Verlaine, Dédicaces - Anniversaire

Commentaire littéraire très complet, en trois parties.

Dernière mise à jour : 13/03/2022 • Proposé par: tahina (élève)

Texte étudié

Je ne crois plus au langage des fleurs
Et l'Oiseau bleu pour moi ne chante plus.
Mes yeux se sont fatigués des couleurs
Et me voici las d'appels superflus.

C'est, en un mot, la triste cinquantaine.
Mon âge mûr, pour tous fruits tu ne portes
Que vue hésitante et marche incertaine
Et ta frondaison n'a que feuilles mortes !

Mais des amis venus de l'étranger, —
Nul n'est, dit-on, prophète en son pays —
Du moins ont voulu, non encourager,
Consoler un peu ces lustres haïs.

Ils ont grimpé jusques à mon étage

Et des fleurs plein les mains, d'un ton sans leurre.

Souhaité gentiment à mon sot âge

Beaucoup d'autres ans et santé meilleure,

Et comme on buvait à ces vœux du cœur
Le vin d'or qui rit dans le cristal fin.
Il m'a semblé que des bouquets, en chœur,
S'élevaient des voix sur un air divin ;

Et comme le pinson de ma fenêtre
Et le canari, son voisin de cage.
Pépiaient, gaiement, je crus reconnaître
L'Qiseau bleu qui chantait dans le bocage.

Verlaine, Dédicaces - Anniversaire

La fin du XIXe siècle voit à la fois l’instauration de la IIIe République et la confirmation des libertés fondamentales. Ainsi, de nouveaux courants de pensée émergent en ce siècle justement appelé siècle des Lumières. Courants de pensée qui ne laissent pas indifférents artistes et poètes qui affranchissent peu à peu leur pratique des règles passées.

Incarnation du poète maudit, Paul Verlaine, écrivain et poète, lègue à la postérité une poésie légère et mélancolique. Dans un contexte dominé par le romantisme et les modernistes prônant l’art pour l’art, Verlaine se distingue par une écriture singulière, annonciatrice du mouvement symboliste, et plus tard surréaliste dominé par Apollinaire. Il écrit notamment en 1894 Dédicaces, recueil de poèmes explorant la poésie de l’hommage. Il écrit notamment “Anniversaire”, un poème du recueil, est ainsi dédicacé à un peintre britannique : William Rothenstein. Cette dédicace traite de l‘âge mûr avec humour, d’un ton enivré.

Nous allons voir comment Verlaine montre sa particularité en choisissant d’aborder des thèmes classiques avec un ton décalé, moderne. Pour cela, nous allons dans un premier temps étudier comment le poème frappe par sa forme classique ; puis nous analyserons l’ironie présente, rendant le poème novateur et surprenant ; Enfin, nous verrons comment le poète s’assure la complicité du lecteur en choisissant une option narrative et un ton théâtral.

I. Une forme très classique

Avant tout, ce poème revêt une forme très classique car Verlaine ne renie pas l’héritage des classiques et romantiques qui l’ont précédé. Pour l’étudier, nous allons montrer comment la forme traditionnelle du poème lui permet d’avoir un aspect élégant et raffiné avant de présenter la musicalité ; pour terminer, nous montrerons le classique présent dans la thématique, notamment celle de la nature et du temps qui passe.

a) Une forme traditionnelle pour un aspect élégant

On peut dire en effet que Verlaine ne renie pas son éducation classique en tant que poète. Ainsi, avec “anniversaire”, il nous livre un poème à la composition très classique. Par conséquent, on perçoit ce poème comme extrêmement élégant. Ceci est visible notamment à travers des quatrains qui se succèdent sans fausse note. En effet, La strophe est un ensemble de vers isolé par des blancs. Il existe différents types de strophes, définies par le nombre de vers qu'elles comportent. Ici, toutes les strophes sont des quatrains, c’est-à-dire qu’elles sont composées de 4 vers. Malgré son apparente simplicité, tout au long de l'histoire littéraire, le quatrain se révèle d’un emploi très varié, ce qui fait de lui la strophe de base de la poésie française. En outre, Il n’existe pas véritablement de strophe de moins de quatre vers car non seulement la strophe doit former une unité de sens mais aussi être fondée sur une structure formant un système fermé. Le 1er quatrain, commençant par “je ne crois plus au langage des fleurs” au vers 1, introduit les 6 autres quatrains qui se succèdent tous également. Ainsi, chaque quatrain forme une pensée à lui seul. Le 1er quatrain annonce le thème du poème : l’âge mûr. Les 2 premiers quatrains exposent la vision la vieillesse d’un aspect plutôt négatif. Le thème du 3e quatrain est souligné par la marque d’opposition “mais”. Ce connecteur introduit le quatrain qui marque le basculement du poème dans une dimension plus positive. L’utilisation de quatrains traduise la volonté du poète de présenter un poème à la forme sobre puisqu’il s’agit du type de strophe le plus utilisé par les poètes.

