Quelle est l'utilité du travail ?

Une copie personnelle et qui peut renseigner l'élève avec de nombreuses références littéraires et historiques. J'ai obtenu 10/20. Pour améliorer la copie : explorer les bienfaits du travail et marquer une vraie évolution dans le plan entre chaque partie.

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: burd (élève)

Avec un peu moins de 200 millions de chômeurs dans le monde en 2012 et un accroissement constant de ces chiffres, l'Être humain est en phase de se demander si l'humanité a réussi à résoudre son problème économique originelle. La mécanisation et la dénaturation successive de l'outil aliènent le travail, le rendant moins personnel et par conséquent moins essentiel. Le fordisme se caractérise notamment par des profondes transformations du rapport salarial. Le col bleu pouvait considérer son travail cantonnée à un domaine circonscrit de son existence dans laquelle il endurait une aliénation qui était compensée par une augmentation de son pouvoir d'achat et à fortiori par une sécurité lui permettant d'envisager une "réalisation de soi". L'impossibilité pour l'ouvrier de se vouer corps et âme à sa production rend la réalisation caduque: l'objet n’est plus une extension de sa volonté personnelle mais uniquement un produit étranger dont il a participé à la confection. Indissociable de la torture par son étymologie, le travail est en fait un instrument de maréchal ferrant, le Littré en donne cette définition: "nom donné à des machines plus ou moins compliquée à l'aide desquelles on s'assujettit les grands animaux, soit pour les ferrer quand ils sont méchants, soit pour pratiquer sur eux des opérations chirurgicales". En ce sens, il suppose une sphère de la production matérielle ou domaine de la nécessité, comme base distincte du domaine de la liberté: séparer le travail des maréchaux et travail, peine, fatigue, pour la forme ni même par le sens serait un véritable contresens. Le travail se situe donc à un tout autre niveau que le jeu, précisément parce que le jeu est une activité libre, et se structure de manière plus ou moins égalitaire ; le groupe de travail est au contraire essentiellement hiérarchique et contrôlé. Les analyses de Marx ont mis en évidence le rôle dominant des moyens de production dans le processus de travail. Le mode de production est un indicateur élémentaire des rapports sociaux qui régissent les sociétés. La société capitaliste, à travers la division du travail masque que le travail est "avant tout un processus qui se passe entre l'homme et la nature, un processus par lequel l'homme règle et contrôle, par sa propre activité, l'échange de matières avec la nature" (Boukharine). Dans les conditions libérales, le travail salarié revêt non plus seulement une valeur d'usage, mais une valeur d'échange: la valeur d'une marchandise. La logique des travailleurs est-elle susceptible de s'accorder avec celle des détendeurs des moyens de production au nom de l'intérêt collectif? La question n'est-elle pas plutôt celle de la valeur du travail? Travailler pour travailler, n'est ce pas la pire des malédictions? L'entrée dans une société de plaisir où l'oisiveté n'est plus considéré comme un pêché pose encore une fois la question de l'utilité du travail, du labeur, du produit obtenu à la sueur de son front.

