Y a-t-il un droit du plus fort ?

Dissertation en trois partie :
I. La loi du plus fort à l'état de nature,
II. La loi du plus fort est-elle vraiment une loi ?,
III. Vers une définition de la loi en contradiction avec l'idée de force.

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: ddp (élève)

Il est courant d'entendre que certains milieux, comme par exemple celui des affaires, s'apparentent à des « jungles », c'est-à-dire des zones de non-droit : pour que ça marche, il faut être le plus fort. Dans ce cas semble régner la loi du plus fort, qui n'est pas une loi au sens juridique du terme mais qui s'y apparente dans le sens où elle peut soumettre des individus à un autre, si arbitraire soit ce pouvoir de coercition. Parallèlement, cette loi du plus fort nous apparaît injuste et se caractérise justement par une déficience dans l'application de la loi. C'est comme si la loi du plus fort était une non-loi, qu'elle ramenait l'homme à son état le plus animal. C'est pourquoi il semble pertinent de se poser la question de savoir s'il y a une loi du plus fort. Car si la loi se définit par ce qui régit les relations entre les hommes et qui les contraint, alors la loi du plus fort est bien une loi. Mais si son rôle essentiel est d'instituer la justice et une autorité non-arbitraire contre la force, alors le concept de loi du plus fort est fondamentalement contradictoire.

I. La loi du plus fort à l'état de nature

Au dix-septième siècle, nombreux sont les philosophes qui se posent la question de la constitution de l'Etat. Pour y répondre, ils s'appuient sur une anthropologie, à savoir une conception de l'homme à l'état de nature, de l'homme avant toute organisation sociale et politique dans ses relations avec ses semblables. Il s'agit à partir de cette anthropologie de mettre à jour les processus à l'œuvre dans l'institution d'un ordre social.
La position de T. Hobbes sur cette question est la suivante : à l'état de nature règne la loi du plus fort. Les hommes ne pensent qu'à leur survie et à la conservation de leurs biens. Pour posséder plus ou garantir leur sécurité, ils sont prêts à voler ou tuer leurs congénères. Cette méfiance fondamentale des hommes les uns envers les autres est une caractéristique naturelle, originelle. A l'état de nature, le plus fort a toujours le dernier mot. Vu qu'aucune barrière institutionnelle ne le retient, il peut tuer ceux qui sont plus faibles en terme de force physique ou stratégique que lui pour s'approprier leurs biens, (cf : Le Léviathan, livre 1, Chapitre 13).

Dans cette perspective, on peut dire qu'il y a une loi du plus fort qui est celle qui régit les relations des hommes entre eux à l'état de nature. Cette loi du plus fort est plus généralement la loi de la nature. Prenons ici l'exemple des arbres d'une forêt : seuls ceux qui se développent le plus vite pourront accéder à la lumière nécessaire à leur survie.

II. La loi du plus fort est-elle vraiment une loi ?

Le problème à résoudre est le suivant : "le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir". Existe-t-il réellement un droit du plus fort, et la force est-elle un principe suffisant pour fonder le droit ? S'il est vrai que dans la nature règne la force, il n'est pas vrai que le plus fort reste longtemps le maître : les forces y sont perpétuellement en conflit, et l'issue est incertaine. De plus, la puissance physique engendre une contrainte physique et non point morale. Il n'est jamais interdit de désobéir à la force sitôt qu'on le peut. Le droit du plus fort n'engendre pas le devoir d'obéissance. "Sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause; toute force qui surmonte la première succède à son droit." (Rousseau, Le contrat Social, Livre I) Il suffit d'échapper à la force pour en avoir le droit, puisque, selon ce principe, le plus fort a toujours raison. Un droit qui disparaît sitôt que s'éclipse la force n'est pas un droit, c'est un fait. Il s'ensuit qu'aucune justice, aucune loi, aucune légitimité ne peuvent être fondées sur la force.

