Peut-on agir inconsciemment ?

Une copie entièrement restranscrite d'un élève de terminale en voie générale, pour un devoir à la maison. Note obtenue : 15/20.

Dernière mise à jour : 07/03/2023 • Proposé par: Clara_2005 (élève)

Agir c’est savoir ce que l’on fait, c’est viser un objectif, au moyen d’une intention et se maîtriser en corrigeant son action. Il semble alors que la conscience soit la seule instance à pouvoir intervenir ; contrôler chacun de ses agissements et de ses gestes. Agir est par conséquent réaliser une action de manière volontaire. En suivant ce raisonnement, il semble donc que l’inconscient n’ait aucune place dans l’action puisqu’agir suppose un « je » conscient de ce qu’il fait. Toutefois les neuroscientifiques ont réalisé des études qui démontrent que seulement environ 5% de nos capacités cognitives sont conscientes ; telles que nos décisions, nos émotions, nos actions, comportements. Par conséquent, les 95% restants sont générés dans l’inconscient. Il apparaît donc qu’il est possible d’agir inconsciemment, c’est-à-dire de réaliser des actions que l’on n’explique pas, probablement venant d’idées refoulées, que l’on a fait taire, que l’on essaye de minimiser ou encore que l’on cache.

En réalité, tout cela continue de travailler activement, à vivre en nous voire parfois à s’exprimer malgré nous. Ainsi en quoi une action peut-elle être réalisable indépendamment de la volonté de l’homme ? Dans une première partie, nous verrons que l’action ne peut se réaliser indépendamment de la conscience pour ensuite mettre en lumière les failles de cette évidence d’action consciente qui laisse place à des actions qui échappent à l’esprit humain. Enfin nous nous questionnerons sur l’évolution psychologique que peut entraîner cette découverte ainsi que la responsabilité du sujet face à cette action contrôlée par l’inconnu.

I. L’action ne peut se réaliser indépendamment de la conscience

Lorsque je dis « j’ai agi », le « je » est actif et il me désigne en tant que sujet donc serait ce qui guide mon action. L'homme est un sujet pensant et conscient, capable d’agir. C'est pourquoi Descartes, au 18e siècle, affirme la thèse du libre arbitre, c'est-à-dire la faculté qu’aurait l'être humain à se déterminer librement, de penser et d'agir seul. Pour lui la vie psychique se résume tout entière à la conscience et ce qui définit l’être humain c’est avant tout sa pensée. En effet, selon Descartes, on ne peut pas totalement se fier à nos sens, mais la seule chose dont on puisse être absolument certain, c’est que l’on pense. Lorsque je rêve, ce que je vis n’est pas réel, mais le fait que je rêve est une réalité. Ainsi, selon lui, le moi est la conscience ; puisque l’homme se définit par la pensée et que la pensée est un phénomène conscient, alors l’homme se définit par sa conscience. De plus, sans pensée, l’homme n’est pas un sujet qui accomplit l’action et qui se détermine ; c’est à ce moment-là un objet passif, un simple produit où ce serait l’action qui s’exercerait sur lui ; en l’occurrence les pulsions, et l’homme ne deviendrait qu’un animal qui ne réagit automatiquement qu’à des stimulations sensorielles. L’inconscient est cette partie du psychisme qui échappe à la conscience. Autrement dit, il résiste aux efforts que nous déployons pour le connaître. À partir de cette définition, on comprend en quoi l'hypothèse de l'inconscient est contradictoire avec l'idée d’agir. Si j’agis, je peux agir en fonction de mes propres buts. Or, ce que j'appelle « mes buts », ce sont ceux dont j'ai conscience. S'il y a en moi des tendances (pulsions, désirs, volontés) inconscientes, elles m'apparaissent comme étrangères. Ce que j'appelle moi, c'est celui que j'ai conscience d'être. L'inconscient est donc en moi, mais il n'est pas moi. Par conséquent, c’est la conscience qui permet l’action ; par exemple si un homme a conscience qu’il ne faut pas agir de manière primaire en société, alors il agira plutôt de manière civilisée.

