Bergson, L'Évolution Créatrice: Prévisions et philosophie

Corrigé synthétique.

Dernière mise à jour : 03/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Texte étudié

Notre intelligence, telle que l'évolution de la vie l'a modelée, a pour fonction essentielle d'éclairer notre conduite, de préparer notre action sur les choses, de prévoir, pour une situation donnée, les événements favorables ou défavorables qui pourront s'ensuivre. Elle isole donc instinctivement, dans une situation, ce qui ressemble au déjà connu : elle cherche le même, afin de pouvoir appliquer son principe que "le même produit le même". En cela consiste la prévision de l'avenir par le sens commun. La science porte cette opération au plus haut degré possible d'exactitude et de précision, mais elle n'en altère pas le caractère essentiel. Comme la connaissance usuelle, la science ne retient des choses que l'aspect "répétition". Si le tout est original, elle s'arrange pour l'analyser en éléments ou en aspects qui soient "à peu près" la reproduction du passé. Elle ne peut opérer que sur ce qui est censé se répéter, c'est-à-dire sur ce qui est soustrait, par hypothèse, à l'action de la durée. Ce qu'il y a d'irréductible et d'irréversible dans les moments successif d'une histoire lui échappe. Il faut, pour se représenter cette irréductibilité et cette irréversibilité, rompre avec des habitudes scientifiques qui répondent aux exigences fondamentales de la pensée, faire violence à l'esprit, remonter la pente naturelle de l'intelligence. Mais là est précisément le rôle de la philosophie.

Bergson, L'Évolution Créatrice

Questions préparatoires

- Bien cerner la hiérarchie instaurée par Bergson.
- Que penser de la continuité affirmée entre l'intelligence ordinaire et la science ?
- Qu'est-ce que "l'aspect répétition" des choses ?

Introduction

Comment être attentif au nouveau, c'est-à-dire à ce qui n'est pas la simple répétition de l'antérieur ? À en croire Bergson, l'intelligence ordinaire se préoccupe davantage des constances, et la science fait de même. Seule la philosophie aurait dès lors pour rôle, après s'être défaite des habitudes de la pensée ordinaire ou scientifique, de reprendre contact avec l'irréversibilité.

I. Intelligence et prévision

Bergson commence par souligner que la fonction principale de l'intelligence est d'ordre pratique : elle doit éclairer la conduite, préparer l'action, anticiper ses résultats. On remarque que cette fonction résulte elle-même de l'"évolution de la vie" : elle est donc la conséquence de la vie telle qu'elle s'est développée, et c'est pourquoi elle va dans le sens de son maintien.

Cette orientation vers la pratique détermine la "méthode" de l'intelligence : elle est sensible aux constances et au "déjà connu". Toute situation apparemment inédite est donc analysée pour être ramenée à une situation antérieure, déjà connue et maîtrisée, et pour appliquer des solutions déjà éprouvées.

Ce que le sens commun nomme "prévision de l'avenir" n'est donc, en fait, que la préparation d'une étape ultérieure par référence à l'antérieur et aux éléments identiques décelables dans les deux moments.

II. Science et répétition

Or, pour Bergson, la science ne fait rien d'autre que le sens commun ; la différence entre les deux attitudes étant "d'exactitude ou de précision" : on peut comprendre que là où l'intelligence ordinaire œuvre en termes qualitatifs, la science substitue du quantitatif.

Cette substitution ne suffit pas à modifier l'orientation de la démarche : la science elle aussi ne s'intéresse qu'à ce qui se répète (ce qui peut s'argumenter aussi en soulignant que l'universel, le concept, ne conserve en effet que des éléments communs et abandonne toutes les particularités). Exemple : devant un "tout" original (= un phénomène authentiquement nouveau), elle procède par une analyse isolant des éléments ressemblant à ce qu'elle connaît déjà. Ainsi, le nouveau lui échappe.

Ce "défaut" provient de sa finalité : elle cherche l'efficacité, l'application. N. B. : On peut souligner l'opposition apparente entre ce qu'énonce Bergson et la rupture au contraire affirmée par toute l'épistémologie entre pensée commune et science. Mais c'est que Bergson s'intéresse moins aux méthodes, propres à la recherche scientifique qu'à ce qui finalise celles-ci. C'est pourquoi il admet complémentairement que la vérité scientifique "rate" le réel et n'en fournit qu'une image utilitaire.

III. Irréversibilité et philosophie

Comment rejoindre le réel, dans l'éclosion qui le caractérise à l'intérieur de la durée, pour éviter l'échec relatif du sens commun et de la science ? Telle est la tâche que Bergson attribue à la philosophie : elle doit "se représenter" l'irréductibilité (au même déjà connu) et l'irréversibilité (qui désigne donc l'impossibilité de produire l'inversion de la durée que suppose la connaissance ordinaire).

Cela suppose une véritable conversion mentale ; il faut en effet "faire violence à l'esprit", c'est-à-dire à ce qui lui est devenu habituel en fonction du modelage que lui ont imposé l'évolution de la vie et l'intérêt pour la pratique. Cette "violence" suppose une rupture relative à la science, alors même que celle-ci correspond aux "exigences fondamentales de la pensée". Une telle conversion doit "remonter la pente naturelle de l'intelligence", retrouver la source antérieure à l'intelligence elle-même (ce que Bergson nomme ailleurs l'"intuition"). La philosophie se réinstalle ainsi en amont de la distinction entre intelligence et instinct.

Se pose alors, éventuellement, le problème de son langage - puisque ce dernier, comme tout ce qui est en relation avec l'intelligence, est orienté vers la pratique et l'efficacité : il ne s'agit plus, pour la philosophie, de conceptualiser (tout concept échoue par définition à saisir "une histoire" dans la durée, puisqu'il ne retient que l'universel, donc le répétitif), et elle doit user d'une langue qui ne pourra être que métaphorique, afin de relancer le mouvement qui mène d'une forme à l'autre, d'un phénomène au suivant, en suggérant à quel point ce passage est irréversible.

Conclusion

L'originalité de la philosophie selon Bergson se marque à ce qu'elle seule apparaît capable, sous certaines conditions, d'évoquer comme il convient le mouvement qui constitue le réel. Du même coup, elle se distingue radicalement de toutes les autres activités intellectuelles (au sens strict, elle n'en fait même pas partie) leur échappant par excès et non par défaut - puisque sa fondation suppose la possibilité d'échapper aux habitudes falsifiantes de l'intelligence.