Baudelaire, Les Fleurs du mal - Le soleil

Analyse linéaire.

Dernière mise à jour : 26/11/2023 • Proposé par: kenza (élève)

Texte étudié

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis long-temps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

Baudelaire, Les Fleurs du mal - Le soleil

Les poètes aiment souvent célébrer la beauté et leurs œuvres semblent bien l’expression d’une beauté naturelle. Cependant certains poètes rompent avec cette vision traditionnelle comme avec Baudelaire pour qui l’écriture poétique est un moyen d’accéder à un rêve, un idéal à travers une véritable alchimie poétique.

Ce poète à la confluence de différents mouvements, et faisant partie des poètes maudits, publie son recueil Les Fleurs du mal en 1857. Le poème « le soleil » est extrait de ce recueil. Baudelaire y présente les effets nourriciers du soleil sur tout ce qu’il touche. Son pouvoir universel éveille tout ce qui n’est pas mis en lumière et donne vie sans discrimination tout comme le poète.

Problématique : Comment le poète est-il associé au soleil ? Les deux premiers quatrains mettent en scène une quête poétique au sein de la ville. S’en suit une mise en valeur de l’effet positif du soleil. Enfin dans la dernière strophe se dessine l’image d’un poète solaire.

I. Une quête poétique au sein de la ville (première strophe)

La première strophe du poème s’inscrit sous le signe d’une quête poétique au sein de la ville, elle se divise en deux parties : description de la ville dans les quatre premiers vers et l’activité du poète dans les quatre vers qui suivent.

Le soleil au Zénith est le point de départ de cette comparaison du soleil au poète. Baudelaire décrit la ville de manière péjorative, il commence par une misère matérielle « le long du vieux faubourg ou pendent aux masures » (v. 1) qui nous inscrit d’ores et déjà dans un espace délabré. Cette image négative de la ville se déduit aussi de la métaphore « les persiennes, abri des secrètes luxures » (v. 2) désignant une misère morale. La ville est donc présentée comme un espace de débauche, l’homme se complaît dans le mal et dans le vice.

Par ailleurs la personnification « quand le soleil cruel frappe à traits redoublés » (v. 3) montre que cet agent naturel est impitoyable. L‘allitération en « r » est omniprésente dans les quatre premiers vers ; ce son est très rude et très dur ce qui renforce le caractère violent du soleil. De plus, le parallélisme de construction « sur la ville et les champs sur les toits et blés » souligne l’élargissement du cadre d’action d’un soleil universel.

Après avoir mis en place le cadre spatio-temporel, Baudelaire passe à la description de son activité de poète comme en témoigne le recours pour la première fois au pronom « je » au vers 4. La métaphore « fantasque escrime » désigne la plume du poète ; l’adjectif « fantasque » renvoie au bizarre, c’est l’image dégradante d’un poète maladroit dans son activité ; L’écriture poétique n’obéit à aucune logique, elle est superfétatoire. La quête poétique est hasardeuse, compliquée avec beaucoup d’obstacles renforçant l’idée d’un poète maladroit : les participes présents « heurtant » et « trébuchant » confirment cela. Le champ lexical de l’écriture poétique « la rime » v. 6 « les mots » v. 7 « les vers » v. 7 montre que la quête poétique est au cœur de ce poème.

II. L’effet positif du soleil (deuxième strophe)

Dans la deuxième strophe, le poète aborde les effets positifs du soleil.

Ce dernier est personnifié à travers l’expression « ce père nourricier ». Tout se passe comme si le soleil avait adopté le monde. De même la périphrase « ennemi de chloroses » souligne que le soleil combat la pâleur du monde. L’action bienfaitrice du soleil se déduit aussi de la personnification suivie d’une comparaison « éveille dans les champs les vers comme les roses » v. 10, le soleil favorise la création poétique. On assiste à une alchimie positive. Le pouvoir de métamorphose du soleil est mis en avant par les verbes « éveille » v. 10, « il fait s’évaporer » v. 11, « remplit » v12 c’est une alchimie ; la boue est transformée en or.

De même la métaphore « il fait s’évaporer les soucis vers le ciel » suggère que le soleil est un consolateur de la détresse du monde. L’antithèse « les porteurs de béquilles » d’une part et « rajeunit » et « jeunes filles » de l’autre reflète le pouvoir de métamorphose du soleil ; le soleil est une fontaine de jouvence qui permet de faire passer les hommes d’une extrémité à l’autre. De même le verbe « commandé » suggère un pouvoir qui ne peut être remis en question. Enfin l’exclamation finale de la deuxième strophe « dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir » renvoie à l’attachement à la jeunesse.

III. L’image d’un poète solaire (troisième strophe)

Le soleil est comparé au poète à travers l’expression « Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes » v. 17. « Il ennoblit le sort des choses les plus villes » décrit une alchimie positive.

La métaphore « Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets », suivie de « Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais », montre que le poète et le soleil ont une capacité de guérir les gens.

Conclusion

En définitive ce poème peut se lire comme la métaphore d’une quête poétique ; le poète est associé à un soleil et son action est bienfaitrice sur le monde.

D’autres poèmes comme « l’albatros » de Baudelaire développent une autre image du poète totalement opposé à celle-ci. Tout comme cet oiseau le poète plane dans les airs, mais une fois sur terre il devient la risée des communs des mortelles.