Louis de Jaucourt, Encyclopédie - Article "Traite des nègres"

Copie d'une élève de première en voie générale, pour un devoir à la maison. Note obtenue : 14/20.

Dernière mise à jour : 01/11/2021 • Proposé par: Ecole (élève)

Texte étudié

Traite des nègres (Commerce d'Afrique). C'est l'achat des nègres que font les Européens sur les côtes d'Afrique, pour employer ces malheureux dans leurs colonies en qualité d'esclaves. Cet achat de nègres, pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine.

Les nègres, dit un Anglais moderne plein de lumières et d'humanité, ne sont point devenus esclaves par le droit de la guerre ; ils ne se dévouent pas non plus volontairement eux-mêmes à la servitude, et par conséquent leurs enfants ne naissent point esclaves. Personne n'ignore qu'on les achète de leurs princes, qui prétendent avoir droit de disposer de leur liberté, et que les négociants les font transporter de la même manière que leurs autres marchandises, soit dans leurs colonies, soit en Amérique où ils les exposent en vente.

Si un commerce de ce genre peut être justifié par un principe de morale, il n'y a point de crime, quelque atroce qu'il soit, qu'on ne puisse légitimer. Les rois, les princes, les magistrats ne sont point les propriétaires de leurs sujets, ils ne sont donc pas en droit de disposer de leur liberté, et de les vendre pour esclaves.

D'un autre côté, aucun homme n'a droit de les acheter ou de s'en rendre le maître ; les hommes et leur liberté ne sont point un objet de commerce ; ils ne peuvent être ni vendus, ni achetés, ni payés à aucun prix. Il faut conclure de là qu'un homme dont l'esclave prend la fuite, ne doit s'en prendre qu'à lui-même, puisqu'il avait acquis à prix d'argent une marchandise illicite, et dont l'acquisition lui était interdite par toutes les lois de l'humanité et de l'équité.

Il n'y a donc pas un seul de ces infortunés que l'on prétend n'être que des esclaves, qui n'ait droit d'être déclaré libre, puisqu'il n'a jamais perdu la liberté ; qu'il ne pouvait pas la perdre ; et que son prince, son père, et qui que ce soit dans le monde n'avait le pouvoir d'en disposer ; par conséquent la vente qui en a été faite est nulle en elle-même : ce nègre ne se dépouille, et ne peut pas même se dépouiller jamais de son droit naturel ; il le porte partout avec lui, et il peut exiger partout qu'on l'en laisse jouir. C'est donc une inhumanité manifeste de la part des juges de pays libres où il est transporté, de ne pas l'affranchir à l'instant en le déclarant libre, puisque c'est leur semblable, ayant une âme comme eux.

Louis de Jaucourt, Encyclopédie - Article "Traite des nègres"

Le XVIIIe siècle aussi appelé le siècle des Lumières est le siècle le plus dense, le plus révolutionnaire, le plus novateur qui a permis selon les philosophes des lumières de sortir des préjugés et de l’intolérance et de faire progresser les hommes vers le bonheur, la liberté et le savoir. L’encyclopédie est une grande œuvre du XVIIIe siècle créé par de Denis Diderot. Elle est composée de dix-sept volumes et rédigée en plus de vingt-cinq ans. Denis rassemble dans cette encyclopédie tous les savoirs théoriques et techniques du temps. Diderot et d'Alembert, qui en sont les créateurs de cette œuvre, collaborent avec de grands philosophes des Lumières comme Voltaire, Montesquieu etc. Parmi ces collaborateurs nous trouvons également Louis de Jaucourt, appelé aussi Chevalier de Jaucourt, qui est médecin, philosophe et homme de lettres.

Jaucourt est l’auteur de l’article que nous allons étudié aujourd’hui, elle s’intitule « Traite des Nègres » est écrit en 1766 et aborde le thème de l’esclavage. Sachant que cette encyclopédie regroupe de multiples textes, allant d’un contenu scientifique à des articles beaucoup plus argumentatifs, nous pouvons nous demander de quelle manière Jaucourt s’y prend. Comment Louis de Jaucourt dénonce l’esclavagisme du 18e siècle ? Pour répondre à la question posée, nous allons d’abord analyser le registre didactique de l’article, puis dans un second temps nous démontrerons que c’est également un texte dialectique.

I. Un texte didactique

Ce texte est un article didactique qui permet dans un premier temps de nous informer.

Nous pouvons observer que ce texte est un article objectif tiré d’une encyclopédie, premièrement, par l’emploi du présent de vérité générale au début de l’article « c’est » (l.1) elle exprime un fait qui ne peut pas être contredit ici, c’est un présentatif, il est utilisé pour définir ce que c’est l’achat des nègres. Le reste de l’article est également écrite au présent « est » (l.1,3) , « sont » (l.5)… Nous pouvons voir que l’auteur a utilisé un vocabulaire précis par exemple pour parler du peuple « nègres » (l.1), « Européens » (l.1) ; de l’économie « négoce » (l.3), « vente » (l.11), « marchandises » (l.10) ; de la justice « crime »(l.13),« droit » (l.23) etc.