Par ailleurs, cette allure simple et élégante est marquée dès le premier vers qui est un décasyllabe, comme tous les autres vers du poème. Le vers est une unité poétique qui correspond à une ligne. Il commence par une majuscule et s'achève généralement par une rime. Le mètre est défini par le nombre de syllabe qu’il comporte Pour compter les syllabes dans un vers, on utilise la règle de prononciation du « e » muet. Certains vers comportent une coupe au milieu du vers, la césure. Dans la poésie traditionnelle, les mètres sont généralement pairs. Le type de vers utilisé ici est le décasyllabe, un vers de 10 syllabe. Ainsi, le vers 1 : “je ne crois plus au langage des fleurs” est un décasyllabe annonce naturellement la structure très traditionnelle des autres vers, qui sont du même type. Il va effectivement respecter ce décompte des syllabes qui s’impose du début jusqu’à la fin.

Enfin, la richesse des rimes, renforce le caractère raffiné d’”Anniversaire”. Les 6 quatrains suivent une disposition des rimes semblable. Ce sont des rimes croisées. Mais ce qui rend ce poème véritablement élégant est la qualité des rimes. Certaines sont des rimes riches comme par exemple aux vers 5 et 7 : “cinquantaine” et “incertaine” comportent 3 sons communs : “t”, “ai” et le “ne”. La beauté du poème est donc rendue par la richesse des rimes.

Nous avons donc bien vu que par son apparence traditionnelle et élégante, Verlaine nous propose un poème à la forme classique, ce qui rend compte de son influence des Parnassiens.

b) Un classicisme à la travers la musicalité du poème

Le classicisme et l’élégance de Verlaine se ressent également à travers une puissante musicalité qui envahit les vers dans tout le poème. Sa construction classique évoque une chanson. Son poème sonne alors de manière virtuose. On peut dire qu’il sonne comme du hautbois et pas comme de la guitare. Cette idée est visible d’abord par le rythme répétitif des 6 quatrains. En effet, les 6 strophes s’apparentent à des refrains. Plus que musical, ce poème est donc considéré comme mélodieux, sobre et harmonieux. Ainsi, le poète nous montre qu’il sait ciseler les vers comme il cisèlerait des notes. Les quatrains se succèdent sans fausses notes. L’effet musical est plus particulièrement renforcé par les répétitions.

Verlaine utilise une figure de répétition : l’anaphore. Cette figure de style consiste à répéter un mot ou une expression en début de vers. Dès le 2e vers, la musicalité est visible par l’anaphore suivante : “et” qui est repris en début des vers 2, 3, 8 et 14. De même “et comme” est l’expression répétée au début des vers 17 et 21. Cette anaphore rythme le poème, et la répétition de la conjonction “et” repose sur un jeu d’échos sonores : le son se répétant cadence le poème. Le poème a un certain caractère incantatoire. Ce caractère met en avant un aspect négatif des vers 1 à 8 puis un aspect positif de la vieillesse des vers 14 au vers 24. Il s’explique clairement par la forme répétitive qui transforme ce poème en une musique mélodieuse. Cette apparence est importante dans ses œuvres poétiques et annonce le mouvement symboliste que nous traiterons plus loin.

