Beaumarchais, Le Mariage de Figaro - Acte V, scène 3

Fiche de révision du bac.

Dernière mise à jour : 01/10/2021 • Proposé par: freecorp (élève)

Texte étudié

FIGARO, seul, se promenant dans l'obscurité,

dit du ton le plus sombre :

Ô femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante ! ... nul animal créé ne peut manquer à son instinct : le tien est-il donc de tromper ?... Après m'avoir obstinément refusé quand je l'en pressais devant sa maîtresse ; à l'instant qu'elle me donne sa parole, au milieu même de la cérémonie... Il riait en lisant, le perfide ! et moi comme un benêt... Non, monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas... vous ne l'aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! ... Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs, pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes : et vous voulez jouter... On vient... c'est elle... ce n'est personne. - La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de mari, quoique je ne le sois qu'à moitié ! (Il s'assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ? Fils de je ne sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs moeurs, je m'en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J'apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d'un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! - Las d'attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre : me fusse-je mis une pierre au cou ! Je broche une comédie dans les moeurs du sérail. Auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l'instant un envoyé... de je ne sais où se plaint que j'offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie, de la presqu'île de l'Inde, toute l'Egypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate, en nous disant : chiens de chrétiens. - Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant. - Mes joues creusaient, mon terme était échu : je voyais de loin arriver l'affreux recors, la plume fichée dans sa perruque : en frémissant je m'évertue. Il s'élève, une question sur la nature des richesses ; et, comme il n'est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner, n'ayant pas un sol, j'écris sur la valeur de l'argent et sur son produit net : sitôt je vois du fond d'un fiacre baisser pour moi le pont d'un château fort, à l'entrée duquel je laissai l'espérance et la liberté. (Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais... que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits.(...)

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro - Acte V, scène 3

La situation de la scène dans la pièce

Dans l’acte I : les femmes (La Comtesse et Suzanne) affirment « [avoir] besoin de Figaro ». Dans l’acte V : elles mettent au point une machination dans son dos, en comptant sur son ignorance à son sujet. Malheureusement, il en a vent et fait marcher son imagination.

Figaro a perdu son prestige et son importance au près de la gente féminine.

Propos sujets à dénonciation dans le monologue

• « O femmes, femmes » : certaine remise en cause de la prédominance masculine absolue.
• Naissance ne doit plus être synonyme de mérite
• Amertume de Figaro

I. La vie de Figaro, un échec ?

a) Une succession d’aventures

Ce monologue retrace la vie de Figaro de manière précise : ses origines inconnues semblent responsables de ses malheurs, car volé par des brigands. Or quand on a des origines inconnues ou une appartenance à une mauvaise famille, l’ascension sociale apparaît fortement compromise.

b) L’échec de Figaro dans sa quête de la jouissance personnelle

Sur le plan social et professionnel, sa vie est parsemée d’embûches et de frustration : il a fait des études de chimie, pharmacie et chirurgie, or il n’est que vétérinaire
ce qui est dévalorisant à l’époque.

Il est censuré lorsqu’il écrit une pièce de théâtre (ironie, accumulation et hyperbole soulignent sa déception). L'écriture d’un texte traitant du produit net l’emmène même droit à la prison. Son honnêteté, paradoxalement, le pousse en prison. Il y abandonne définitivement « espérance et liberté ». Son désir de carrière honnête semble définitivement repoussé.

La vie quotidienne de Figaro n’aura été que déceptions et rabaissement., et la vie personnelle de Figaro n’apparaît guère plus épanouie: la seule satisfaction réside en un mariage qui, lui aussi, lui semble fortement compromis en ce point de la pièce. Il est enfin privé de la connaissance de ses parents, et donc d’une éventuelle ascension sociale, mais en plus de l’amour de ses pairs.

c) L’autodérision de Figaro

L’ironie jalonne ce monologue : « il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits », « parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! » : ce ton convient parfaitement à aux torts qu’a causé la vie à Figaro en retour de ses nombreuses espérances.

L’autodérision mariée à son humour sont ses armes pour combattre ses échecs : « las d’attrister des bêtes malades […] me fusse-je mis une pierre au cou ! » Antithèse entre les études et les efforts réalisés, et le métier obtenu, ce qui entraine son découragement. L'autodérision est de ce fait saine et bienfaitrice : A chaque échec, Figaro rebondit… pour s’enfoncer encore plus, mais son ton d’autodérision lui permet de ne pas succomber à la dépression.

II. Une critique de la société

a) L’inégalité

Cette inégalité transparaît avant tout dans la naissance. On a la comparaison du destin de Figaro et de celui du comte, et la dévalorisation humoristique de la naissance : « vous qui vous êtes donnés la peine de naître », qui entraîne passivité, hiérarchie sociale préétablie et des positions fixées à l’avance. Le Comte est qualifié d’homme « assez ordinaire » alors que la considération générale fait que « parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie » : nouvelle antithèse. Figaro généralise sa situation. Le comte est généralisé aux « puissants ».

Figaro a dû déployer plus d’énergie qu’on a mis à gouverner toutes les Espagnes pendant cent ans pour survivre alors que le comte s’est juste donné la peine de naître. L’humour est l’arme de Figaro. Il est constamment mis en échec : il appartient à la foule obscure. Naître est la tâche du comte, exécuter celle de Figaro.

b) La censure

Une censure aveugle et dénuée de bon sens : Figaro, pour avoir écrit un traité d’économie (pensée traduction de véritables sentiments), va en prison. Figaro se moque des arguments avancés par la censure.

Une censure qui entretient les inégalités. A l’époque, tout ce qui concerne la pensée est l’objet du contrôle de l’état : régime de type totalitaire. La pièce du Mariage de Figaro, censurée durant quatre ans, représente, en plus du monologue de Figaro, le contrôle excessif de l’art et de la pensée, de la liberté d’expression.

Se suicider serait même préférable à faire du théâtre  « me fussé-je mis une pierre au cou » car on ne peut ainsi plaire à tout le monde et on s’expose ainsi aux mécontentements « ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant ».

Conclusion

Un des plus longs monologue français, qui narre la confrontation de l’expérience d’une vie avec les réalités d’une société. Malgré toutes ses difficultés, l’autodérision et l’amertume conduisent Figaro à reprendre courage et à ne pas désespérer.

À noter : Le monologue dans la pièce marque le moment de crise…