L’article est organisé de la manière suivante : elle se divise en cinq paragraphes avec une idée dans chacun d’entre eux. Le premier paragraphe sert à définir et à présenter les lieux. Le deuxième se base sur l’argument d’autorité en passant par l’avis d’un « anglais » (l.5), grâce à la périphrase qui désigne John Locke et remet en cause l’esclavage. Le troisième met en avant les droits des personnes appartenant à la famille royale, aux nobles par le vocabulaire politique « roi », « prince », « magistrat » (l.13-14), cette énumération remet en cause la justice. Le quatrième est une critique de la commercialisation des esclaves plus précisément des vendeurs qui croient posséder les esclaves « l'acquisition lui était interdite par toutes les lois de l'humanité et de l'équité » (l.20-21) et enfin le cinquième paragraphe est la conclusion de cet article nous pouvons le remarquer par l’utilisation du conjonction de coordination « donc » (l.22) et l’utilisation du connecteur logique « par conséquent » (l.25).

Ce texte néanmoins informe le lecteur sur différents points comme les acteurs du « commerce d’Afrique » c’est-à-dire « nègres » (l.1) qui sont les esclaves, les acheteurs et les vendeurs. Le complément circonstanciel de lieux « sur les côtes d’Afrique » (l.1) nous précise le lieu de ce commerce et enfin le but de ce commerce est d’ « employer ces malheureux » (l.1-2).

II. Un texte également dialectique

Mais cet article qui aurait dû maintenir l'objectivité s’est tourné vers la dénonciation pour tenter de toucher le lecteur à travers l’indignation de l’auteur.

Dans ce texte dialectique, deux types de méthodes d’argumentation sont utilisés à travers le pouvoir de la rhétorique. Tout d’abord, nous pouvons analyser que l’auteur cherche à persuader le lecteur. Il émet dès le départ un avis qui n’est pas du tout objectif. À travers le champ lexical du commerce, l’auteur montre comment les esclaves sont considérés : « négoce » (l.3) « vendre » (l.14) « acheter » (l.16). Nous pouvons remarquer la déshumanisation totale des esclaves par la comparaison à des « marchandises » (l.10), « objet de commerce » (l.17). Les périphrases « ces malheureux » (l.2) et « ces infortunés » (l.22) suscitent chez le lecteur de la commisération, de la pitié. Puis dans un second temps l’auteur cherc,he à convaincre le lecteur par le biais de John Locke « dit un Anglais moderne, plein de lumières et d’humanité » (l.5) qui met en place un argument d’autorité. C’est un homme important, car il remet en cause l’esclavage dès 1689. Les connecteurs logiques montrent que l’auteur veut démontrer plusieurs faits « par conséquent » (l.25) ; « D’un autre côté » (l.16) ; « Il faut conclure de là » (l.18) « donc » (l.22). Les idéaux des Lumières, c’est-à-dire la liberté, l’égalité pour tous, sont très présents dans le texte comme le montre le champ lexical des « droits de la nature humaine » (l.4), « liberté » ; (l.15,23…) « droit » (l.4,6,9,23,27) ; « équité » (l.21)…

Jaucourt attaque l’église par le biais de la gradation (l.4) « un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine », mais également grâce à une comparaison « âme comme eux » (l.30) qui montre que les esclaves ont aussi une âme donc met en avant une réhumanisation de ces personnes. L’auteur prend la défense des esclaves d’une part en critiquant ce commerce. Comme nous avons pu le voir un peu plus tôt l’utilisation du champ lexical du commerce « achat» (l.2) ; « négoce » (l.3) ; « acquis à prix d’argent » (l.19-20) ; « vendre » (l.15) ; « exposent en vente » (l.11) montre que ces personnes sont comparées à de la marchandise. Le vocabulaire dépréciatif marqué par des termes péjoratifs « viole » (l.3) ; « crime » (l.13) ; « atroce » (l.13) ; « inhumanité » (l.21) ; « illicite » (l.20) etc. appuie sur cette critique. « Les rois, les princes, les magistrats » (l.13-14) cette énumération montre que c’est eux les principaux acteurs de ce commerce.

D’autre part en rappelant leurs droits, grâce au champ lexical des « droits de la nature humaine » comme nous avons pu également le voir précédemment. La liberté est un droit que quiconque ne peut nous l’enlever et le paragraphe cinq nous confirme cette idée, par la juxtaposition de phrases délimiter par des points-virgules « qui n'ait droit d'être déclaré libre [...] il le porte partout avec lui, et il peut exiger partout qu'on l'en laisse jouir ». Jaucourt met en avant des lois incontestables comme ici grâce à la conjonction de coordination « ni » qui provoque une accumulation de groupe nominal. « ils ne peuvent ni n’être vendus, ni achetés, ni payés à aucun prix ».

Conclusion

Nous pouvons donc en conclure que le Chevalier de Jaucourt dénonce l’esclavage au nom des droits des hommes. Cet article qui a pourtant débuté dans une visée informative a rapidement dévié dans un article dialectique. L’auteur a utilisé l’art de la rhétorique pour une argumentation convaincante et persuasive afin de susciter une réaction chez le lecteur.

Ce texte m’a beaucoup fait penser à un passage du livre Candide, ou l’Optimisme. Voltaire dénonce également l’esclavage à travers le personnage du nègre de Surinam. Ces deux textes se correspondent par la critique des violations des droits de l'homme et de la liberté.