« Philosopher, c'est apprendre à mourir »

Dissertation complète d'un élève en terminale voies générales et qui en a obtenu un 14/20.

Dernière mise à jour : 26/08/2021 • Proposé par: sushigirl (élève)

Il est extrêmement difficile de définir exactement ce qu’est la philosophie ou ce que représente l’acte de philosopher, surtout qu’il existe de nombreuses opinions sur ce sujet, souvent très différentes ou même contradictoires. Cependant, une affirmation se retrouve chez plusieurs philosophes ou auteurs appartenant à des civilisations complètement différentes, dont Platon, Cicéron et Montaigne : « Philosopher, c’est apprendre à mourir. » Or cette phrase est loin d’être claire. À première vue, elle est même surprenante et semble aberrante : il est impossible d’apprendre à mourir et ne servirait à rien, car on ne fait cette expérience qu’une fois dans la vie. De plus, comment la philosophie peut-elle représenter une aide concernant la mort ? Il convient donc d’examiner de plus près la signification des termes afin de donner un sens à cette «définition» de la philosophie.

Dans une première partie, nous nous demanderons si la philosophie mène à la mort. Par la suite, nous reposerons la même question, mais en dressant l’hypothèse que la mort est l’état où l’âme se trouve dans une position supérieure à celle qu’elle détient lors de la vie. La dernière partie montrera si la philosophie sert à nous apprendre comment il faut approcher l’idée de la mort.

I. La philosophie ne rapproche pas de la mort

D’abord, on considérera que la définition de «mourir» est «cesser d’exister». En même temps, on supposera que la philosophie est la réflexion sur la nature et les causes qui font que l’univers, l’homme et la société existent. Dans ce cas, l’affirmation «Philosopher, c’est apprendre à mourir» prend le sens suivant : la réflexion sur la vie mène à l’oubli de vivre. On peut comprendre cette opinion, car quelqu’un qui passe tout le temps qui lui est donné sur Terre à philosopher, c’est-à-dire observer et raisonner, ne peut pas profiter de la vie en elle-même. Il faudrait donc selon cette conception vivre dans l’insouciance et dans l’ignorance pour pouvoir mener une existence heureuse. Il faudrait songer uniquement à nos projets du moment et du futur, à nos désirs. Cette attitude illustre parfaitement l’expression «carpe diem» : Il faut profiter le plus possible du moment, du jour et donc de la vie sans se soucier du lendemain dans l’idée que le futur est incertain et que tout est appelé à disparaître. Concrètement, cela veut dire qu’il ne sert à rien de connaître les causes des comportements des hommes, de l’existence de l’univers et les fonctions de la société. Selon l’opinion, on disparaîtra de toute façon ; il est donc inutile de se pencher sur de tels problèmes.

Cependant, cette vision connaît certaines limites. D’une part, elle relève du fatalisme et se montre donc contradictoire : Si on sait qu’on va mourir, à quoi bon de vivre, c’est-à-dire d’avoir des projets ou des rêves, et encore moins, d’essayer de les réaliser ? Cette conception appelle donc à la fois à l’engagement dans la vie et à la résignation et la passivité, ce qui est complètement absurde. Quoiqu’elle semble logique à première vue, cette doctrine peut donc être rejetée, car elle est injustifiable.

II. Mais philosopher permet d’élever son âme

Dans un deuxième temps, nous reprendrons la même définition de la philosophie tout en nuançant de peu ce que nous entendons par le fait de mourir : c’est le moment où l’âme quitte le corps. On a alors un autre sens de «Philosopher, c’est apprendre à mourir» : philosopher, donc raisonner et argumenter en recherche de la vérité, c’est parvenir à se séparer de son corps en tant qu’âme. En effet, le philosophe typique ne prend pas au sérieux les plaisirs du corps, mais s’en éloigne. Il se met donc par définition dans un état proche de la mort. Pour la pensée, le corps n’est qu’un obstacle qui la détourne de son chemin à la recherche de la vérité par de faux besoins ou désirs. Cette conception suppose donc, contrairement à celle étudiée avant, que la mort est un état supérieur à celui de la vie. C’était aussi l’avis de Cicéron, orateur romain : il pensait que l’étude et la contemplation, donc la philosophie, tirent notre âme en dehors du corps pour l’occuper indépendamment : cet état ressemble à la mort et on peut donc considérer que c’est une sorte d’entraînement.

