Peut-on communiquer nos sentiments et passions ?

Sujet type bac, traité en spécialité d'humanités, littérature et philosophie (HLP).

Dernière mise à jour : 29/11/2021 • Proposé par: Lana (élève)

En tant qu’être sensible, nous ressentons à la fois des sensations, mais aussi des sentiments et des passions. La passion, au sens étymologique, provenant du terme latin « patior » qui signifie subir, souffrir, désigne le fait d’être affecté, de ressentir. Elle désigne des phénomènes internes aussi bien positifs, telle que la joie, que des émotions négatives, telle que la colère. La passion est aussi perçue comme une sorte de sentiment. En effet traditionnellement en philosophie on appelle sentiment à la fois ce qui est ressenti à travers le corps, l’étymologie du terme renvoyant à « sentir », mais aussi ce qui est ressenti par l’âme et enfin aussi ce qui relève du sens de la morale et de la justice. Les passions et les sentiments appartiennent donc à la vie de l’âme et plus généralement à la vie intérieure de l’individu.

Comment pouvons-nous donc les extérioriser et les communiquer afin non seulement de les faire comprendre à autrui mais encore de les faire réellement ressentir de façon adéquate ? On appelle en effet communiquer l’acte par lequel on exprime et l’on fait partager ce que l’on ressent et ce que l’on pense. De cette façon, notre vie intérieure, et plus spécifiquement celle qui touche non pas aux pensées mais à ce que nous ressentons, passions et sentiments, est-elle exprimable adéquatement, réellement partageable ou bien relève-t-elle finalement du domaine de l’ineffable et serait irréductible à notre vie intérieure ? Dans un premier temps, il semble bien que l’on puisse communiquer ce que nous ressentons grâce au langage même si cette communication reste assez insatisfaisante. Mais la communication des passions et sentiments se fait aussi par le corps et la gestuelle, et par le phénomène de la sympathie comme le souligne Hume.

I. On peut communiquer nos sentiments et passions grâce au langage

Les sentiments et passions relèvent bien de notre vie intérieure. Tout l’enjeu pour nous est alors de nous exprimer, de faire part de ce que nous ressentons à autrui. L’échange, non seulement des pensées mais des sentiments et émotions est le fondement du lien social et des liens affectifs. Ainsi que le suggère en effet Rousseau dans son Essai sur l’origine des langues, ce ne sont pas les besoins mais bien plutôt les passions qui seraient à l’origine des langues. Pour lui en effet, l’invention du langage provient de ce besoin typiquement humain d’extérioriser ses sentiments et d’être compris. Le langage, qui tire son origine de ce besoin de communication serait donc l’outil par excellence de la communication des sentiments et passions. Grâce au langage nous pouvons communiquer ces phénomènes qui relèvent de notre vie intérieure, c'est-à-dire que nous en avons la capacité. Cependant si le mot est notre outil de communication privilégié, il reste assez insatisfaisant.

En effet, le mot reste une catégorie, comme le souligne Bergson dans son essai sur Le Rire, c'est un outil qui est départ surtout fait pour l’action plutôt. Il ne désigne qu’un aspect d’un objet, réduit le sentiment à un ensemble général. Quand on dit « Je suis triste » on utilise le mot très général « triste » qui renvoie en fait à une multitude de situations et d’expériences sensibles différentes. L’avantage de la généralité du mot c'est justement que c'est ce qui lui permet d’être compris par tous. En disant cela je renvoie mon interlocuteur à sa propre expérience de la tristesse pour « remplir » le concept que j’évoque. Grâce au langage je peux donc communiquer mes passions et sentiments. Mais comment être sûr d’avoir réellement exprimé ce que je ressens, dans sa particularité ? Le mot n’est-il pas trop général ? Ce que je ressens semble déborder du mot. Est-ce donc voué à être ineffable ? Un bon moyen de palier aux insuffisances du langage verbal est le détour par l’art. En effet dans l’art il ne s’agit plus dire, mais d’exprimer ce que nous ressentons, plus précisément il s’agit de faire ressentir au spectateur, la spécificité de mon état d’âme. C'est ainsi qu’au lieu de dire « je suis maussade aujourd’hui », Baudelaire écrit « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle », c'est ainsi aussi que Turner peint « Vapeur, pluie et vitesse » pour rendre compte de ce qu’il voit et ressent face à la locomotive qui avance et qui dépasse les simples mots.