Le travail apparait comme une activité naturelle de l'Homme. Par l'utilisation de ses forces naturelles, l'être humain s'intègre dans un mouvement immuable propre à tous les êtres vivants: la transformation de la nature. Est ce que cette mutation de l'environnement est nécessairement contraignante? La souffrance, la douleur, l'oppression et indirectement le dépassement de soi sont-elles les essences du travail? Le travail se distingue de la simple modification de la nature en ceci qu'il implique l'intervention d'outils et donc une rationalisation de la production. Rousseau écrit dans un manuel de Moral que l'oisiveté et la paresse sont les états naturels de l'Homme, réflexion toute à fait erronée lorsqu'on sait que le travail s'enracine en certains besoins organiques. Il existe en nous une tendance naturelle à agir, à façonner notre environnement. Le jardin d'Eden, loin d'être un lieu de langueur et d'inaction, permettait, à travers l'affranchissement d'un grand nombre de contraintes subsidiaires, le développement d'activités plus nobles et plus plaisantes. Le travail est donc présent dans le paradis chrétien sans son apparence assujettissante. La déchéance comme châtiment à l'ingurgitation du fruit proscrit, eut pour conséquence de profondément modifier le caractère du travail, le rendant plus contraignant, lui donnant une profondeur sociale qu'il n'avait pas autrefois. Travailler est une obligation imposée par la vie en société et c'est de cette même injonction qu'émerge la pénibilité dans le travail, le devoir de travailler à certaines heures, de produire un certain quotas ou même la monotonie des journées sont autant d'éléments explicatifs. Ajoutez à cela que la cellule de travail est organisée de manière clairement hiérarchisée et on aperçoit clairement l'antinomie entre le rôle délivreur du travail comme décrit dans le dogme judaïque et l'idée fondamentalement léonine de consacrer sa vie entière à la gagner.
Le travail, écrit Janet, est un genre d'action plus difficile et plus rare qu'on ne le croit. Il n'existe pas dans le monde animal ou chez les hommes primitifs. Ils n'agissent qu'exclusivement par instinct, pour combler leur tendance primitive à la recherche de l'aliment et à la fuite de la douleur, mais ils ne font pas par eux mêmes l'acte de création, de projection hors de soi. Par opposition au simple cueilleur, l'agriculteur est le démiurge de la société. En effet, depuis que le nombre d'individus peuplant la terre est devenu supérieure à la quantité de fruits qu'offre la nature à l'état sauve, l'Homme vit dans la précarité. Il est contraint de compenser le surnombre en "forçant" la nature à donner davantage. Il produit lui même ses conditions d'existence plus ou moins contingente avec les facteurs extérieurs. Par le travail, l'être humain crée les conditions de son adaptation. De cette manière là, la finalité du travail est notre survie biologique. Le dédain grec vis à vis du travail s'explique en partie par cette faiblesse, cette incapacité à supporter un corps trop médiocre qui le voue à des activités insignifiantes et absconses. Cette opposition entre les besoins corporels primaires et des soins spirituels secondaires est le point névralgique de toutes les réflexions sur le travail. Une conclusion commune et sans équivoque se dégage: nous sommes esclaves de notre corps et de nos besoins. Pour pouvoir cultiver son âme sans porter le moindre intérêt aux "poèsis", le grec développera une société où l'esclave est l'unique moyen de production. La révolution industrielle et plus particulièrement les révolutions sociales des années 70 ont profondément dénaturés la relation dominant/dominé. On a assisté à un changement de paradigme, qui à travers la glorification du volontarisme et de l'autonomie, cache en fait une forme nouvelle d'exploitation de l'homme par l'homme: on est passé d'une lutte objective entre un patron et un salarié à une adversité cachée où une main divinisée et invisible est garante de l'autorité et de la productivité.