Avoir conscience de soi, c'est sentir et savoir que nous sommes les seuls et uniques sujets de nos actions comme de nos représentations. La conscience en tout homme permet donc l’action contrôlée, tel le libre choix. Celui-ci n’est pas une question de désirs ou d’impulsions, mais plutôt de raison, la raison qui discerne mes souhaits de la réalité. “Conscience signifie choix” comme l'avance le philosophe Bergson. Lors des moments de doute où l’on doit faire un choix, notre conscience est là l’outil le plus précieux que nous ayons et elle s’active au maximum. C’est dans le choix que la conscience est la plus présente, car elle nous permet en un laps de temps très court de tenter de prévoir les conséquences que pourraient avoir nos actes, et ainsi la façon dont nous allons façonner notre vie. En effet, elle nous permet de réaliser à quel point un choix peut influencer la suite de notre existence. Comme exemple simple, on peut penser aux échecs où on doit prévoir les prochains coups de notre adversaire tout en sachant que nos coups peuvent nous faire gagner ou perdre la partie. Et cela peut s’appliquer dans l’ensemble des choix que nous avons à faire dans une vie. C’est par rapport au nombre et à l’importance des choix que nous rencontrons dans notre vie que notre conscience s’exerce ou non. Les choix auxquels nous sommes soumis entraînent également l’idée des différentes possibilités qui s’offrent à nous. Et chacune de ses possibilités devant être prises en compte augmente l’action de notre conscience. C’est la liberté plus ou moins vaste de chacun face à un choix qui doit solliciter tout l’outil de sa conscience. Ainsi, avoir conscience, c'est avoir la liberté d'agir de telle ou telle manière et de devenir ce que l'on veut. Chez le philosophe Jean-Paul Sartre, dans son ouvrage L’Être et le Néant, l’homme est décrit comme une conscience qui découvre qu’il est condamné à être libre. Il n’est pas possible de faire autrement pour lui : il faut faire des choix. Et même celui qui se laisse porter par le cours des choses fait consciemment un choix, celui de ne pas choisir.

Transition : L’homme est donc persuadé qu’en lui, la conscience est souveraine et qu’elle gouverne chaque pensée, choix, actes, ces derniers étant le fruit de l’intentionnel. Pourtant chaque jour au quotidien on peut s’apercevoir de faits anormaux, de gestes ou de paroles qui nous échappent sans que l’on s’en rende compte. Freud disait : « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison », ce qui démontre que la conscience n’est pas l’instance gouvernante de notre esprit. Elle n’est pas l’alpha et l’oméga de notre vie psychique, il y a une autre instance qui peut gouverner nos actes : l’inconscient.

II. Des actions échappent cependant à l’esprit humain

Cet inconscient, c’est ce qui correspond à tout ce qui se passe en nous et que nous ne contrôlons pas, qui échappe à notre conscience. C’est le « lieu » où siègent les pulsions, les souvenirs ou encore les désirs qui ont été refoulés au cours de l’existence et qui souhaitent s’exprimer par tous les moyens. Or, d’après Freud, il arrive que toutes ces choses qui ont été refoulés remontent « à la surface » afin de se manifester. L’individu se laisse alors surprendre par ses pulsions, du fait qu’il se soit appliqué à les réprimer, ne pouvant expliquer comment cela a pu se produire, car sa conscience ne l’a pas cautionné. Il se sent étranger à lui-même, « étranger dans sa propre demeure ». Il y a plusieurs exemples où l’inconscient est visible dans les actions, notamment le syndrome de Gilles de la Tourette qui se caractérise par des TIC moteurs ou oraux qui surviennent sans prévenir. L’individu peut alors sursauter violemment sans raison ou crier avec violence. Dans des cas plus généraux, on retrouve les lapsus ou les phobies où l’individu est soudain pris d’une peur panique qui n’a pas raison d’être. Par conséquent, du fait que les individus ne peuvent réprimer ces pulsions, on réalise que l’idée selon laquelle l’homme se contrôle totalement, et contrôle ces agissements par le biais de la conscience, n’est en faite qu’un idéal. Ainsi, l’inconscient est la zone de l’appareil psychique de nos désirs et de nos pensées refoulées, mais il peut également être la zone psychique incompatible avec les exigences de la vie sociale, les impératifs tout comme les interdits. En effet, là où la vie dans la civilisation, c’est-à-dire la coexistence sociale des individus, réclame de réprimer les pulsions, désirs et de sacrifier ce que l’on aimerait faire pour pouvoir coexister, l’inconscient, lui, peut parfois décider de prendre une tout autre direction.

