Faut-il être connaisseur pour apprécier une oeuvre d'art ?

Corrigé synthétique.

Dernière mise à jour : 19/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Questions préalables

- II s'agit ici de l’œuvre d'art et non de l'art en général. Ne faites pas de hors-sujet en dissertant sur: qu'est-ce que l'art?
- Cette mise au point établie, le sujet demande s'il faut lier connaissance, savoir et œuvre d'art. L’œuvre d'art aurait-elle pour finalité de nous enseigner quelque chose ?
- Apprécier = estimer, évaluer, donc juger. Ce jugement dépend-il de mon degré de connaissance, de ma culture ?

Introduction

Est-il possible d'apprécier un tableau de Van Gogh, de Picasso, une musique de Vivaldi, une statue de Michel-Ange, une sculpture de Giacometti sans connaître la peinture, la musique, la sculpture? Faut-il être instruit, formé, posséder certaines connaissances pour goûter une couvre d'art ? D'ailleurs, le but de l’œuvre d'art est-elle de nous enseigner quelque chose ? Et si sa finalité est bien celle-là, que nous apprend-elle ?

I. L'oeuvre d'art doit-elle être didactique ?

La première fonction de l’œuvre d'art est une fonction esthétique : produire une émotion. Il est pourtant fréquent que des reproductions d’œuvres soient utilisées à titre de documents (en histoire, en littérature par exemple). L’œuvre d'art sert alors à transmettre un contenu. Mais dans ce cas, c'est-à-dire dès qu'on la soumet à des fins didactiques, elle perd sa qualité d’œuvre d'art. Pourquoi ? Parce qu'on l'associe à autre chose qu'elle-même. "Le beau est l'objet d'un jugement de goût désintéressé" écrit Kant (Critique de la faculté de juger). Les œuvres d'art ne "servent" pas nos désirs charnels : par exemple, lorsque Ingres peint Le Bain turc (1863) ou Gauguin Les Seins aux fleurs rouges (1897), ce n'est pas pour exciter le désir sensuel. L’œuvre d'art produit une émotion désintéressée (=non utilitaire).

L’œuvre d'art perd sa dimension esthétique lorsqu'elle a une finalité externe. Elle donne une information et perd son autonomie. De ce point de vue, si je lis Balzac pour savoir comment on s'habillait au XIXe siècle, j'oublie ce qui donne au texte sa dimension littéraire, la puissance d'analyse de cette vaste Comédie humaine. Autant alors consulter un ouvrage historique sur le vêtement au XIXe siècle ! Cependant, il ne faut pas oublier que pendant des siècles l’œuvre d'art, prenons l'exemple de la peinture romane, permettait aux populations analphabètes d'accéder aux textes de la Bible. De même, les tableaux des XI e, XII e siècles nous informent sur la vision du monde à cette époque. Néanmoins, si l'on peut parfois comprendre le côté didactique des œuvres romanes et moyenâgeuses, il existe aussi un art dit "engagé" qui fait frémir, comme l'art des pays totalitaires, ou sourire, comme certaines œuvres "nouille", "kitsch". Aucune recherche esthétique n'est permise. Tout est déjà donné.

II. L'oeuvre d'art est avant tout plaisir

L’œuvre d'art authentique propose un plaisir, une relation aux formes sensibles qui n'a rien de commun avec le savoir, l'enseignement. Hegel, dans ses Leçons d'esthétique, va même plus loin. "La confrontation esthétique se distingue de la contemplation théorique de l'intelligence scientifique parce que l'art s'attache à l'existence individuelle de son objet et ne cherche pas à le transformer en idée et en concept universels." L’œuvre d'art ne nous enseignerait donc rien.

On peut tout de même se demander si cette affirmation reste valable dès que l'on considère l'ensemble des rouvres d'art, c'est-à-dire l'art à travers toute son histoire. On peut même alors se demander si dans ce cas l'expérience esthétique ne requiert pas certaines conditions socioculturelles, et si le plaisir n'est pas le fait d'un apprentissage que seul un certain type d'éducation favorise.

III. L’œuvre d'art renseigne plus qu'elle n'enseigne

Si l’œuvre d'art n'enseigne rien, comme l'affirmait Hegel, elle témoigne malgré tout de la liberté de l'esprit qu'affirmait également Hegel. On peut donc dire que les œuvres d'art nous enseignent que l'esprit est loin d'avoir dévoilé toutes ses capacités. Mais irons-nous au musée découvrir un tableau de Rembrandt pour apprécier la liberté de l'esprit ? Ce qui nous intéresse avant tout, c'est cette expérience sensible que l’œuvre d'art nous propose, une expérience qui parle au corps, aux sens, à notre être physique. Ainsi les œuvres d'art nous renseignent-elles, sans jamais faire de discours, sur une autre manière de regarder le monde, de concevoir l'espace, la distance, le temps, l'amour...

L’œuvre nous amène à découvrir de nouveaux rapports avec la réalité. Le poète, par exemple, donne la parole aux choses en révélant leur essence. Le dire poétique n'est pas un dire quelconque. II retourne les mots vers leur sens originaire, primitif. L’oeuvre d'art révèle la sympathie qui existe entre le monde et chacun d'entre nous.

Conclusion

"L'art : cette blessure qui devient lumière" disait Braque. Cette lumière n'augmente pas, au sens strict, la connaissance, mais nous éveille au mystère du monde. Vivre le monde autrement, selon d'autres rapports que les rapports utilitaires. Être ouvert à de nouvelles expériences : c'est ainsi que l'on apprécie une œuvre d'art. Pensez au poème de Rimbaud, Voyelles: "Je dirai quelque jour vos naissances latentes."