Les « amoureux de la sagesse » se sont interrogés sur la manière de rechercher et d’atteindre la vérité, quand la confiance envers le langage, conçu comme un moyen d’y arriver, s’est ébranlée. C’est donc à partir du sentiment de la perte de la vérité que la pensée en a organisée la recherche. Toute l’histoire de la philosophie témoigne de cette inlassable quête. La vérité concerne l’ordre du discours, et il faut en cela la distinguer de la réalité. Elle se définit comme l’adéquation entre le réel et le discours. La vérité formelle, en logique, en mathématique, c’est l’accord de l’esprit avec ses propres conventions. La vérité expérimentale c’est la non-contradiction de mes jugements, l’accord et l’identification de mes énoncés à propos d’un donné matériel. La vérité est une valeur qui concerne un jugement. Craindre quelque chose c’est en avoir peur, on ne recherche pas ce dont on a peur, on le fuit. « Faut-il » exprime la nécessité, l’obligation : doit-on , est-il nécessaire de la craindre. Pourquoi vouloir la vérité ? Pourquoi ne pas en avoir peur, ou pourquoi en avoir peur ? Quelle menace représente –t-elle ?
La thèse selon laquelle la vérité se réduit à ce que l’individu veut bien en énoncer n’est pas nouvelle. Les Sophistes en avaient déjà fait leur credo philosophique. Ce relativisme humaniste postulait que l’Homme était la mesure de toutes choses, et que sur un même problème il était légitime d’énoncer une thèse aussi bien que sa contradictoire. Ce faisant, la sophistique confond l’être et les apparences, l’opinion et l’idée. La thèse sophistique est le lieu de tous les excès : dans cette perspective de relativisme intégral, sur quel fondement distinguer le juste de l’avantageux, et le vrai du vraisemblable ? Les Hommes ont besoin de certitudes : l’efficacité de leur action en dépend. Que penser du relativisme, qui dénie à la vérité tout caractère universel ? Ne faut-il pas, à sa suite, reconnaître « à chacun sa vérité » ? Le faire reviendrait à dissoudre la vérité dans une pluralité d’opinions, relatives aux points de vue particuliers de ceux qui les énoncent ; et il n’y aurait donc plus de vérité, mais des vérités. Contre le relativisme, s’affirme l’exigence d’une vérité universelle, irrécusable. C’est cette requête qui opposait Platon déjà aux sophistes de son temps. C’est cette même requête qui est à l’origine de la pensée cartésienne. Il semble bien que nous soyons dans l’incapacité de prouver la vérité. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous soyons dans l’incapacité de l’atteindre. Si rien ne prouve que nous soyons dans le vrai, rien ne prouve non plus que nous soyons dans l’erreur. La vérité est toujours de l’ordre du discours ou encore de la représentation. Elle n’est donc ni un fait ni une donnée, elle doit toujours être recherchée. Le modèle de la vérité pour le 18ème siècle est celui de la remise en question. La philosophie des Lumières reprend les sujets comme l’art, la religion, le droit, la science ; les « ressaisit », les « clarifie » ; avec comme difficulté propre le devoir de les respecter dans leur originalité tout en les soumettant à l’examen. La « vérité » qui était admise comme inébranlable dans les siècles passés s’étant révélée fausse, mensongère, réfutable, discréditant les valeurs sous-jacentes, Nietzsche proclame : « il faut à nouveau peser le poids de toute choses ». La « volonté de vérité» est une entreprise qui suppose l’abandon des préjugés religieux, et de toutes les idées-reçues perpétuées de génération en génération, sans discernement. Ce sont les erreurs commise involontairement, les mensonges des prêtres, les inventions des théologiens, les fables prises au pied de la lettre alors qu’elles ont été écrites pour en tirer une morale ; tout un sombre passé moyenâgeux révolu, qui poussent à être rigoureux pour établir la vérité. La vérité d’une époque est une erreur à rectifier, une proposition provisoire. Telle vérité d’hier devient erreur aujourd’hui et telle erreur d’hier est à l’origine d’une vérité d’aujourd’hui.
