Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain: L'inquiétude

Devoir maison. Remarques du professeur: "devoir pertinent et intéressant". Note obtenue: 16,5/20.

Dernière mise à jour : 19/02/2022 • Proposé par: sdfghjklm (élève)

Texte étudié

L'inquiétude est le principal, pour ne pas dire le seul aiguillon qui excite l'industrie et l'activité des hommes ; car quelque bien qu'on propose à l'homme, si l'absence de ce bien n'est suivie d'aucun déplaisir ni d'aucune douleur, et que celui qui en est privé puisse être content et à son aise sans le posséder, il ne s'avise pas de le désirer et moins encore de faire des efforts pour en jouir. Il ne sent pour cette espèce de bien qu'une pure velléité, terme qu'on a employé pour signifier le plus bas degré du désir, qui approche le plus de cet état où se trouve l'âme à l'égard d'une chose qui lui est tout à fait indifférente, lorsque le déplaisir que cause l'absence d'une chose est si peu considérable qu'il ne porte qu'à de faibles souhaits sans engager de se servir des moyens de l'obtenir. [...]

Mais, pour revenir à l'inquiétude, c'est-à-dire aux petites sollicitations imperceptibles qui nous tiennent toujours en haleine, ce sont des déterminations confuses, en sorte que souvent nous ne savons pas ce qui nous manque, au lieu que dans les inclinations et les passions nous savons au moins ce que nous demandons, quoique les perceptions confuses entrent aussi dans leur manière d'agir, et que les mêmes passions causent aussi cette inquiétude ou démangeaison. Ces impulsions sont comme autant de petits ressorts qui tâchent de se débander et qui font agir notre machine. Et j'ai déjà remarqué ci-dessus que c'est par là que nous ne sommes jamais indifférents lorsque nous paraissons l'être le plus ; par exemple, de nous tourner à la droite plutôt qu'à la gauche au bout d'une allée. Car le parti que nous prenons vient de ces déterminations insensibles, mêlées des actions des objets et de l'intérieur du corps, qui nous fait trouver plus à notre aise dans l'une que dans l'autre manière de nous remuer.

On appelle Unruhe en allemand, c'est-à-dire inquiétude, le balancier d'une horloge. On peut dire qu'il en est de même de notre corps, qui ne saurait jamais être parfaitement à son aise : parce que quand il se ferait une nouvelle impression des objets, un petit changement dans les organes, dans les viscères, dans les vases, cela changerait d'abord la balance et leur ferait faire quelque petit effort pour se remettre dans le meilleur état qu'il se peut ; ce qui produit un combat perpétuel, qui fait pour ainsi dire l'inquiétude de notre horloge, de sorte que cette appellation est assez à mon gré.

Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain

Les Nouveaux essais sur l’entendement humain ont été écrits par Gottfried Wilhelm Leibniz. Le thème principal de cet ouvrage est le désir qui influence nos actes. À partir de cet extrait, on peut se demander pourquoi notre inquiétude résulte-t-elle de nos désirs. Ici, Leibniz nous expose sa thèse qui est que le désir est le moteur de nos actes.

Dans un premier temps, nous verrons que l’inquiétude est l’aiguillon de nos actions, puis qu’elle est un ensemble de sollicitations imperceptibles et enfin nous étudierons le fait qu’un corps humain, toujours en déséquilibre, est inquiétude.

I. L'inquiétude, aiguillon de nos actions

L’inquiétude est l’aiguillon de nos actions, en effet comme nous pouvons le voir dans le premier paragraphe de cet extrait de Leibniz « L’inquiétude est le principal, pour ne pas dire le seul aiguillon qui excite l’activité des hommes. » . L’inquiétude est étymologiquement une absence de quiétude, de tranquillité, de repos , c’est un ressenti de manque qui agite l’homme intérieurement, cela peut aussi être appelé le désir. En effet, le désir est une chose que l’on n’a pas mais que l’on souhaiterait avoir. L’homme qui désire n’est alors pas dans un état de calme plat, il vacille entre « l’absence d’une chose qui lui donnerait du plaisir » et l’envie de l’ obtenir. Ce désir ou l’inquiétude agit donc comme un moteur qui pousse l’homme frustré dans l’action et dans tout ce qu’il entreprend. Par exemple, si une personne désire avoir une voiture de collection, elle va économiser, sûrement un peu plus travailler, peut-être même sacrifier d'autres petits plaisirs afin d’acquérir son objet de convoitise qui est ici la voiture de collection. Par ces faits, elle fait fonctionner « l’industrie et l’activité des hommes ». Leibniz souligne ainsi le caractère positif du désir, car c’est ce dernier qui met en mouvement les hommes en les poussant à faire des efforts et aussi inéluctablement vers le progrès.