De surcroît, Cet aspect musical est visible tout au long du poème par le champ lexical de la musique. Un champ lexical est l'ensemble des mots qui, dans un texte, se rapportent à une même notion. On note “chante” au vers 2, “air” au vers et “chantait” au vers 24. De plus, Verlaine utilise le vocabulaire de la parole avec les mots “langage” au vers 1, “appels” au vers 4, “rit” au vers 18 et “voix” au vers 20. Il nous fait ainsi partager ses sensations à travers les divers mots désignant l’ouïe. L’ensemble de ces termes utilisés ne peuvent que se rapporter à une volonté du poète de faire entendre une voix musicale et... L’utilisation de la musicalité dans un poème de l’âge mûr témoigne du classicisme du poète. C’est ainsi l’un des procédés utilisés pour donner un important caractère musical à l’anniversaire que Verlaine est en train de fêter dans ce poème.

Enfin, outre le rythme et le champ lexical, les sonorités des vers parlant de la “cinquantaine” de Verlaine participent à la musicalité du poème. En effet, Au sein même du vers, le poète crée des effets de musicalité par des répétitions de sonorités identiques. Il en existe 2 types qui sont l'assonance et l'allitération. Une assonance est la répétition d'un même son vocalique, c’est-à-dire d’un son comportant une voyelle. Et une allitération est la répétition d'un son consonantique, c’est-à-dire d’une consonne. Ces sonorités sont nombreuses dans le poème. On peut ainsi relever la reprise du son “on” dans le 3e quatrain. L’assonance est visible avec “on” et “son” au vers 10, “ont” et “non” au vers 11, “consoler" au vers 12 et, un peu plus loin “pinson” au vers 21. Cette assonance produit un effet harmonique d’insistance sur le rythme du poème et plus précisément de cette strophe. En effet, la sonorité mise en relief est douce. Elle est en lien avec la relaxation et langueur du poète. Des allitérations en “l”, “m et “n” dominent aussi le poème. C’est ainsi que les 2 premiers quatrains comportent des sonorités en “l” avec “plus”, “langage” et fleurs” au vers 1, “l’oiseau bleu” et “plus” au vers 2, “couleurs” au vers 3, “las”, “appels”, superflus” au vers 4. Concernant les allitérations en “m” et “n”, elles sont présentes avec “mot” et “cinquantaine” au vers 5, “mon”, “mûr” et “ne” au vers 6, “marche incertaine” au vers 7 et enfin “n’a” et “mortes” au vers 8. Ces douces allitérations lui confèrent une atmosphère calme et délicate. Ainsi, le poète cherche à créer des effets sonores, ce qui confirme que Verlaine recherchait bien à écrire un poème musical.

Nous voyons donc bien que le classicisme du poète se note dans le poème par la musicalité des vers.

c) La tradition lyrique se retrouve dans les thèmes abordés

Enfin, la tradition lyrique ne s’inscrit pas seulement par la forme, elle est également marquée par les thèmes abordés. Les sujets évoqués sont presque intemporels et universels, ce qui permet à Verlaine de toucher tout lecteur. En effet, on peut le voir déjà dans le thème de la nature évoqué, qui est un sujet devenu majeur en poésie avec les romantiques puisque le terme “nature” désigne en fait un lieu de repos. Dans “anniversaire”, Il traite du sujet de la nature, un thème qui lui est cher. Il utilise alors le champ lexical de la nature, c’est-à-dire que plusieurs mots dans le poème, se rapportent à une même notion, qui est celle de la nature. Le premier mot se rapportant à la nature est “fleurs” au vers 1, il est ensuite repris au vers 14. De même, “oiseau” au vers 1 et 24, “fruits” au vers 6, “frondaison” et “feuilles” au vers 8, “bouquet” au vers 19, “pinson” au vers 21 et “canari” au vers 22 font partie de ce champ lexical. Sans compter que ce thème est le matériel de base de la poésie. L’utilisation de ce champ lexical met en valeur la place qu’il accorde à la nature et montre l’inspiration lyrique et romantique de Verlaine. Alors que le poète était triste d’avoir atteint la “cinquantaine”, quand la nature revit et "l'oiseau bleu” v.24 se remet à chanter, il l'impression d’avoir finalement appris à apprécier le temps qui passe. Ainsi il lie le temps qui passe à la nature.