La vérité constitue une exigence ou encore une valeur. D’un point de vue moral la vérité ne doit pas faire peur, des petits on nous apprend à toujours dire la vérité, à ne pas mentir. Donc dire la vérité relève d’un devoir, d’une obligation morale. Par exemple, dans certains pays, on jure de « dire toute la vérité , rien que la vérité ». La vérité est donc un devoir moral général, qui concerne nos relations avec autrui. Si les devoirs sociaux ou professionnels peuvent paraître contingents, le devoir moral semble nécessaire. Aussi, construire quelque chose sur le mensonge n’est pas stable, tout fini par se savoir, et la construction finira par s’écrouler. La vérité est donc une meilleure base pour commencer quelque chose. Il ne faut pas craindre la vérité afin de pouvoir regarder les choses en face et les combattre, on ne peut sue rester dans l’illusion, l’erreur et l’ignorance, si on ne s’efforce pas à connaître la vérité. Marx illustre très bien cette idée en disant que « la religion est l’opium du peuple » ; s’installer dans une vérité confortable n’est-ce pas préjudiciable à la recherche de la vérité ?
Qu’on nous dise la vérité ne nous fait pas forcément plaisir, elle peut nous vexer ; tout le monde a un ego (plus ou moins démesuré), et qu’on nous dise la vérité alors que nous ne la recherchions pas peut nous blesser dans notre fierté. La Fontaine a dit : « L’Homme est de glace aux vérités ; il est de feu pour les mensonges », l’Homme préfère parfois le mensonge (ou l’ignorance) à la vérité. La vérité serait préjudiciable dans la mesure ou elle humilierait le moi, le renvoyant à son doute, à sa solitude, à ses remords, à sa finitude. L’Homme est un être qui pense, qui rêve, qui a un monde imaginaire, plus ou moins développé ; et il est agréable de pouvoir s’évader du monde réel, la vérité et la réalité sont parfois oppressantes. Dans le film « Big Fish » de Tim Burton, un père raconte sa vie de manière enjolivée à son fils, celui-ci a grandi et est lassé de ces mensonges que ne cesse de raconter son père, ce dernier étant mourant, son fils veut savoir la vérité mais son père maintiens sa version car il la trouve plus intéressante que la vrai. Nietzsche a dit : « la vie a besoin d’illusions, c’est-à-dire de non vérités tenues pour des vérités ». Les Hommes ne désirent pas la vérité pour elle-même comme on pourrait le croire, ils ne convoitent que « les suites agréables de la vérité, celles qui conservent la vie », c’est pourquoi celui qui dit la vérité n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur, surtout si cette vérité dévalorise l’Homme. Galilée qui remet en cause le géocentrisme, Darwin qui replace l’Homme dans l’évolution animale, ont été contestés malgré la rigueur scientifique de leur propos ; les vérités qu’ils énonçaient étaient de celles vis-à-vis desquelles, comme l’écrit Nietzsche, non sans ironie, l’Homme est hostilement disposé. D’un point de vue physique, il est bon de se méfier de « la vérité » car elle est plutôt notre vérité. Il y a des illusions d’optique, des représentations faussées. Par exemple nous disons que mon pull est rouge, mais il ne l’est peut-être pas, nous le définissons comme cela parce que c’est comme cela que nous le voyons, que la lumière nous le montre, peut-être n’est-il pas rouge en fait. Au niveau politique, bien souvent les Hommes d’Etats mentent afin d’accéder au pouvoir et le conserver. Le mensonge est une parole prononcée dans le but de dénaturer ou de cacher la vérité. Acte dont l’intention est de tromper en falsifiant la vérité, c’est dans cette perspective que Kant considère le mensonge comme la faute morale par excellence car la sincérité est la condition du respect d’autrui. Certains Hommes politiques sont prêt à tout pour être au pouvoir, quitte à mentir ou à déguiser la vérité pour leur propre fin. La rhétorique mensongère vise à emporter l’adhésion du peuple par la vraisemblance. La vérité est un choix : nous pouvons vouloir l’erreur, l’illusion, le mensonge, parce que nous pouvons aimer d’autres choses plus que la vérité (le pouvoir, le plaisir, …)
Si la vérité est une idée, le fait que nous cherchions ne signifie-t-il pas qu’elle nous habite, qu’elle habite nos jugements d’une certaine manière ? Si on cherche ce qu’on ne connaît pas on en a cependant une certaine connaissance, sans cela on ne la chercherait pas. Que l’on dise « toute vérité n’est pas bonne à dire » ou que l’on dissimule la vérité, la valeur que nous pouvons reconnaître à la vérité se trouve relativisée et , avec elle, l’intérêt que nous lui portons. En effet si toute vérité n’est pas bonne à dire c’est qu’il y a quelque chose de plus important, que nous faisons passer avant elle. La quête de la vérité est sans fin puisque nous faisons chaque jours de nouvelles découvertes qui remettent en question la vérité elle-même, et dans ce cas, comment peut-on craindre quelque chose de non défini, et que, en quelque sorte, nous ne connaîtrons pas vraiment.