L'homme moderne s'est-il trop éloigné de la nature ?

Corrigé sous forme de plan détaillé.

Dernière mise à jour : 12/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Questions préalables

- S'éloigner, c'est s'écarter, se détourner, peut-être même rompre, se séparer. Dans la notion d'éloignement, il y a l'idée de l'absence, de la distance que l'on met entre quelqu'un et soi ou entre quelque chose et soi.
- Trop, adverbe qui indique l'excès. L'homme d'aujourd'hui aurait-il oublié la nature ?

Introduction

L'homme moderne est l'homme de la technique, celui qui a réalisé le projet cartésien de se rendre "comme maître et possesseur de la nature". Grâce à ses inventions, l'homme s'est élevé de l'animalité vers l'humanité, il s'est perfectionné. L'histoire de la technique est l'histoire de la maîtrise croissante de l'homme sur la nature. Mais cette maîtrise, cette transformation de notre manière de vivre, nous éloigne de plus en plus de la nature, de nos origines. Est-ce un progrès ? Peut-on sans danger nous éloigner de la nature jusqu'à l'oublier? En quel sens peut-on dire que l'homme n'est plus un être naturel ?

I. Du naturel au culturel

Nous ignorons tout du passage de l'état de naturel à l'état de culture, ou de l'animal à l'homme. Nous ne pouvons faire que des suppositions. On peut mettre l'accent sur la prohibition de l'inceste comme passage à la culture (cf. Claude Lévi-Strauss). Mais on sait aujourd'hui que certains grands singes ne pratiquent pas l'inceste. II s'en est fallu d'un rien, dit Rousseau, pour que l'homme ne sorte jamais de sa solitude naturelle alors qu'Aristote pense que, par nature, l'homme est un "animal politique".

Pour toute une longue tradition philosophique, et bien sûr éthologique, l'homme possède une nature qu'il réalise. C'est par exemple le " bon sens " pour Descartes qui est "la chose du monde la mieux partagée". C'est le rire disait Rabelais : "pour ce que rire est le propre de l'homme", etc.. Dans Malaise dans la civilisation, Freud démontre clairement le conflit perpétuel entre nos tendances innées, agressives, et l'idéal de civilisation vers lequel l'homme essaie de tendre. "Homo homini lupus : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l'histoire, de s'inscrire en faux contre cet adage ?", "L'homme est un loup pour l'homme", cf. Hobbes. "Cette tendance à l'agression, que nous pouvons déceler en nous-mêmes et dont nous supposons à bon droit l'existence chez autrui, constitue le facteur principal de perturbation dans nos rapports avec notre prochain. C'est elle qui impose à la civilisation tant d'efforts."

II existerait ainsi une essence humaine universelle, un propre de l'homme. Peut-on se contenter de cette définition qui semble limiter la liberté humaine?

II. Si l'homme a bien une nature, il nie le naturel

L'homme est le seul être vivant à transformer la réalité naturelle en réalité artificielle : le travail est une spécificité humaine. " Le travail est la voie de la conscience, par laquelle l'homme est sorti de l'animalité" écrit Georges Bataille dans L'Érotisme.

L'homme se crée des interdits (cf. Claude Lévi-Strauss : la prohibition de l'inceste est le passage de la nature à la culture). Ainsi, l'éducation va imposer des interdits, essentiellement concernant la sexualité et la mort. L'homme cherche donc à échapper à l'animalité par l'éducation qui étymologiquement signifie "faire sortir de, tirer de" du latin educo. L'éducation permet à l'homme de sortir de l'état de nature. C'est ce qu'affirme G. Bataille : " Je pose en principe un fait peu contestable : que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. II change aussi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n'apportait pas de réserve. II est nécessaire encore d'accorder que les deux négations que, d'une part, l'homme fait du monde donné, et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, de chercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d'une mutation morale. Mais tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation par interdits de l'animalité de l'homme".

III. La séparation est illusoire

Interaction de l'inné et de l'acquis : que l'essence précède l'existence (croyance en une essence humaine universelle), ou que l'existence précède l'essence (croyance en une condition universelle qui considère l'homme comme un projet), le naturel et le culturel ne peuvent être dissociés. L'homme est toujours déjà civilisé.

La séparation est donc illusoire : "la coupure effective de la société vis-à-vis de la nature est une illusion [... ]. Toutes les fois que l'on est allé regarder de plus près ces 'natures', on a découvert une société " écrit Serge Moscovici dans Pour une anthropologie fondamentale. II ne faut donc pas renoncer à l'idée que l'homme a une nature, mais peut-être à l'idée qu'il est seulement une nature.

Conclusion

L'homme est un être blessé, séparé, oscillant entre le rêve d'un âge d'or perdu et l'espoir d'un avenir radieux. Terminons par ces mots extraits du Discours de Stockholm, lorsque Octavio Paz reçut le prix Nobel de littérature en 1990 "La conscience de la séparation est un trait constant de notre histoire spirituelle. Parfois, nous éprouvons la séparation comme une blessure : elle devient alors une scission interne, la conscience déchirée qui nous invite à notre propre examen. D'autres fois, elle prend la forme du défi, c'est l'éperon qui nous pousse à l'action, à sortir à la rencontre des autres et du monde. [...] Le sentiment de la séparation est universel. [...] Il voit le jour à l'instant même de notre naissance : arrachés au grand tout, nous tombons en terre étrangère. Cette expérience ouvre une plaie qui ne cicatrise jamais : c'est le fond insondable de chaque homme : toutes nos actions, toutes nos entreprises, tout ce que nous faisons et rêvons, sont autant de passerelles pour abolir la séparation et nous unir au monde, nous réunir avec nos semblables. "