De plus, le lyrisme de Verlaine est aussi marqué par la personnification des éléments de son environnement. Il attribue des traits, des sentiments ou des comportements humains à un objet, un animal ou un élément concret, inanimé. Dans ce poème les éléments qui composent la nature sont personnifiés. C’est le cas des “fleurs” au premier vers, qui semble avoir un “langage”. Le comparé est “fleur”, qui est plante et donc un objet inanimé. Le comparant est la voix, illustré par le nom “langage”, une caractéristique humaine. Cela crée une tout autre image originale des “fleurs”, ce ne sont plus seulement des plantes qui peuvent servir de “bouquets” v.19, ce sont des petites entités qui ont la capacité de parler. Ainsi, Verlaine donne l’impression que la nature est très présente, vivante et proche. Il la met en mouvement dès le 1er vers. De surcroît, “les fleurs” sont une source d’inspiration intemporel pour les artistes et poètes. En désignant leurs voix, il fait donc référence à l’inspiration poétique.

Enfin, ces thèmes poétiques se trouvent exprimés à travers des métaphores lui permettant de parler du temps qui passe. A travers ce poème, on retrouve diverses métaphores du temps qui passe. Verlaine établit des analogies entre un comparé et un comparant sans outil comparatif. L’auteur vieillissant se compare à la nature en particulier au vers 8, “ta frondaison n’a que feuilles mortes !”. Cette comparaison avec la nature est exprimée implicitement puisqu’il n’y a pas d’outil de comparaison. Cependant l’expression “feuilles mortes” peut renvoyer aux sentiments du poète. Il cherche à montrer qu’il est anéanti à travers cette image de “feuilles” qui se laissent emporter au gré du vent.

Ainsi, il se lamente de l’âge qui avance, de la jeunesse perdue, et en fait, il prend à témoin les fleurs et les jardins. Tout cela s’inscrit en effet dans la continuité des poètes romantiques.

Transition: Nous avons donc vu que tous les éléments étaient réunis pour déclarer que ce poème à une dimension classique. Le poème va toutefois plus loin en intensité. Verlaine ne se contente pas de nous offrir un poème à la forme et aux thématiques classiques, mais cherche à surprendre le destinataire et lecteur. Nous allons voir comment cette recherche est rendue possible par L'introduction d’une touche onirique, puis par le fait qu’il iL fait appel à l’ironie pour transposer un thème qui semble d’abord austère, l’âge, la cinquantaine qu’il n’assume pas, en quelque chose qui va devenir une fête entre copains et enfin, c’est une manière pour lui de célébrer l’ivresse mais comme quelque chose de joyeux, de trivial.

II. Un poème novateur, qui surprend son lecteur

a) Un poème moderne par sa dimension symboliste

Cependant, la particularité de Verlaine est qu’il introduit une dimension symboliste qui annonce une modernité et beaucoup de surprise pour le lecteur, ce que vont développer plus tard Apollinaire et Cendrars, entre autres. Il est force de constater que si, Verlaine est inspiré par le groupe de Parnassiens auquel il appartient pendant un temps, il insère une dimension onirique qui est typique des symbolistes. Les symbolistes cherchent à créer des impressions plus que du sens, notamment par l'harmonie musicale.

La dimension onirique signifie le monde issu du rêve. Ceci est visible notamment à travers la référence à un conte merveilleux. En effet, dès le 1er quatrain du poème, l’”Oiseau bleu” introduit un aspect merveilleux par la référence au conte, souligné par la majuscule qui indique qu’il s’agit d’un élément important. Cette référence est reprise à la fin du poème, au vers 24. Au 1er vers, il est dit que “l’oiseau bleu pour moi ne chante plus”, puis le dernier vers s’oppose au premier en déclarant “l’oiseau bleu qui chantait dans le bocage”, ce qui montre que l’Oiseau bleu ouvre et ferme le poème et par conséquent l’accès à la nature. Cet oiseau est donc un symbole. En plus de donner un aspect merveilleux, le conte pousse particulièrement les portes donnant sur les souvenirs de la jeunesse enfuie de Verlaine. Le poète exprime alors dans le 1er quatrain, son angoisse de la fuite du temps en évoquant ce souvenir d’un conte qu’il a sûrement lu dans son enfance. La nostalgie d’un temps perdu est ainsi rendue par cette référence au conte merveilleux qui met en avant les souvenirs de son enfance.