La spécificité du travail humain est l'implication du travailleur dans un projet proprement spirituel, se différenciant à nouveau de la production animale qui n'obéit qu'inconsciemment à un code génétique, à une nécessité. Marx ira jusqu'à écrire que l'Homme, loin d'être une "essence" ou une "valeur de soi" se construit par le travail. L'extériorisation de soi même à travers le travail manuel (le travail prolétaire) devient l'unique catalyseur d'humanité. Ainsi ce serait dans la besogne, dans le contact privilégié avec l'outil et le matériau, que l'homme atteindrait sa vrai nature, loin de toute abstraction intellectuelle; hypothèse confirmée par Simone Weil dans sa Condition Ouvrière. Toutefois cette avis n'est pas partagée par tous les contemporains de Marx, Nicolas Berdiaev par exemple exprime une critique particulièrement pertinente. Pour lui, la faiblesse inhérente à la théorie marxiste est le matérialisme que ce soit dans le travail ou dans l'humanité en elle même. Derrière les facteurs économiques du travail, il faut voir les hommes vivants et leur activité créatrice, les rapports économiques ne sont qu'un détail muable contrairement aux théories économiques classiques. "La chosification de l'Homme, la manière de traiter l'homme en matériel, la transformation du travail en marchandise, c'est le résultat de l'esprit matérialiste du capitalisme. Il est impossible d'y opposer le matérialisme, on ne peut y opposer que le personnalisme qui voit partout des sujets vivants qui ne veulent pas être des choses et des moyens". Le travail exige une attention soutenue, l'ajustage minutieux des gestes et des états mentaux à la tache imposée et la coordination complexe de tous ces actes en vue du résultat à obtenir. Durkheim écrira à ce sujet "Quel prodigieux assemblage d'idée, d'images, d'habitudes n'observe-t-on chez le prote qui compose une page d'imprimerie, chez le mathématicien qui combine une multitude de théorèmes épars et en fait jaillir un théorème nouveau"
Néanmoins, restreindre le travail à une volonté, une extériorisation de soi serait une erreur à ne pas commettre. Un autre facteur est à prendre en considération pour la compréhension des mécanismes du travail: l'outil et par extension la technique. La technique se présente comme un pur moyen que l'homme met en oeuvre pour agir sur les choses de manière à les adapter à ses besoins. Cette capacité à convertir des objets extérieurs en organe de son propre corps est un don intrinsèque à l'Homme. Le mythe de Protagoras, que Platon raconte dans l'ouvrage éponyme, révèle une conception ambivalente de la technique. En effet, la technique y est inscrite d'une part comme l'insuffisance de l'Homme à survivre par des moyens naturels et d'autre part comme la clef de voute de l'intelligence. La technique constituerait ainsi le noyau de l'histoire, car les progrès de cette dernière ont des effets dans toutes les sphères de l'existence. Elle permet la résurrection de tous les grands archétypes: le Vrai, le Bon, le Beau et le Bien. Cette importance de la technique pour la vie humaine et l'ampleur de son développement font même dire à Bergson qu'il faudrait parler d'homo faber plutôt que d'homo sapiens. Benjamin Franklin ira jusqu'à énoncer que "l'homme était un animal apte à fabriquer des outils". On a beau remarqué chez les hominoïdés l'usage d'instruments, mais le bâton dont se sert le babouin pour attraper sa banane n'est qu'une réaction à une urgence dans l'instant et non pas une construction complexe de son esprit. Mu par un désir qui se transforme en crainte, le singe ne voit pas le bâton comme un moyen ni comme une fin. Pour lui tout fait parti d'un ensemble préconçu où son insertion est dépendante de sa survie. La production humaine, quant à elle, ne peut être que consciente, cette médiation lucide propre au travail l'oppose à la spontanéité des activités instinctives.
Le travail est la mesure réelle des échanges. Les hommes sont riches ou pauvres, suivant les moyens qu'ils ont de se procurer des denrées et des services. Toutefois, l'être humain ne peut qu'obtenir une infinité des choses qu'il désire par son propre travail; en ce sens il dépend du labeur d'autrui et réciproquement les autres dépendent de son travail. Cette interdépendance est essentielle pour créer un équilibre économique. Ainsi comme l'écrit Adam Smith dans sa Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations en 1776 "Ce n'est point avec de l'or ou de l'argent, c'est avec du travail, que toutes les richesses du monde ont été achetées originairement; et leur valeur pour ceux qui les possèdent et qui cherchent à les échanger contre de nouvelles productions est précisément égale à la quantité de travail qu'elles le mettent en état d'acheter ou de commander". Toutefois, Adam Smith ne prend pas en compte un autre facteur éminemment important dans son analyse: la rareté du produit ou la difficulté de la production. Contrairement à une opinion fortement répandue, ce n'est pas l'utilité d'une action qui définit sa valeur mais bien sa rareté. Or aujourd'hui les objets que l'on pourrait prénommer rare s'avèrent se restreindre à un champ mineure du commerce mondiale. Quand on parle de marchandise, de valeur échangeable, on ne voit donc que les productions industrielles sans moindre entrave, dont la rentabilité est encouragée par la concurrence, autrefois la marchandise était estimée en fonction du temps de travail mis à sa production. Les changements de logique successifs rendent le travail accessoire, transmutant ses vertus en vices que l'entreprise corporatiste se targue de défendre. L'efflorescence de cette pensée "nabab" montre que le lien entre richesse et travaille ne cesse de se relâcher. L'argent, soudain, paraît être indépendamment, sans la moindre interaction avec le travail puisqu'il n'est pas lui même fabriqué par ce dernier. Ainsi s'inverse le rapport originel, selon lequel le travail produit la richesse, aujourd'hui le riche peut s'étioler sur ses acquis et acheter le travail d'autrui grâce à l'argent qu'il a pu accumuler auparavant.