C’était de même la conception de Socrate et la raison pour laquelle il ne craignait pas la mort, même quand il se trouvait face à elle lors de sa condamnation: pour lui, la mort n’était pas une raison de s’inquiéter ; il pensait qu’elle représente soit un arrêt, qui ne peut être désagréable, soit un passage de l’âme, qui est la partie essentielle de l’homme, dans un autre monde.

On peut aussi établir un lien entre cette vision de la philosophie et Platon et sa théorie de la réminiscence. Selon cette doctrine, l’âme oublierait la connaissance des idées acquises dans un autre monde lors de son incarnation dans un corps. Tout ce qui est appris par l’homme au cours de sa vie serait donc uniquement un réapprentissage. En se délivrant du corps, donc au moment de la mort, l’âme retrouverait pleinement son pouvoir de connaissance. Comme la philosophie représente l’accès à l’intelligible, au savoir et/ou à la vérité, on peut affirmer que la philosophie est bien un exercice à la mort. C’est dans ce sens que Platon a employé la phrase «Philosopher, c’est apprendre à mourir» dans le dernier dialogue de Socrate, le Phédon.

Mais comme cette conception de l’affirmation s’appuie sur une théorie philosophique qui ne peut se justifier rationnellement, il faudra considérer une autre signification afin d’essayer de trouver le sens «universel» de la thèse.

III. La philosophie permet surtout d'accepter la mort

Dernièrement, nous adopterons donc de nouveau une autre compréhension de cette affirmation. « Philosopher, c’est apprendre à mourir » peut aussi signifier : la réflexion et le raisonnement nous apprend comment s’apprivoiser à la mort, donc comment il faut approcher l’idée de la mort : Il ne faut pas en avoir peur. En effet, la philosophie mène à penser que la mort ne doit pas nous faire peur, car elle est de toute façon inévitable. Quelqu’un qui a peur de la mort gâche sa vie : Si la mort nous effraye et la mort est incontournable, comment faire un pas en avant sans crainte ? Comment, tout simplement, vivre ?

Quand Montaigne utilise cette affirmation dans ses Essais, c’est cela qu’il veut exprimer : Il faut accepter la mort pour pouvoir vivre. En d’autres mots, en admettant que la mort représente une partie intégrale de la vie, refuser la mort revient à refuser la vie. Pour Montaigne, on ne peut seulement vivre réellement si on ne laisse pas la mort habiter notre pensée. Il faut, bien sûr, la considérer, mais finalement, il faut admettre la réalité de la mort au sein de notre vie.

D’autre part, la peur de la mort, considérée rationnellement, est absurde : comment peut-on redouter quelque chose qui nous est inconnu ? C’est supposer que l’on comprend quelque chose qui est impossible à savoir, car on ne sait pas ce qui nous attend après la mort ou au moment même de la mort. L’inconnu, par définition, ne peut pas faire peur : c’est ce qu’on projette sur l’idée du fait inconnu qui nous effraye, mais on n’a aucun moyen de savoir la vérité sur ce qu’implique le procès de mourir.

Conclusion

En conclusion, l’opinion ou le sens le plus évident peut être réfuté, car il est absurde et contradictoire : « Philosopher, c’est apprendre à mourir » ne veut pas dire que l’excès de raisonnement mène à la négligence de la vie en elle-même donc à la mort. D’autre part, l’autre sens que nous avons attribué à cette phrase, soit l’abandon du corps par l’âme (son occupation indépendante) lors de la philosophie, est plus cohérent. Toutefois, on ne peut parvenir à cette interprétation seulement en connaissant par exemple la théorie de la réminiscence. Ce fait ne la rend pas fausse, mais on peut penser qu’il existe une signification encore « plus » logique ou plus universelle ; qui témoigne donc d’un raisonnement accessible à plus de personnes.

On peut donc arriver à la conclusion que l’affirmation « Philosopher, c’est apprendre à mourir », exprime le fait que la réflexion sur la mort rend celle-ci plus abordable et peut diminuer voire mettre fin à une peur de la mort : cela permet une vie plus agréable. Philosopher nous apprend à mourir, donc comment il faut aborder l’idée de la mort pour pouvoir vivre sans que cette idée nous hante.