Par ailleurs, cette dimension symboliste est marquée le pouvoir des mots utilisés par Verlaine. En effet, le 1er vers du poème marque l’entrée dans un jardin que nous est décrit en détail par la suite. Le poète a souhaité établir une analogie entre l’idée abstraite du temps qui passe et l’image d’un jardin, qui est chargée de l’exprimer. Cette analogie est notable à travers des métaphores. Cette figure de style désigne un rapprochement de 2 éléments sans outil de comparaison. Par exemple, au vers 6 et 7 “mon âge mûr, pour tous fruits tu ne portes que vue hésitante” est une métaphore végétale qui associe l’image du poète à un arbre fruitier.

Enfin, la différence d’apparence du jardin décrit entre le début et la fin, renforce la dimension symboliste du temps qui passe. En vérité, il s’agit d’une métaphore filée, car elle se poursuit sur plusieurs lignes ou vers. Ici, la métaphore s’étend dans tout le 2e quatrain. Le poète met l’accent sur la fusion entre les êtres humains avec “vue” et “marche” au vers 7, le paysage comme l’illustre “fruits” au vers 6, “frondaison” et feuilles au vers 8, et les sentiments comme le souligne “triste” au vers 5. Ainsi, le poète se penche sur le thème de la vieillesse. Il très nostalgique et développe un pessimisme mélancolique. L’évocation du paysage végétal et animal permet d’exprimer la mélancolie du poète et d’amener le destinataire et lecteur à la rêverie. De plus, on peut imaginer que “mûr” désigne l’été et plus loin, au vers 8, “feuille mortes” désigner l’automne, voire l’hiver. Le poète associe donc le temps qui passe au cycle des saison.

Nous avons donc bien vu que par l’introduction d’éléments symbolistes, Verlaine compose un poème en partie moderne, ce qui surprend le lecteur.

b) Une ironie sur la vieillesse

L’envie de surprendre le destinataire et le lecteur dans ce poème se voit également à travers la moquerie gentille de l’âge. Le poète se moque de lui-même dans tout le poème “Anniversaire”.

Cette idée est visible d’abord par l’usage ironique du champ lexical de la vieillesse. Cette voix personnelle du poète se moque de lui-même se poursuit d’ailleurs tout le long du poème, en particulier autour d’un jeu de mot, c’est-à-dire un jeu de langue qui manipule les mots ou des sonorités. On note que “que vue hésitante et marche incertaine” au vers 7 est ironique puisqu’il est rattaché à “cinquantaine”. Ce jeu de mot est lui-même une hyperbole, soit une exagération qui produit un effet d'amplification excessif par rapport à la réalité. Dans le vers 7 Verlaine exagère la réalité. En effet, il se décrit comme s’il avait en partie perdu la “vue” et la faculté de marcher, alors qu’il n’a que 50 ans, et qu’il est encore loin d’en arriver à cette situation. Les qualificatifs tels que “hésitante” ou “incertaine” au vers 7, ne peuvent qu’augmenter la dimension ironique en appuyant la vieillesse. Le dernier du quatrain : “mortes”, souligne le jeu de mot. Verlaine se moque de la vision pessimiste de la vieillesse (un peu contradictoire) en disant que sa fin de vie est très proche, alors qu’en vérité, il lui reste encore un quart de siècle à vivre. L’ironie naît de l’emploi de jeux de mots. C’est ainsi l’un des procédés utilisés pour montrer que se moque gentiment de la “cinquantaine”. Cela montre ce poème n’est pas une simple introspection mélancolique. Le ton décalé et ironique introduit la distance et la nuance.

Enfin, l’accumulation de termes pour qualifier la “cinquantaine” péjoratifs dans un 1e temps, puis mélioratifs dans un 2e temps, montre que le poète a un certain goût pour la nuance. Toute la 1e partie, les vers 1 à 8, est saturée par des termes péjoratifs, qui tendent à déprécier la notion auxquels ils s'appliquent. Ils sont variés et soulignent la vision de la “cinquantaine” par l’auteur. L’adverbe “plus” est répété aux v.1 et 2. On retrouve aussi “fatigués” au vers 3, “las” au vers 4, “triste”, “mortes” au vers 8. L’auteur commence ainsi par une vague de sentiments négatifs où disparaît même le “langage des fleurs”, c’est-à-dire les sentiments amoureux et “l’Oiseau bleu”. Tous les sentiments de joie disparaissent, tout comme les ”couleurs” v.3. A partir du 13e vers, jusqu’au dernier vers, le vocabulaire mélioratif prend le dessus, soit des termes comportant un trait présentant l'idée désignée sous un aspect favorable. En effet, “gentiment” V.15, “meilleure” v.16, “cœur” v.17, “rit” v.18, “gaiement” V.23, expriment la joie que retrouve l’auteur lors de l’arrivée de ses amis. Le “je” est donc utilisé subjectivement. Par les termes laissant paraître son opinion personnelle, l’auteur laisse deviner ses sentiments. Mais cela va plus loin, il se moque de ce cliché de la société qui dit qu’à partir d’un certain âge, la vie devient triste