Tolstoï écrit que "l’argent est une nouvelle forme d’esclavage, il se distingue de l’ancienne simplement par le fait qu’il est impersonnel." L'appât du gain étant illimité, l'argent emprisonne l'Homme dans un cercle vicieux. Par son caractère infini, il provoque une véritable "metabsis eis allo genos" (Aristote) par la négation de toutes les valeurs finies. C'est pourquoi, la cupidité, par la propre antinomie dont elle est issue, peut pervertir toutes les valeurs. Comme l'énonçait Gandhi, "la Terre a assez pour les besoins de tous, mais pas assez pour la cupidité de chacun". En ce sens, ce désir d’immortalité exprime l’attachement que l’être a à l’égard de lui, l’attachement à son existence singulière et naturelle, et l’impossibilité ou le refus de s'en détacher. Il souhaite alors simplement persévérer dans son être, se conserver tel qu’il est, se maintenir dans un rapport d’identité absolue avec soi. Ainsi ce processus par lequel "tout est à vendre; tout s'achète; il suffit d'y mettre le prix" (Apollinaire) entraîne à termes une destruction de tout pouvoir démocratique, la société est alors régie par une petite minorité riche et influente. L'argent ne participe pas au bonheur, bien au contraire, il le fragilise: la satisfaction de tous les désirs, c’est la recherche inconsciente à contrefaire le désir dans un réceptacle extérieur et non plus dans l'âme.
La dialectique du maitre et de l'esclave hégélienne apporte une précision fondamentale. L'esclave fait abstraction de sa survie spirituelle et sociale pour faire prévaloir son intégrité physique et organique. Dépendant de la nature, l'esclave se comporte négativement à l'égard de la Chose et la supprime mais il est en même temps indépendant d'elle. L'esclave la transforme par son travail et la dématérialise. Le maître force l'Esclave à travailler et par son travail, l'esclave devient maître à son tour de la nature. Par cet exploit, l'esclave se libère du joug de la nature et de son essence d'esclave même, le maitre qui a interposé l'esclave entre la Chose et lui, se relie ainsi sur l'Esclave et devient dépendant de ce dernier, il l'affranchit. Il abandonne son indépendance à l'esclave qui conçoit le fruit de ses jouissances. La conclusion est sans équivoque, l'histoire n'appartient plus finalement à la nation guerrière, qui par une suite de victoire a pu engranger une masse importante d'esclave mais à l'esclave lui même qui par son travail a transcendé les limites de sa condition d'Homme. "C'est en servant un autre, c'est en s'extériorisant, c'est en se solidarisant avec les autres qu'on s'affranchit de la terreur asservissante qu'inspire l'idée de Mort" (Hegel). Le travail transforme le Monde et civilise, éduque l'Homme. Comme l'écrit Freud, le travail est un moyen qui associe les trois étages du psychisme humain: le subconscient, l'inconscient et le moi. Grâce au travail, l'homme "sublime" ses pulsions (Freud); par la transformation des Choses, il se transforme et "cultive son jardin", lorsque l'Homme travaille, il se produit un changement qualitatif de son être tout entier. Cette transformation de l'âme se manifeste de manière analogue lors de l'éducation. L'étude cache des qualités même rudimentaire que l'Homme trouve par excellence dans le travail. Comme l'a explicité le mythe de Protagoras, l'Homme, contrairement aux animaux avantageusement dotés, n'a rien sinon la raison. Toujours est-il que la raison n'est pas une fin et ne permet pas de survivre en elle même, elle est une faculté ouvrant la voie à l'invention d'outil et de technique palliant à l'inconfort de l'humanité. Cependant, l'Homme ne se contente pas de produire un bien pour subsister, il s'évertue de s'éloigner de l'inconfort originel, croyant par là atteindre "la perfection intérieure" (Kant). L'Homme n'est pas un être fini, il doit se faire lui même. Sartre écrivait à ce propos que "l'Essence précède l'Existence", l'Homme par le développement de son intelligence en cherchant des solutions aux problèmes de son intégration dans le monde atteint vraiment l'humanité: "L'homme ne naît pas homme, il le devient par un effort de créativité" (Erasme). La philosophie d'Emmanuel Lévinas affine cette théorie et montre en quoi la question de l'être humain est avant toute une question éthique. Le discours rationnel qui prônait sa justesse dans son intégralité, ne voit en l'homme qu'une accumulation de données objectives. Contre la tradition cartésienne dont il est lui même issu, Lévinas place l'éthique à la place de la raison. "Ce qui est premier, ce n'est pas l'être, mais c'est la relation à l'autre". C'est dans la confrontation avec l'altérité que l'Homme se révèle. La vision platonicienne de l'être humain comme essence éternelle est profondément remise en question. Le travail a donc une valeur didactive, en effet il implique un effort, de la constance et de l'attention (comme on l'a vu avec Durkheim).

Toutefois glorifier le travail comme preuve inaliénable de la supériorité de la collectivité sur la somme des individualités expose une force dynamique homogénéisante de l'individu. Le travail bride l'individualité et il constitue " la meilleur des polices" à toute tentative de dépassement de l'ordre établi. A travers l'assimilation à un cadre nécessaire à sa survie, le travailleur se sent intégré dans un mouvement qu'il considère immuable et où son influence semble essentielle. L'homme est enchainé derrière une responsabilité à l'égard d'autrui et le risque de détruire la sécurité, divinité suprême, qui en découle. Tous ces années de pérégrinations sont une preuve de cette indifférence professée à l'égard de la gloire mondaine, de l'importance immense qu'il concède à la vie instinctive. De là mon exaltation de la non possession, ma haine pour les objets, pour la propriété, ma répugnance à servir ou à être servi: celui qui n'est le maitre ni le serviteur de personne possède une bien douce existence. Je suis méfiant envers le travail considéré comme moyen de gain et d'assoupissement des instincts naturels. Je suis issu du même espoir qui soutient Robinson et qui anime le labeur des hommes dans leur rapport avec la nature, la négation du travail par le travail ; mais celui qui choisit ses moyens et ses fins selon ses propres normes trouve dans les difficultés vaincues son véritable accomplissement et son propre bonheur. C'est dans la liaison harmonieuse de la réalité et du rêve, dans cette manière si enfantine de prendre l'enchantement au sérieux, de la consacrer comme vérité essentielle que l'Homme se libère de toute aliénation, pour atteindre sa véritable essence.