Que veut dire : « Se rendre maître de ses passions ? »

Corrigé entièrement rédigé en trois parties :
I. Maitriser ses passions cela semble les détruire grâce à la raison,
II. Mais cela n'est jamais entièrement possible,
III. Dès lors la maitrise des passions c'est d'être conscient de leur persistance

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: franckp (élève)

De Platon aux exercices spirituels d’Ignace De Loyola, le fondateur de l’ordre des Jésuites, la critique des passions a conduit à soutenir un idéal de la maîtrise de soi et à définir une certaine conception de la liberté. En effet, celui qui est soumis à la passion est aliéné, au sens premier du terme, il est devenu autre. Entièrement dominé par ses affects, il ne se maîtrise plus. Inversement, se rendre maître de ses passions, les extirper, c’est véritablement se rendre maître de soi, puisque le soi n’est rien d’autre que la partie proprement humaine de notre âme. Ainsi que veut dire : « se rendre maître de ses passions ? Cela signifie-t-il les détruire ou bien les dominer ? Dans un premier temps, les Stoïciens considèrent qu’il faut viser l’apathie et pour cela détruire les passions grâce à l’usage de la raison. Mais, dans un second temps, Kant nous démontre que la raison ne peut rien contre la passion et que seul le corps pourrait influencer les passions. Enfin, nous verrons que cette maîtrise n’est pas absolue car il reste toujours une part d’affectivité première et que la passion peut devenir liberté et action grâce à la connaissance des causes qui font que nous sommes passionnés.

I. Maitriser ses passions cela semble les détruire grâce à la raison

En premier lieu, se rendre maître de ses passions, peut être considéré dans le sens de « vaincre ses passions », les détruire, les exterminer et en ce sens, on rejoint la conception stoïcienne dans la maîtrise des passions. En premier, il s’agit dans se libérer de la crainte. Sur ce point, les Épicuriens sont aussi d’accord. Ce qui trouble l’âme, ce sont les « vaines craintes », dit Épicure : la crainte des Dieux, la crainte de la Mort, la crainte de la souffrance. Tout cela nous rend esclaves. Aussi, Épictète considère que la Mort n’est pas à craindre, pas plus que la souffrance ou le jugement des autres. Cependant, les raisons que nous avons de ne pas prendre ces craintes au sérieux, de les traiter comme le fruit de l’imagination malade, sont différentes. Si la crainte est une tristesse accompagnée de l’idée d’une chose future, l’on peut avoir deux attitudes opposées concernant l’avenir. Les Épicuriens soutiennent la thèse de la contingence des futurs et refusent la fatalité, ce qui nous laisse toujours la possibilité d’exercer notre liberté en vue de vivre bien et d’éviter les maux. En revanche, les Stoïciens considèrent que la Nature obéît à des déterminismes stricts et que la seule attitude possible pour le sage est de vouloir ce qui advient nécessairement. Croire à la contingence des futurs, c’est toujours se placer sous la domination de la crainte et l’espérance. Chrysippe disait alors : « Tant que l’issue est douteuse, je m’attache toujours aux objets, les plus propres à me faire atteindre mes fins naturelles ; car Dieu m’a fait tel que je choisis ces objets. Mais si je savais que le Destin veut que je sois actuellement malade, j’aurai la volonté de l’être alors ». Parmi les craintes dont on doit se défaire, celle de la Mort est la plus importante. « Philosopher, c’est apprendre à mourir », affirmait Platon. C’est apprendre à être mort, parce que être mort n’est pas à craindre ; bien au contraire, puisque l’âme est alors délivrée de ses passions et des désirs du corps qui l’emprisonne. Ainsi, il ne faut pas la craindre, car étant une privation des sensations, elle peut faire souffrir. Chez les Stoïciens, l’entraînement au mépris de la mort va jusqu’à défendre le suicide comme étant l’acte d’un sage. Le suicide n’est alors pas un moyen de fuir les malheurs d’une vie insupportable, mais il est fondamentalement un acte de liberté.

Ainsi, selon Épictète, celui qui ne craint ni la mort, ni l’exil, ni la prison, est son propre maître car il s’est débarrassé de cette prison qu’est la crainte. Pourtant, cela n’est pas suffisant, il faut aussi se débarrasser de ses désirs et de ses espérances. Ainsi, au désir de dominer, la sagesse recommande de substituer le désir, de se dominer. Le vaincre, est-ce dominer ses désirs et en quel sens ? S’agit-il de supprimer ses désirs ou au contraire d’en modifier les fixations imaginaires ? Ainsi, par exemple, pour les Épicuriens, le sage évite l’Amour, mais pas ses plaisirs, car l’Amour est une forme de passion du pouvoir, de désir et de domination.