Le poème est donc très nuancé qui permet de surprendre le lecteur. En lisant la 1e strophe, il pense que le poème parlera d’une vieillesse que n’accepte pas le poète, il ne se doute pas que la dernière strophe sera totalement opposée à la 1e.

c) Le thème de l'ivresse

Enfin, cette part de modernité n’est pas seulement visible par la dimension symboliste et l’ironie, mais se manifeste aussi à travers le thème de l’ivresse. En effet, on peut le voir déjà dans le vocabulaire employé. Verlaine utilise le champ lexical de l’ivresse. Le 4e quatrain désigne le moment convivial et joyeux qu’il passe avec ses amis, venus fêter son anniversaire avec lui. Nous pouvons deviner que cette soirée fut très riche en alcool. Ceci est tout d’abord visible par “buvait” au vers 17. Accompagné de “vœux” V.17, ce verbe désigne une scène triviale, où des amis ne que souhaitent que le bonheur du poète. L’ivresse est ensuite présente par “vin” au vers 17. Nous arrivons donc à des précisions sur le contenu des verres. Puis le verbe “semble” au vers 19 introduit l’idée d’une hallucination liée à la prise d’alcool. Ce lexique témoigne de la présence du thème de l’ivresse dans la poésie de Verlaine qui prend à témoin le lecteur, ce qui est très novateur. Cette insertion du thème de l’ivresse dans la poésie est aussi réalisée par Baudelaire, puis plus tard par Blaise Cendrars et Guillaume Apollinaire. Verlaine a exercé une certaine influence sur Apollinaire. Dans Alcools de ce dernier, et plus particulièrement dans le poème “nuit rhénane”, un lexique de l’ivresse est également présent. Le dernier vers isolé “Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire” fait non seulement référence à l’ivresse du poète mais aussi à la volonté de surprendre le lecteur.

De plus, l’ivresse pour oublier la mélancolie est aussi marquée par la personnification du “vin” au v.18. Cette figure de style d’analogie consiste à donner des qualités humaines à des éléments qui n’en n’ont pas naturellement. Dans le 5e quatrain, la personnification est le produit de la métaphore entre le comparé inanimé, à savoir “le vin” et le comparant animé illustré par le verbe “rit” v.18. Le poète attribue un réflexe propre à l’homme : le rire. Ce rire désigne celui des amis. Cela permet de crée une image surréelle qu’on retrouve chez les symbolistes. Encore une fois, le poète cherche à surprendre voire inquiéter par le caractère presque fantastique du vin.

Enfin, cette ivresse se trouve exprimée dans un jeu de mot entre les “fleurs” et le “vin”, qui est la source d’inspiration par excellence. En effet, dans la tradition antique, étaient organisée des fêtes célébrant le dieu de l’ivresse, de la démesure, de la folie, du théâtre et de la tragédie. Avaient alors lieu des concours de poésie et de tragédie. Il fait ainsi une équivoque jouant sur les ressemblances entre les mots. Ce jeu de mot est présent par le biais du mot “bouquet” au vers 19. Ce mot désigne à la fois les “fleurs” du vers 14, et à la fois le bouquet du vin, à savoir l’ensemble des sensations olfactives que procure un vin. Donc, ce jeu de mot lui permet de dire que pendant qu’ils étaient tous en train de boire et que le vin se remplissait dans son verre, il a eu l’impression qu’"en chœur" v.19, tous les bouquets qu’ils lui ont offerts, de vin et de fleurs, chantaient. Il nous dit alors qu’il devient ivre. Ce jeu de mot est suivi d’une Comparaison entre les anges qui chantent dans le firmament et le bruit du vin versé dans les verres. Tout le 5e quatrain est un jeu de mot rendant le thème de l’ivresse.

