Les connaissances scientifiques peuvent-elles servir à lutter contre le fanatisme ?

Corrigé synthétique.

Dernière mise à jour : 24/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Questions préalables

- Bien cerner ce que l'on nommera fanatisme : il ne s'agit pas seulement de sa version religieuse.
- Le fanatisme se soucie-t-il de vérité ?
- Quels sont les fondements psychologiques du fanatisme ?

Introduction

Du point de vue de la raison, il est traditionnel de condamner le fanatisme, qui paraît toujours excessif, tant dans ses croyances que dans ses actes. Les connaissances scientifiques sont le produit historique de la raison, et semblent du même coup étrangères au fanatisme. Mais cette hétérogénéité suffit-elle pour que ces mêmes connaissances scientifiques puissent servir à lutter contre le fanatisme ? Pour lutter contre un ennemi, au moins faut-il avoir un point de rencontre possible avec lui... Connaissances scientifiques et fanatisme présentent-ils un tel point de contact, ou leur dissemblance est-elle marquée au point de signifier entre eux l'absence de toute relation possible, en sorte qu'il est illusoire de prétendre détruire l'un en prenant appui sur les autres ?

I. Le fanatisme, ou l'absence de doute

L'individu fanatique agit, que ce soit en politique ou dans le domaine religieux, en fonction de convictions initiales qu'il ne saurait remettre en cause sans renoncer à ce qui constitue l'armature même de son existence, et donne sens à sa vie. Qu'il s'agisse du terroriste, du kamikaze ou du "fou de Dieu" prêt à exterminer tous ceux qui ne partagent pas sa foi, son comportement est déterminé par l'adhésion à ce qu'il admet comme des valeurs méritant d'être imposées par la force ou la violence au reste du monde. En d'autres termes, c'est, d'un point de vue kantien, parce qu'il admet que ces valeurs constituent des fins en elles-mêmes absolument bonnes qu'il aboutit à une justification de principe de tous les moyens (assassinat, attentat, terrorisme, etc.) par lesquels il espère parvenir à les imposer- soit à ce que Kant nommait déjà un "fanatisme des fins".

Pour le fanatique, le doute ne peut donc exister : à toute mise en question de ce qu'il prétend illustrer, il ne répond que par la violence immédiate, puisque toute restriction à ses valeurs lui semble insupportable, toute interrogation une atteinte à ce qui justifie sa vie. Son adhésion à un camp est telle qu'elle devient synonyme de son être : en dehors de sa foi et de sa défense, il se ressent comme privé de réalité ou de sens. Il refuse en conséquence toute discussion, toute confrontation de thèses, tout dialogue - dans lesquels il dénonce la volonté de vouloir le mettre en défaut, une grave perte de temps et une faiblesse : le fanatique ne discute pas, il agit ou fait agir. Ce qui, à ses yeux, prouve la vérité, n'est pas de l'ordre de l'argumentation, mais bien plutôt participe mystiquement de l'exemple du martyr : il peut indifféremment mourir ou faire mourir pour sa cause, qui vaut davantage, a priori, que toute existence.

Autant dire que le fanatisme peut être interprété comme l'aboutissement ultime de certaines passions : monoidéiste, il ne veut rien savoir de ce qui est étranger à ce qui l'agite, et interprète l'univers entier relativement à ses choix définitifs.

II. La raison scientifique ou la culture du doute

Face à une telle attitude, que peut la connaissance scientifique ? Sans doute elle énonce les lois du réel, et montre qu'une connaissance adaptée à ce dernier peut exister, et être efficace. Mais il est à craindre que le fanatisme n'y trouve, là encore, que des moyens à mettre au service de son engagement, au lieu d'un rapport particulier à une vérité qui ne s'élabore que sur un fond de doute permanent et dans une certaine lenteur.

La connaissance scientifique résulte en effet d'une histoire, longue en elle-même (même si elle est courte relativement à celle de l'humanité dans son ensemble), et qui est davantage une accumulation d'erreurs lentement corrigées que de vérités immédiatement conquises. De plus, même dans sa version la plus actuelle, elle se connaît comme n'étant que temporaire, puisque, par définition, la science poursuit ses recherches et s'apprête en conséquence en permanence à modifier ses acquis. S'il est donc une leçon que l'esprit "normal" peut retirer de la science, c'est bien celle de la patience, de la rigueur dans la recherche, et du caractère non définitif de toute vérité. Mais cet esprit "normal" n'est précisément pas fanatisé...

III. Le fanatisme peut instrumentaliser la science

La science moderne apparaît d'autre part, d'un point de vue en quelque sorte sociologique, comme une activité que Michel Serres qualifie de "libre", en ce sens qu'elle n'est pas finalisée. Mais le même auteur précise que l'adjectif signifie aussi qu'elle est "à prendre", et susceptible d'être finalisée par un pouvoir- que celui-ci soit de nature économique ou politique. Si la science reçoit ainsi ses objectifs de l'extérieur, rien n'interdit de concevoir qu'elle puisse précisément être mise, par le fanatisme, au service de ses ambitions : perversement, le plus attentif aux progrès de la chimie appliquée pourrait bien être le terroriste soucieux de fabriquer des explosifs de plus en plus puissants.

Et l'on imagine aisément qu'un pouvoir fanatisé réduise la recherche scientifique à sa guise et impose aux chercheurs les orientations qui l'intéressent en priorité. Les régimes totalitaires, qu'il s'agisse du nazisme ou du stalinisme, que l'on peut qualifier de globalement fanatiques dès lors qu'ils fondent toutes leurs actions sur une "vérité" imposée à leurs populations (la suprématie de l'aryanité germanique dans un cas, l'expansion du "communisme" dans l'autre), ont historiquement été parfaitement capables d'utiliser à leur profit les connaissances scientifiques de l'époque, mais aussi d'encourager le développement de la connaissance scientifique dès lors qu'elle allait dans le sens voulu.

On est donc amené à constater que la connaissance scientifique, non seulement risque d’être incapable, en raison même des démarches qu'elle suppose et illustre, de lutter contre le fanatisme, mais au contraire, et c'est sans doute plus grave, qu'elle peut être mise au service du fanatisme lorsque l'occasion s'en présente pour ce dernier.

Conclusion

C'est parce que la violence, toujours impliquée par le fanatisme, s'oppose à toute forme de rationalité, tant dans les discours que dans les comportements, que la connaissance scientifique est impuissante à contrarier le fanatisme. Au XVIIIe siècle, l'idéologie des Lumières pouvait encore espérer que la diffusion du savoir signifierait une extension de la rationalité. Force est de reconnaître que cet espoir a été historiquement déçu, et qu'il le sera aussi longtemps que certains admettront comme hors de tout soupçon le but qu'ils trouvent à l'existence.

Lectures

- Pascal, Opuscules philosophiques
- Freud, L'Avenir d'une illusion