours eu tendance à se regrouper pour former des sociétés, et ce quel que soit le lieu ou l'époque. Toutefois, ce mode de vie leur impose des contraintes, en effet, les hommes doivent obéir à des lois, suivre une certaine organisation liée à un emploi du temps qui est le même pour tous, ils doivent se respecter entre eux et se supporter, ils se doivent de ressentir la même chose que le groupe. Il semblerait donc que la société nous empêche d'être nous-mêmes, comme nous voulons l'être, car nous risquons d'être jugés et ne sommes donc pas libres à première vue. Ainsi, la vie en société nous permet-elle de nous rendre plus libres ou bien au contraire, menace-t-elle notre liberté ?

Cette question peut renvoyer à la notion de contradiction qu'Emmanuel Kant a appelée « l'insociable sociabilité », d'un côté, l'homme a tendance à vouloir vivre avec ses pairs, mais d'un autre, il ne veut pas des contraintes que lui impose la vie en société. Pour approfondir sur ce sujet, il est possible de travailler en s'intéressant d'abord à la notion de liberté et qu'est-ce que vivre libre avant de s'intéresser à la notion de société. Il sera ensuite possible de se demander comment associer les deux et s'il est possible de se sentir libre tout en vivant en société.

I. L'idée de liberté se définit à l'encontre de l'idée de société

De fait, être libre c'est faire ce que nous voulons, sans limites, c'est-à-dire pouvoir agir et parler comme on le souhaite, au-delà de toute obligation ou interdiction.

Dans la mesure ou le lieu de vie de l'humain, la société est une organisation faite de lois et de sources de pression pour la personne,il semble apparaître un très fort degré d'incompatibilité entre la liberté individuelle et la vie collective en société. Une « menace » n'est pas exactement un péril en soi, mais plutôt un péril en puissance, la vie en société est un danger, elle réduit grandement nos chances de liberté, de plus si vivre c'est être libre (Guillaume Musso, romancier*), alors être libre c'est vivre -par syllogisme, et dans ce cas, vivre en société n'est pas vraiment vivre. Il est alors possible de comparer la société au mythe de la caverne de Platon, excepté que nous savons que nous y sommes emprisonnés et que nous ne pouvons pas en sortir.

Une des solutions qui se présente alors est l'anarchisme, le fait de concevoir une vie en dehors de la société, en dehors de toute organisation, de tous pouvoirs politiques... Pour les anarchistes, leur système social est le seul qui peut garantir la liberté, sous condition de l'absence de toute société organisée en État qui empêche l'humain de l'atteindre (la liberté). De plus, l'homme serait libre de nature et c'est les fondements de la société qui l'empêcheraient de s'épanouir en se passant d'une autorité. Sa liberté comprend aussi la liberté de changer d'avis qui s'oppose à la demande d'engagement pour la société (les votes par exemple). La vie en société va dans le sens inverse de la notion de liberté et ne la permet donc pas. Pour être libre, il faudrait donc se retirer de toute société humaine organisée en état, il faudrait mener une vie spontanée dans laquelle on laisse libre cours à nos envies et où l'on se rapproche de la nature, cette vie nous correspondrait mieux et nous rendrait heureux, il faudrait donc la choisir plutôt que la vie en société.

Cependant, cette vie libre nécessite de renoncer au milieu que l'homme a toujours connu et dans lequel il a très longtemps vécu. Mais est-ce réellement possible ?

II. Mais une liberté sans société implique une absence de progrès et de sécurité

Même si la vie dans la nature apporte un fort sentiment d'évasion, c'est à la sécurité et aux moyens techniques que nous offre la société que l'humain doit sa liberté.

En effet des combinaisons de plongée créées par les hommes pour les hommes permettent de nager en eau froide, un véhicule sur roue permet de se déplacer plus vite, d'explorer plus de lieux et de nombreux dispositifs permettent à l'homme de voler, action symbolique de la liberté. La vie en société n'est peut-être alors pas un obstacle, mais une condition de la liberté. Elle permet d'échanger des biens matériels comme intellectuels et semble alors indispensable à la vie humaine puisqu'elle fait partie de sa nature. La vie en société serait donc pour l'homme la seule vie possible, et celui qui vit seul perd son humanité. Aristote considère que l'homme est l'animal politique, donc un être naturellement social. L'homme est fait pour vivre en compagnie de ses pairs pour atteindre son indépendance. Ainsi, un boulanger donnera du pain à un charcutier qui ne sait pas en faire, et un charcutier donnera de la viande à un boulanger qui ne sait pas la préparer. Dans ce cas là, la liberté se base sur la bonne entente, on sait que l'on ne peut pas combler nos besoins nous-mêmes alors on aura besoin des autres pour nous assister et combler nos besoins naturels, ce qu'il nous est impossible de faire seul.

