Que signifie l'expression "retour à la nature" ?

Ce corrigé a été réalisé lors d'un devoir sur table de 4h dans le but de s'entraîner pour le vrai bac de philosophie. La note obtenue de 17/20. La copie est ici entièrement retranscrite.

Dernière mise à jour : 06/02/2022 • Proposé par: inesgbadamassi (élève)

Dans le film Into the wild réalisé par Sean Penn, le protagoniste décide de quitter la société moderne pour retrouver un contact direct avec la nature . Il découvre au fil des jours qu'un tel éloignement de la civilisation est tout sauf aisé. Si le désir de revenir à la nature est de plus en plus présent aujourd'hui, savons-nous au juste ce qu'il signifie ? Quel(s) sens peut revêtir l'expression "retour à la nature" ? De prime abord cette expression semble signifier une volonté de revenir à un état originel, non perverti à la culture. Mais cela peut sembler insensé, l'homme étant un être essentiellement culturel.

Comment concevoir un retour à la nature qui ne soit pas une régression ? Comment peut-on concilier l'exigence morale d'un retour à la nature et la dimension proprement culturelle de l'homme ? L'expression "retour à la nature" semble d'abord signifier la recherche d'un état non culturel. Néanmoins, plutôt qu'une volonté rétrograde de retour en arrière, cette expression peut désigner la volonté de renouer avec l'essence morale de l'homme. Enfin, ne faudrait-il pas voir dans cette expression l'exigence éthique d'un soin particulier porté à la nature ?

I. Le "retour à la nature" : la recherche d'un état originel

a) La volonté de nous éloigner des méfaits de la culture

La culture, comprise comme le processus par lequel l'homme s'arrache à l'animalité, implique l'instauration de conventions sociales. Ces dernières peuvent sembler nuisibles, car elles créent chez l'homme des désirs non naturels, comme le désir de richesse ou d'honneur, qui nuisent à son bonheur. C'est pourquoi les cyniques comme Diogène de Sinope, considéraient les animaux comme des modèles à suivre. Dénonçant de manière provocatrice les dérives de la culture, Diogène raconte-t-on, vivait dehors et mangeait dans une écuelle.

b) La volonté de revenir à un ordre originaire

L'expression "retour à la nature" peut aussi signifier la volonté de revenir à un ordre premier. C'est ce que montre Calliclès dans Gorgias de Platon. Il oppose ce qui est "juste selon la nature" et ce qui est "juste selon la loi". Ce qui est juste selon la nature c'est selon lui que le plus fort règne sur le plus faible. La loi instaurée par les hommes apparaît dès lors comme une dénaturation de cet ordre premier, qu'il s'agit de restaurer. Cette conception peut sembler absurde, car l'homme évolue et se perfectionne grâce à la culture. Un tel retour en arrière serait donc une régression.

II. Le "retour à la nature" comme tentative de renouer l'essence avec l'homme

a) Le "retour à la nature" comme redécouverte de notre essence

"Retourner à la nature" pourrait plutôt signifier retrouver ce qu'il y a d'inné, de naturel, en nous, c'est-à-dire renouer avec notre essence, pour que l'homme soit plus en accord avec lui-même. C'est ainsi que Rousseau, dans le Discours sur l'inégalité, imagine un état hypothétique de l'homme avant la vie en société : l'état de la nature. Celui-ci est une hypothèse théorique permettant de penser l'essence de l'homme.

b) Le "retour à la nature" comme projet culturel

Rousseau explique que ce processus ayant conduit l'homme à vivre en société est irréversible. L'état de la nature, conçu comme un état dans lequel la nature fournit à l'homme tout ce dont il a besoin pour survivre, est "un état qui n'existe plus, qui n'a peut-être point existé, qui probablement n'existera jamais.". Les hommes sont contraints de travailler ensemble pour survivre. Il n'en reste pas moins que l'homme peut, grâce à la mise en place d'un État légitime, renouer avec sa nature profonde. L'homme doit donc, grâce à cette construction culturelle qu'est l'État , veiller à conserver ce qu'il y a de naturel en lui, comme les deux vertus que sont l'amour de soi et la pitié, qui sont perverties par la culture. L'homme étant un être culturel, il semblerait absurde de chercher à se couper de toute culture.

Dans cette perspective, l'expression "retour à la nature" ne peut-elle s'entendre en troisième sens, comme l'exigence morale de chercher à prendre soin de l'environnement qui nous entoure ?

III. Le "retour à la nature", un souci éthique de préservation

a) Le "retour à la nature" comme soin porté à la nature

On peut entendre le terme "retour", utilisé par exemple dans l'expression "faire un retour sur soi", comme le fait de porter son attention sur un objet , de s'en préoccuper, s'en soucier. Ainsi le "retour à la nature" peut signifier, dans un ultime sens, l'exigence éthique d'un soin porté à la nature. C'est ce qu'explique Henry David Thoreau dans son ouvrage Walden ou la vie dans les bois. Retiré dans la forêt, près de l'étang de Walden, l'auteur dénonce l'exploitation de la nature par l'homme. Face au développement de la société industrielle, il explique que l'homme a ses devoirs vis-à-vis de l'environnement naturel dont il fait partie. Une vie simple, loin de la surconsommation et de la quête de l'enrichissement, est selon lui un moyen de préserver la nature.

b) Le "retour à la nature" comme nouvel impératif moral

Le "retour à la nature" doit alors s'entendre comme une exigence morale : celle de préserver l'environnement. Hans Jonas, dans Le Principe responsabilité, souligne le paradoxe de la technique : alors qu'elle visait initialement à améliorer la vie humaine, elle donne à l'homme la capacité de s'autodétruire, faisant de lui un "Prométhée définitivement déchaîné". L'homme doit donc obéir à un nouvel impératif moral, que Jonas présente en ces termes : "Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre.". "Retourner à la nature" c'est donc nous soucier de notre environnement, afin qu'il ne soit pas menacé par le développement technique.

Conclusion

Il est impossible de comprendre simplement l'expression "retour à la nature" comme la recherche d'un état originel. Il convient plutôt d'y voir le projet culturel de renouer avec notre essence et l'exigence éthique de préserver l'environnement dont nous faisons partie.