Cependant, pour qu’un objet ou quelque chose soit désiré par l’homme, il faut que si cette chose disparaisse, la personne qui était sensée désirer cette chose ressente un manque, une frustration. C’est ce qu’exprime Leibniz par ces mots :«, Car si quelque bien qu’on propose à l’homme, si l’absence de ce bien n’est suivi d’aucune douleur, et que celui qui en est privé puisse être content et à son aise sans le posséder, il ne s’avise pas de le désirer et encore moins de faire des efforts pour en jouir. ». Par exemple si quelqu’un ne souhaite pas avoir une nouvelle voiture, s’il elle n’est pas dans le manque ou la frustration, cette personne ne fera donc aucun effort pour l’obtenir puisqu’elle ne la désire tout simplement pas.

II. La cause de l'inquiétude, pas toujours consciente

Lorsque Leibniz parle de « petites sollicitations imperceptibles » pour définir l’inquiétude, il sous-entend que ces inquiétudes ne sont pas toujours clairement définies par nos sens ou notre conscience. En effet, il dit même que « ce sont des déterminations confuses » contrairement à la passion qui elle est un état affectif clair et défini dans l’âme et dans le corps mais qui cause « aussi cette inquiétude ou démangeaison » . C’est ce qu’exprime Leibniz en disant que « ces impulsions sont comme autant de petits ressorts qui tâchent de se débander et qui font agir notre machine ».

L’homme n’est pas toujours conscient de ses désirs, car instinctivement ou inconsciemment il peut agir sans que ça soit sa volonté. Leibniz a déjà remarqué : « c’est par là que nous ne sommes jamais indifférents lorsque nous paraissons l’être le plus ; par exemple de nous tourner à la droite plutôt qu’à la gauche au but d’une allée. » Par exemple une personne croise un chien et qui en a connu dans son passé ou dans son enfance, aura instinctivement envie de s’en approcher contrairement à une personne pour qui cet animal ne lui est pas familier. Cet instinct échappe donc totalement à notre volonté, c’est une sollicitation imperceptible à notre conscience.

III. L'homme est en déséquilibre permanent

« On appelle Unruhe en allemand, c’est-à-dire inquiétude, le balancier d’une horloge ». Leibniz entend par là que l’inquiétude est pour l’homme une sollicitation et un déséquilibre permanent qui va et vient tel le balancier d’une horloge. De ce fait l’homme n’est jamais en pleine quiétude tout dépend de son vécu et de ses émotions. Par exemple si une personne est inquiète, le balancier penche du côté de l’inquiétude, elle va chercher à trouver une activité ou un lieu qui la réconforte , le balancier penchera alors de l’autre côté ; le côté de la sérénité, de la quiétude, jusqu’au moment ou autre chose va inquiéter cette personne et le balancier retournera alors du côté de l’inquiétude. Cette personne est donc en déséquilibre avec elle-même ,car malgré ses efforts pour tenter d’être plus sereine, l’inquiétude revient toujours. Si on doute ou si on a peur de faire des choix, ou de se lancer dans quelque chose, cela créera de l’inquiétude qui reviendra toujours. Ainsi un corps, toujours en déséquilibre, est inquiétude.

Conclusion

Avec ce texte de Leibniz, nous avons pu voir que c’est l’inquiétude qui dirige nos actions et nos désirs et que pour que quelque chose soit désiré il faut ressentir un manque ou une douleur, quand cette chose est absente. Cette inquiétude est en fait un ensemble de sollicitations imperceptibles et nos choix ne sont pas forcément toujours faits de manière consciente et donc parfois inconsciente. Enfin nous avons vu que le corps humain, toujours en déséquilibre, est inquiétude car tant que l’on aura des doutes ou des peurs en nous, l’inquiétude et le déséquilibre nous suivront. Ainsi nous pouvons nous demander si nous sommes réellement libres sous l’emprise de l’inquiétude ?