Transition: Ainsi, l’introduction du thème de l’ivresse comme le ton ironique et la dimension symboliste et onirique de ce poème annonce une certaine modernité chez Verlaine. Une modernité renforcée par l’option narrative privilégiée qui crée un lien entre auteur et lecteur. Pour étudier cette option, nous allons monter qu’ “Anniversaire” est écrit comme un récit adressé à un destinataire précis, puis, nous allons voir qu’il est riche de précisions très visuelles, avant de constater qu’il emprunte au style du théâtre les options de mise en scène.

III. Une option narrative et un ton théâtral

L'option narrative est d’autant plus visible par la progression narrative qui montre qu’on est bien dans un récit. Nous assistons à un poème qui part d’une situation initiale et s’étend jusqu’à la conclusion, le dénouement.

a) Une progression narrative

Ceci est visible notamment à travers le rythme lent du début. En effet, dans les 2 1se quatrain du poème, les phrases sont très longues, ce qui ralenti le rythme. Elle introduit la situation initiale du poète, qui est pour l’instant tout seul. C’est comme si le temps du récit était mis en pause pour placer le contexte. Il ‘s'agit d’un passage descriptif. Le poète décrit une nature avec les termes “fleurs” v.1, “Oiseau”, “fruits”, entre autres. Ce début descriptif facilite la compréhension et la complicité du destinataire et lecteurs. Ils peuvent ainsi mieux se représenter le jardin dans lequel semble se trouver le poète. On comprend qu’il se lamente du temps qui passe. On comprend aussi que le personnage principal est l’auteur puisque le “je”, v.1 renvoie au poète. Cette séquence ralenti le rythme du poème. C’est le départ du récit.

Par ailleurs, ce déroulement presque narratif est marqué au moment de l’arrivée des amis du poète qui accélère le rythme et marque aussi le début de l’action. Après le mot « mortes », au vers 8, une pause rythmique intervient et annonce la suite, le déroulement. Le temps de l’action. La fête commence. C’est notable à travers L’insertion du dialogue au ver 10 « Nul n’est, dit-on, prophète en son pays », qui est clairement adressé directement à son destinataire. Ce passage de dialogue rend plus vivant le récit. Ensuite, le rythme ralentit à nouveau, s’apaise. Nous approchons du dénouement. Un sentiment de douceur et de paix ressenti à la lecture crée une atmosphère tranquille qui annonce la fin du récit avec des termes empruntés au champ lexical de la joie : “gentiment”, “meilleure”, “pépiaient gaiement”, “chantait”.

Enfin, la fin de l’anecdote racontée par le poète, dans laquelle le destinataire et le lecteur est plongé, permet de confirmer l’idée de progression. La fin est semblable au dénouement d’un récit. On peut même la qualifier de chute, En littérature, le mot désigne l’effet de surprise ménagé par l'auteur à la fin d’un texte, qui éclaire son sens, peut conduire à le réinterpréter, car tout le dernier quatrain provoque la surprise. En effet, il s’oppose au 2e vers. Si on relit le poème, et on essaye de chercher des indices qui auraient pu nous mettre sur la voie, on se rend compte que tout le poème tendait vers elle. Tout le poème semble être construit à partir de ce dénouement final. Elle est préparée depuis le début du poème, dès le 2e vers. Elle est inattendue, vu comment avait commencé le poème. Cette dernière strophe vise à produire le plus grand effet sur le lecteur. Elle nous fait surtout sourire par son coté morale. Elle donne ainsi aussi à réfléchir. “L’Oiseau bleu qui chantait dans le bocage.” signifie alors que le poète retrouve dans l’ivresse son inspiration poétique. Quelque part, l’Oiseau représente la muse, c’est-à-dire l’inspiratrice des poètes. Une déesse de la poésie.

Tous ces procédés montrent bien que par la progression du poème, Verlaine a introduit une dimension narrative, ce qui lui permet de créer un lien avec le destinataire et lecteur.

b) Un aspect très visuel

L’option narrative choisie dans ce poème se voit également à travers L’aspect très visuel qui envahit “anniversaire”.