Pour Rousseau (Lumières), l'homme naît libre, mais devient prisonnier, idée qu'il exprime dans son Contrat Social. La liberté est selon lui un droit accordé par la nature, mais qui est écrasée par les sociétés et les états pour faire de l'homme un esclave. Alors, la question qu'il se pose est : comment l'homme peut-il retrouver sa liberté dans une société, et quel type de société le permettrait ? Pour lui, la république est une réponse, il l'explique par le fait qu'à la place d'une liberté individuelle se forme une liberté collective, la première étant limitée par nos capacités physiques, notre solitude, l'environnement qui peut être trop hostile pour une personne seule. La vie dépendrait de notre capacité à nous unir et à nous organiser, une république demande à chacun l'abandon de sa liberté à faire ce qu'il veut au profit de la liberté commune qui elle est garantie par les lois que tous ont décidé de respecter. Ainsi, en s'associant par choix, il est possible pour les hommes de garantir leur sécurité et celle de leurs biens tout en conservant leur liberté, car ils auront fait le choix de vivre ensemble. Le cadre législatif est donc une condition pour que la vie en société ne menace pas les libertés naturelles de chacun (penser, s'exprimer, se déplacer...) À partir de là, ce qui risque de détruire la liberté existante dans la vie en société est le manque de sécurité. Pour Rousseau, le contrat social est basé sur l'équilibre entre la liberté et la sécurité, or, la liberté est peut-être un risque pour notre sécurité, et sans sécurité, on peut ne pas être réellement libres.

Ainsi, la vie en société nécessite une sécurité qui peut venir menacer la liberté. Mais quel rapport entre la liberté et la sécurité est-il préférable d'avoir pour un homme ? Plus de sécurité au détriment de la liberté ou plus de liberté au risque de mettre en péril la sécurité ?

III. La société permet de décider en commun des règles qu'on s'applique

Il se peut que la satisfaction du besoin de sécurité menace la liberté, mais cela est un mal nécessaire.

L'homme, selon Hobbes, choisirait la sécurité plutôt que la liberté, car il est mauvais par nature, il est donc méfiant envers tous ses semblables et n'est intéressé que par lui-même. S'ils avaient trop de liberté, les hommes seraient en constant état de guerre, car ils voudraient du mal aux autres, et sauraient que les autres leur veulent également du mal. Ainsi, ce ne serait pas le fait de vivre en société qui serait une menace pour la liberté, mais la liberté qui constitue une menace pour la vie. La vie en société impose des règles à cette vie et ces règles sont nécessaires. Pour que l'état de paix soit garanti, et dans la mesure où l'homme est naturellement mauvais, ce dernier doit vouloir et accepter qu'un pouvoir, une autorité supérieure dicte des règles. Ce chef possède un pouvoir politique suffisant pour garantir la sécurité de chacun en prenant en retour leur liberté.

C'est parce que les hommes veulent moins de liberté et plus de sécurité qu'ils sont prêts à abandonner leurs libertés individuelles. Cette réduction des libertés volontaire devient alors la condition de la vie en société, car si l'homme est mauvais, il en reste intelligent et sait que la communauté a beaucoup à lui apporter. Mais l'homme est-il réellement mauvais par nature ? La société doit seulement composer avec un grand nombre d'opinions, d'idées, de caractères différents... Il nous a été donné de voir que, pendant la pandémie et avec les restrictions qu'elle a imposées en France, comme les limitations des déplacements, certains ont respecté les nouvelles règles qui se sont instaurées et ont vu dans la fermeté une forme de sécurité tandis que d'autres ont eu le sentiment de voir leur liberté arrachée avec l'interdiction de sortir et le port du masque obligatoire, qui étaient pourtant des mesures de sécurité prises pour leur bien. Ces contradictions résument bien le problème de rapport entre « vivre ensemble » et « vivre libre », alors que certains préféreront la sûreté et la tranquillité, d'autres privilégieront la liberté des personnes. Une partie de la population voudra un gouvernement plus sévère et l'autre un gouvernement plus laxiste.

Une république n'est qu'un compromis entre la sécurité et la liberté, si elle ne l'était pas elle ne pourrait pas prospérer. Vivre nécessite un certain niveau de sécurité et de là, la vie en société n'est pas une menace pour la liberté.

Conclusion

Pour conclure, la liberté dans une société s'exerce dans un cadre partagé que les citoyens délimitent ensemble de façon démocratique et qui se traduit par des lois auxquelles chacun accepte d'obéir. Ces lois sont une forme de limite, mais représente la sécurité, elles empêchent d'agir de façon inhumaine et permettent le bien vivre ensemble et ne sont par conséquent pas une menace pour la liberté. Pour répondre à la problématique, la vie en société nous permet d'être libres en présence de nos pairs et garantit en plus notre sécurité et celle de nos biens.