On ne peut pas agir comme si on était seul, il faut poser des limites à notre comportement. C’est d’ailleurs l’idée du contrat social de Rousseau : il existe des lois, des règles qui régulent notre liberté et nous ne devons donc plus faire ce que nous voulons, mais plutôt faire ce que nous avons le droit de faire. Chez Freud, cette action est présentée comme un refoulement, une répression de nos pulsions, de nos instincts qui nous rendent violent et agressif puisque c’est cette interdiction d’exprimer sa partie animale qui va provoquer un conflit intérieur psychique chez l’homme, une névrose. Ce terme désigne un conflit intérieur composé de désirs ou de sentiments qui affectent le comportement social. On peut retrouver cette idée dans l’ouvrage de Freud intitulé Malaise dans la civilisation, où il aborde la pulsion de destruction qui peut surgir en nous, car l’inconscient est en contradiction avec celui que l’on doit être en société. Ce sont deux exigences incompatibles : le désir et le devoir. Ainsi, l’inconscient peut même devenir un argument dans la justice : on peut déresponsabiliser un acte criminel en disant que ce n’est pas vraiment de la faute de son auteur puisque pendant un très court instant, son inconscient a voulu se défaire de la « marche à suivre », et a fait sortir toutes les pulsions réprimées depuis toujours. Dans le film M Le Maudit, par exemple, de Fritz Lang, un tueur allemand de petites filles est jugé coupable. L’avocat de ce tueur expose concrètement tout l’enjeu du sujet en disant que M Le Maudit n’est pas coupable puisqu’une personne coupable est consciente de ce qu’elle a fait, alors que lui n’a aucune maîtrise de ces actes. C’est son inconscient qui a agi malgré son respect pour les relations sociales. Par conséquent, agir inconsciemment est agir sans liberté, car le propre de l’inconscience est son impossibilité d’être contrôlée par la conscience. Si l’on agit sans liberté, nous ne sommes pas responsables, car on sait que la responsabilité a pour double condition la conscience et la liberté.

Transition : Ainsi, nous avons vu que l’inconscient exerçait une certaine influence sur chacun de nos choix ou chacun de nos actes. Cette influence se présentant de différentes formes et n’étant pas toujours approuvée par l’individu, la manifestation de l’inconscient est parfois source de problème. Mais ces manifestations entrainent une certaine évolution psychologique. Pour Freud, c’est lorsque l’on comprend et que l’on admet que notre vie psychique est gouvernée par notre inconscient que l’on peut commencer à s’en libérer, à s’en affranchir. Spinoza avançait également que prendre conscience du fait que nous sommes déterminés, c’est déjà s’affranchir du déterminisme.

III. Agir en conscience de l'inconscient

Selon Carl Jung, « Tant que vous n’aurez pas rendu l’inconscient conscient, il dirigera votre vie et vous appellerez cela le destin ». On apprend dès notre plus jeune âge à adopter automatiquement des comportements sociaux (croyances, attitudes) observées dans nos familles et milieu ambiant. Une fois programmé dans l’inconscient, tout ce qu’un individu a acquis dans son parcours est interprété comme des vérités qui modèlent nos actions. Mais est-il possible de trouver une manière de nous reprogrammer ? Est-il possible de modifier notre inconscient dans les moments où celui-ci nous bloque ou ne reflète pas réellement qui nous sommes ? Un individu peut prendre conscience qu’il est névrosé et retrouver les raisons de certains blocages ou de certains sentiments refoulés, de manière à les éliminer. C’est le rôle de la psychanalyse, dont le but est de faire prendre conscience des actes inconscients en les interprétant. Par définition, une personne névrosée est une personne qui a conscience de son problème, mais qui ne sait pas quelles en sont les origines. Le fait d’avoir recourt à la psychanalyse lui permet de comprendre et d’évoluer. Au 19e siècle, Sigmund Freud décide de soigner ses patients atteints d'hystérie à l'aide de la psychanalyse, une étude de l'inconscient apparue à la fin du même siècle. Anna O, sa patiente la plus connue, était hydrophobe, c'est-à-dire qu'elle craignait l'eau. Sous l'hypnose de Freud, la jeune femme se rappelle alors la scène qui a conduit à l'apparition des symptômes de l'hydrophobie : lorsqu'elle était enfant, elle a vu sa gouvernante en train de donner à boire au chien dans son verre d'eau. Une fois la séance d'hypnose terminée, Anna O n'était plus hydrophobe. Cette expérience démontre que les émotions se situent dans l'inconscient, mais qu’elles peuvent devenir contrôlables consciemment.