Les mots et l’art permettent donc non seulement l’expression de la sensibilité mais sa communication avec autrui, ce sont mêmes les moyens privilégiés par excellence de la communication de la vie intérieure. Mais la communication de notre sensibilité est-elle réellement toujours l’effet d’un acte recherché et voulu ? Ne peut-on pas communiquer autrement et parfois même de façon tout à fait efficace sans mot, sans langage ?

II. Mais le langage seul ne suffit pas à communiquer nos sentiments et passions

La communication de nos sentiments et passions, si elle passe de façon privilégiée et contrôlée par le langage, ne s’effectue pas exclusivement par le langage. En effet, je peux parfaitement saisir la colère et même l’intensité de la colère de mon interlocuteur sans qu’il parle ou sans comprendre les mots qu’il emploie. Pourquoi ? Parce que la gestuelle, le ton, et les manifestations somatiques (du corps) me l’indiquent. La communication des sentiments et passions se fait donc aussi parfois bien malgré nous par le corps. Ainsi, la colère fait rougir, rend le ton plus sec, la voix plus forte, les gestes hachés. Tous ces indices somatiques me permettent de saisir l’émotion qui traverse la personne qui me fait face et me renvoie aussi à ma propre expérience de cette passion. L’expérience individuelle permet en effet de saisir et d’interpréter les phénomènes somatiques visibles comme autant d’indices de la vie intérieure de mon interlocuteur. Je peux donc tout à fait communiquer malgré moi parfois, mes sentiments, mes émotions, mes passions. C'est ainsi que parfois l’on peut dire que « mon corps m’a trahi » et a dévoilé un sentiment que je voulais garder pour moi, par exemple, je n’ai pu retenir une grimace de dégoût face à une personne, je n’ai pu m’empêcher de rougir face à une autre. De cette façon, la communication de mes sentiments et passions dépasse bien l’expression de ces éléments de ma vie intérieure. Mais il y a plus : non seulement je peux communiquer comme malgré moi mes sentiments et passions par les expressions somatiques qu’ils engendrent au sens de les faire sentir, comprendre à autrui, mais je peux encore les faire ressenti à autrui, dans une forme encore radicale de communication. C'est justement là l’enjeu de la sympathie.

Mais si l'on peut communiquer nos sentiments c'est aussi par ce que Hume appelait la "sympathie": "Nulle qualité n'est plus remarquable dans la nature humaine, à la fois en elle-même et dans ses conséquences, que notre propension à sympathiser avec les autres et à recevoir par communication leurs inclinations et leurs sentiments, fussent-ils différents des nôtres, voire contraires aux nôtres" (Traité de la nature humaine). Ainsi dans ce texte prend place cette question de la communication des passions et sentiments. Il présente ainsi une analyse de la communication comprise comme influence et circulation des passions dans un groupe humain, et ce par le phénomène de la sympathie. Par sympathie on entend par ailleurs étymologiquement le fait de « souffrir » avec et plus généralement de ressentir ce qu’autrui ressent. Le phénomène de la sympathie rend ainsi les passions et sentiments communicables de proche en proche sans nécessité aucune d’expression notamment verbale. Les sentiments passe d’un être humain à l’autre et c'est ainsi que l’on peut observer la manière dont un groupe peut éprouver une même affection ensemble. C’est ce que l’on évoque lorsque l’on dit par exemple que « l'on communique son stress » à ses proches. Cette communication ne passe pas nécessairement par un discours, un dialogue mais émane de notre être, est perçu par autrui, qui en vient non seulement à comprendre notre état mais plus encore à le ressentir lui-même.

Conclusion

Pour conclure, il semble ainsi que nos passions et sentiments, s’ils ne sont pas toujours exprimables adéquatement par le langage ou même par l’art, restent largement communicables, par les signaux somatiques qui les donnent à comprendre à autrui, et même par le phénomène de la sympathie qui non seulement les rend compréhensibles à autrui mais les donne encore à ressentir.