Ainsi en pratique, en quoi consiste cette maîtrise de nos affections ? Dans la tradition Stoïcienne, cela ne présente aucune difficulté insurmontable. Nous ne sommes pas maîtres de l’ordre naturel, mais nous sommes maîtres de nos propres représentations. Il s’agit donc de travailler sur soi-même pour modifier ses représentations. Comme le dit Épictète, « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements relatifs aux choses ». Si notre entendement est limité, notre volonté, au contraire, ne rencontre aucune limite. Il est donc toujours possible de donner ou de refuser notre assentiment à telle ou telle opinion. Se débarrasser des fausses opinions, ne demande que des actions volontaires, guidées par la raison. C’est le rôle des exercices que proposent surtout les Stoïciens Romains – en particulier Marc Aurèle. C’est cette tradition que reprennent le Christianisme et plus tard l’ordre des Jésuites. Ignace de Loloya écrit un livre D’Exercices Spirituels, « pour se vaincre soi-même et régler sa vie sans se déterminer par affection désordonnée ». Cependant, dans ce dernier cas, les exercices ne font pas tant appel à la raison qu’à l’imagination : dans la méditation, il faut par exemple s’entraîner « à voir des yeux de l’imagination, la longueur, la largeur et la profondeur de l’enfer ». Et ainsi, « je verrai des yeux de l’imagination, ces faux immenses et les âmes des réprouvés comme enfermées dans des corps de feu ».

II. Mais détruire ses passions n'est jamais entièrement possible

Nous avons donc vu une première interprétation de l’expression « maîtriser ses passions ». Aussi, celle-ci implique qu’il faut éliminer les passions pour les Stoïciens, et notamment la crainte et l’espérance et que cela est réalisable grâce à un exercice de la raison et de l’imagination. Maintenant, nous allons voir que cela n’est pas possible, dans la mesure où il reste toujours une part d’affectivité première.

En effet, il s’avère impossible de contrer la passion pour l’exercice de la raison. L’apathie visée par les Stoïciens est irréalisable, comme le montre Kant. « Les passions sont des gangrènes pour la raison pure pratique », ces mots très forts signifient que la raison ne peut rien contre les passions, car ces dernières corrompent la raison, qui sert à porter des jugements de valeurs. Dans l’article 80 de L’Anthropologie de Kant, il essaye de décortiquer la passion : nous avons d’abord un penchant pour quelque chose (les femmes, par exemple) ; ensuite, l’instinct nous pousse à saisir ce penchant ; puis il y a le désir avec une représentation, c’est l’inclination, qui porte sur un objet déjà connu. Or nous sommes en permanence en train de désirer d’où la raison est sans cesse entrain d’évaluer nos inclinations, les unes par rapport aux autres. Ainsi, la passion se présente comme une inclination qui prévaut sur toutes les autres inclinations, et donc, Kant identifie la passion à un dysfonctionnement de la raison. Donc, ce n’est pas la passion qui est malade, c’est la raison : « La passion est une maladie de l’âme ». Aussi, passion et raison ne sont pas antinomique, la relation n’est pas binaire, comme le considérait les Stoïciens, elle est beaucoup plus complexe. Effectivement, on peut, au fond de sa passion, être complètement rationnel : la dimension calculatrice de la raison perdure (comme dans la passion pour les mathématiques, par exemple). Ainsi, la raison est malade, mais elle ne le sait pas, étant donné qu’elle est toujours fonctionnelle : le malade ne sait pas qu’il est malade. Par conséquent, il semble impossible de guérir de la passion (de même, pas par l’usage de la raison).

Ainsi lorsqu’on parle de « se rendre maître de ses passions », il faut préciser que cette maîtrise relève d’une certaine domination des passions, et non pas de leur élimination et ensuite cette maîtrise n’est jamais absolue : il faut être conscient que la passion comporte une part de passivité irréductible. Aussi, il est impossible de contrer la passion par la raison, Hume nous dit qu’il faut se servir du corps. En effet, la raison est, à la base, déconnectée du sensible, et, l’on ne peut corriger quelque chose qu’avec une chose de même nature. Il est alors possible de remplacer un réflexe acquis. L’association des gestes produits des associations réflexes dans la structure du corps. La passion étant ancrée dans le corps, elle ne peut être changée par une simple représentation de l’esprit. En revanche, elle peut être agir sous l’effet de la passion contraire. Il faut alors savoir se jouer des passions, déjouer les effets pervers en jouant avec elle. Prenons alors l’exemple du dressage. Descartes nous montre que les passions animales, n’ont pas leur origine dans l’activité de l’esprit, mais dans le jeu des causes et des effets du corps. Il est donc possible de tirer des leçons du comportement animal, uniquement déterminé par le machinisme corporel. On peut alors apprendre à un chien de chasse à s’arrêter lorsqu’il entend une perdrix et à accourir vers un coup de feu, alors qu’il est naturellement porté à faire le contraire. La maîtrise des passions n’est donc pas affaire de don supérieur, mais d’attention portée aux fonctionnements de corps.