Le poème est presque pictural, ce qui crée encore davantage de lien avec le lecteur. Cette idée est visible d’abord par le fait que Verlaine donne beaucoup de descriptions, de nombreux détails à son destinataire qui a l’impression de se trouver dans le même jardin. Il insiste sur les détails de la Nature, les fleurs par exemple ou encore sur les couleurs : l’"Oiseau bleu", puis « couleurs » au vers suivant, le "vin d’Or" ….

Cette picturalité se poursuit tout le long du poème, en particulier autour d’une synesthésie. C’est un régal des sens puisque tous les sens sont conviés. Certes c’est un poème musical mais s‘est aussi un poème très sensuel, qui fait appel à tous les sens (1er sens). Le toucher : “grimpé”, “mains”, “cristal fin”. La vue : “yeux”, “bleu”, “couleurs”, “or”, “crus reconnaître”. La description des mouvements des personnages est également présente : les amis grimpent, on a l’impression de voir la scène.

Enfin, Le fait qu’il s’adresse à une personne, c’est bien d’un poème épistolaire qu’il s’agit, renforce la réalité de la scène, la rend encore plus réelle. Le poème est adressé à une personne en particulier. Le destinataire, William, est identifié. L'auteur s’adresse à quelqu’un auquel il décrit ce qu’il vit. On sort ainsi un peu de l’imaginaire, le lecteur s’identifie et observe la scène comme un pièce de théâtre.

Tous ces procédés montrent bien que l’option narrative se note dans le poème par sa picturalité, plongeant le destinataire et lecteur dans le jardin décrit.

c) Un ton ampoulé

Enfin, cette option narrative renforçant le lien avec le lecteur et destinataire ne se produit pas seulement visuellement, mais est présente par le ton ampoulé du poète.

Comme une pièce de théâtre, il met en scène sa mélancolie, à l’attention de tous. L’ironie, le ton un peu décalé et l’option narrative donne au texte une puissante dimension d’identification. « Vue hésitante », « marche incertaine », « las » … sont autant d’expressions un peu exagérées utilisées par Verlaine pour qualifier le passage à l’âge mûr. Tout comme nombre d’allusions négatives : “plus”, "fatigué"... ça fait sourire le destinataire comme le spectateur-lecteur.

De plus, Les sentiments et les émotions sont poussés à l’extrême comme au théâtre : l’auteur qui fête ses cinquante ans, se compare à la nature “un oiseau qui ne pépie plus”...). Enfin, un certain ton théâtral est aussi marqué par les exagérations, « la frondaison n’a que feuilles mortes » …, les détails très visuels, l’ironie distanciée, le style narratif : tout cela permet au poète de raconter quelque chose d’anecdotique en le rendant ainsi universel. Chacun peut s’identifier et vibrer avec le narrateur qui a peur du temps qui passe, de perdre son inspiration …

Tous ces procédés montrent bien que l’option narrative renforce le lien avec le lecteur et destinataire. Ainsi, nous avons vu l’un des aspects modernes et particuliers de la poésie de Verlaine.

Conclusion

Ainsi, nous avons pu voir comment Verlaine, partage un poème d’apparence classique mais réussit à lui conférer un aspect moderne. Le déroulement théâtral qui met en scène la visite d’amis auprès d’un poète en proie à une crise existentielle, le ton exagéré, l’effet de surprise créé par la dimension onirique ou le thème de l’ivresse, la musicalité des vers, propulse Paul Verlaine au premier rang des Symbolistes.

Comme le disait Verlaine dans un autre de ses poèmes : “de la musique avant toute chose”. En effet, ce poème nous chante à l’oreille avec des mots simples et la mélancolie qui s’empare du poète avec l’évocation du temps qui passe inexorablement. “Anniversaire”, malgré sa grande simplicité toute relative, se révèle puissant et témoigne de la modernité et du talent de Paul Verlaine. C’est toute la force de ce poète qui est certes l’héritier des romantiques et qui connaît parfaitement les règles de la poésie traditionnelle mais les transcende en y introduisant sa sensibilité et son regard neuf. Il noue avec les thèmes, avance les mots, la musique et tisse un lien très confidentiel avec ses lecteurs. Ainsi, procédait Baudelaire qui s’adressait aussi très souvent à son lecteur.

En utilisant des images et analogies, le poète révèle au lecteur une conception spirituelle du monde. Il dépasse ainsi une conception de la poésie plus hermétique, où les symboles pouvaient demeurer incompris, comme chez Mallarmé.