De plus, en réponse directe à l'affirmation que la loi fondamentale de la nature est la loi du plus fort, il semble pertinent de convoquer Darwin et sa théorie de la sélection naturelle. Il ne dit pas que ce sont les plus forts absolument parlant qui bénéficient d'un avantage sélectif sur les autres mais les plus aptes, les plus adaptés à leur milieu. Que ce soit pour les hommes ou pour toutes les autres espèces vivantes, il n'y a pas de « plus fort », donc pas non plus de loi du plus fort à l'œuvre, mais bien une loi du « mieux adapté » relativement à un environnement particulier.

De plus, même chez Hobbes et tous les théoriciens de l'Etat moderne, ce que l'on appelle la « loi du plus fort » est en réalité une absence de loi. L'état de nature est ce que seraient les relations des hommes entre eux si justement il n'y avait pas de lois. Il s'agit d'un état anarchique au sens propre du terme. La loi du plus fort n'est donc pas une loi au sens où elle n'institue rien, n'a aucun rôle régulateur et n'est en rien l'expression d'une volonté commune. La loi du plus fort est donc un concept doublement contradictoire. D'une part, si elle s'apparente à une loi de la nature, la notion de « plus fort » est scientifiquement erronée. D'autre part, si elle est la loi à l'œuvre à l'état de nature, alors on ne peut l'appeler une loi dans le sens où elle ne contraint pas tous les hommes de l'extérieur.

III. Vers une définition de la loi en contradiction avec l'idée de force

La question qui se pose désormais est de savoir comment on peut définir le concept de loi à partir de ces considérations sur la loi du plus fort. Car si la loi par définition ne peut pas être par définition « du plus fort », reste à savoir ce pourquoi. Il s'agit donc de définir le concept de loi par son antagonisme fondamental avec celui de force. La force, plus qu'un état objectif et absolu, est un ressenti en première personne qui n'est possible qu'en comparaison avec les autres. Si je me sens fort, ce n'est que par rapport à la force des autres qui me semble moins importante. C'est aussi ce qui régit les relations les plus primaires et hors-la-loi entre les hommes (le combat physique par exemple). La force, qu'elle soit physique ou mentale, intervient pour régler des conflits de manière non institutionnelle. La force offre à celui qui la possède un pouvoir de coercition officieux et sans aucune limite sur les autres.

Au contraire, la loi est ce qui institutionnalise le conflit. Elle régule les relations entre les hommes et permet ainsi d'instituer la justice. Elle fait et doit faire autorité sur tout le monde pour justement empêcher les rapports de-force et de domination entre les hommes. La loi est la seule réponse pertinente et rationnelle à l'arbitraire de la force. Elle est une autorité suprême et indépendante des puissances individuelles. Elle s'applique à tous, quelles que soient ses forces (physiques, financières...). Ce n'est que quand la loi juridique est bafouée, mal appliquée ou inexistante que la force intervient pour régler les relations entre les hommes, empêchant ainsi la justice. La loi est ce qui institue l'ordre et la justice dans le chaos et l'instabilité provoqués par le règne du plus fort. Si la force ne fait qu'offrir à certains des possibilités de domination à laquelle les autres ne peuvent que se soumettre, la loi elle donne à tous des droits et des devoirs.

Conclusion

La loi du plus fort, de prime abord, est celle qui régit les relations entre les hommes à l'état de nature. C'est une loi naturelle. Mais scientifiquement et conceptuellement, cette affirmation pose problème : dans la nature, il n'y a qu'une loi du plus apte et la loi du plus fort est anarchie.

Donc la loi peut se définir comme ce qui vient mettre fin aux rapports de force entre les hommes et instituer la justice. La loi entretient donc une relation étroite avec la moralité : elle seule peut faire obstacle à l'arbitraire. Le droit apparaît ici comme ce qui garantit des relations morales et justes entre les hommes.