III. Dès lors la maitrise des passions c'est d'être conscient de leur persistance

Mais attention, cette logique de passion ne doit pas être absolutisée. La vraie maîtrise des passions ne consiste pas tant à écarter l’involontaire, qu’à être conscient de sa persistance.

Ainsi, « se rendre maître de ses passions », revient à comprendre que les raisons qui peuvent les accompagner n’en sont pas les causes principales. La passion relève d’abord de la causalité : elle appartient à l’ordre de la mécanique, et non à celui de la signification. Il ne faut donc pas prendre au sérieux, le discours qui accompagne la passion, donner du sens à ce qui est irréductible au sens. Les passions sont effectivement révélatrices de l’attachement de l’homme au sensible : elles lui rappellent qu’il n’est pas tout puissant et extérieur à toute détermination. Il faut donc comprendre ses affects à partir des lois générales de la causalité. Rien n’arrive sans cause, rien n’est anormal au regard de la Nature. Il suffit donc d’analyser les passions comme tout autre phénomène naturel. Elles sont des effets dont il est possible de déterminer les causes, et, en ce sens, il n’y a rien d’irrationnel dans les passions. Elles peuvent donc être objectivées. Il est possible de comprendre les passions à la façon des géomètres en les ramenant à ce qui les constitue : la causalité. Aussi, Spinoza distingue deux types de causes : les causes adéquates et les causes inadéquates. Les causes adéquates sont celles dont on peut percevoir les effets par elle-même, alors que les causes partielles ne peuvent être comprises par elles seules.

En réalité, l’Homme n’échappe jamais à l’enchaînement des causes et des effets. Quoi qu’il en pense, il est toujours inscrit dans l’enchaînement causal. Il n’y a pas le choix entre éprouver et ne pas éprouver la passion : « L’Homme n’est pas un empire dans un empire », il n’est pas supérieur aux lois de la Nature. Aussi, l’opposition passion / action ne doit pas être comprise comme une opposition détermination / liberté. La seule différence entre la passion et l’action, tient à la manière de se comporter face aux effets de la passion. La passion est une servitude, un esclavage lorsqu’on la subie sans la connaître effectivement. En revanche, elle peut devenir liberté et action si l’on essaye de la comprendre : la liberté ne signifie pas évoluer sans aucun déterminismes, mais comprendre la logique de ce qui nous fait agir. Ainsi, « se rendre maître de ses passions » est possible grâce à la connaissance. Dès lors que le sujet comprend ce qui le détermine, il n’en est plus le jouet. On peut alors illustrer cela par l’exemple de la psychanalyse. En effet, la psychanalyse va chercher à déterminer, à rendre compréhensible ce qui se cache dans notre inconscient et qui peut agir sur l’Homme. Ainsi, grâce à la psychanalyse, le patient retrouve la liberté ; il n’est pas débarrassé de ses troubles inconscients, mais il en prend peu à peu conscience, il comprend les causes de sa maladie.

Conclusion

En conclusion, « se rendre maître de ses passions », ne veut pas dire les détruire grâce à l’action de la raison. En effet, la raison ne peut rien contre la passion et il reste toujours en l’Homme, une part irréductible d’affectivité première. La maîtrise des passions n’est donc jamais absolue, et relève plus de la domination par la connaissance, car l’Homme domine ses passions, dès lors qu’il comprend les causes qui ont pour effet la passion. Aussi, même si la dépendance vis-à-vis de la passion n’est pas une fatalité, elle ne saurait être adulée. Pour que la passion passe, que faut-il faire alors ? Cela ne relève donc pas de l’Homme : la passion s’éteint d’elle-même, à l’instar de la « décristallisation » de Stendhal, ou bien, quand notre désir est satisfait. En effet, le désir relève d’un manque, si celui-ci est comblé, alors la passion s’arrête d’elle-même.