En observant les agissements inconscients qui peuvent survenir chez l’homme, on se rend compte que ceux-ci possèdent des limites et que l’homme peut aussi reprendre le contrôle et donc influencer son inconscient. Par conséquent, il est légitime de se questionner sur la responsabilité de l’homme dans ses actions inconscientes. Spinoza écrit dans L’éthique : « Je suis responsable de mon inconscience dans la mesure où la tâche de la conscience est de mettre à jour mes déterminations inconscientes ». On peut se poser en effet la question de la liberté face à nos actes si on admet que nous sommes en partie contrôlées par notre inconscient. On exclut l’idée de liberté si l’homme est contrôlé par quelque chose dont il ne s’aperçoit pas consciemment, qui le dépasse. Si nous ne sommes pas libres devant nos actes, nous ne pouvons pas être responsables de ces actes, puisque nous ne les contrôlons pas. Face à certains évènements, comme les désirs ou les pulsions refoulées, nos réactions sont contrôlées par notre inconscient. Si on refoule ses pulsions, cela peut être une cause de névrose. La responsabilité du sujet est donc discutable puisqu’il n’est pas libre face à cette pulsion. La théorie de Freud implique que l’individu ne soit pas responsable puisqu’il est gouverné par son inconscient et n’a pas agi de manière réfléchie. Par la thèse freudienne, le « moi », c’est-à-dire la conscience de soi, n’est plus « maître en sa demeure » : on peut vouloir faire quelque chose et faire autre chose dans la mesure où des désirs inconscients influent sur l’action. Selon Freud, comme nous ne sommes pas responsables de nos désirs inconscients, on peut donc dire que dans une certaine mesure, l’inconscient nous décharge de la responsabilité. Mais chaque individu est un sujet moral unique qui doit prendre sa responsabilité, même pour les actes et désirs inconscients. En effet, il est évident que l’on ne peut pas juste évoquer une pulsion meurtrière, par exemple, pour échapper à un crime. La psychanalyse révèle qu’un homme peut être sous l’influence de désirs inconscients au moment du meurtre, mais il semble absurde que cet homme puisse être totalement déchargé de sa responsabilité. Un homme peut se sentir sincèrement en décalage avec ce qu’il a fait, mais il ne peut jamais nier que c’était lui, donc jamais perdre toute sa responsabilité. Nous ne sommes peut-être pas toujours pleinement responsables de toutes nos actions, mais nous avons toujours une part de responsabilité.

Conclusion

L'homme ne peut avoir entièrement le contrôle sur ces agissements. Bien qu'il soit un sujet qui s'appartient et qui possède donc une conscience qui lui permet d'avoir une pleine connaissance de ses actions, il existe tout de même des actes qui peuvent échapper à son contrôle. L'inconscient étant la puissance intérieure contraignant un sujet et s'imposant à sa volonté, l’idée que l’homme ait les pleins pouvoirs sur ces actes semble devenir un idéal.

Évoquer l’inconscient conduit à se questionner sur la liberté et la responsabilité de l’homme face à ses actes. Pour cela, l’objectif de la psychanalyse est de faire progresser le contenu de l’inconscient vers la conscience. L’enjeu est donc d’abord thérapeutique, mais, de façon plus générale, chaque homme est invité à mieux connaître son inconscient pour être davantage maître de lui-même.

Depuis la psychanalyse qui essaye de faire de l’homme le seul maître de ses actes, les décisions juridiques du droit pénal vont-elles être modifiées, maintenant que l’argument de l’inconscient, dont on n’a pas accès, est déconstruit ? Les plaidoiries d’avocats ne pourront peut-être plus se baser sur cette idée puisque la responsabilité de l’homme face à ces agissements sera clairement démontrée. Les décisions pénales seront-elles donc plus justes ?