Baudelaire, Les Fleurs du mal - La vie antérieure

Commentaire en deux parties :
I. Un univers paradisiaque parfait,
II. La nostalgie de l'auteur

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: bac-facile (élève)

Texte étudié

J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d'une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.

Baudelaire, Les Fleurs du mal - La vie antérieure

Introduction

Baudelaire, grand poète du XIXème siècle s'inspira fortement des Romantiques et des Parnassiens. C'est lui qui mit en place les premiers fondements du symbolisme. C'est un poète charnière, précurseur de nouvelles idées en se référant à la philosophie du grec Platon. Baudelaire, par sa grande virtuosité et par ses idées nouvelles est qualifié de véritable Dieu par Rimbaud. La plupart de ses plus célèbres poèmes, révélateurs de ses idées fondamentales sont regroupés dans une oeuvre intitulée : Les Fleurs du Mal, livre d'où est tiré le poème présenté, ayant pour titre : " La Vie Antérieure " et qui nous exprime la vision baudelairienne fortement imprégnée de la vision platonicienne, prônant l'existence d'une vraie vie.

Le poème nous présente un univers paradisiaque, exotique, dépaysant que ce soit par la description des paysages et par les synesthésies, l’expression des sensations.

On pourra poser comme problématique Comment ce poème est-il révélateur d'une dualité dans l'esprit Baudelairien, entre Spleen et Idéal ?

Pour cela, on étudiera le texte en un commentaire méthodique en 2 axes :

- Un univers paradisiaque parfait,
- La nostalgie de l'auteur.

I. Un univers paradisiaque parfait

1. Description des lieux

La description des paysages prône la splendeur, l'exotisme, l'espace. Effectivement, on ressent une idée d'espace tout au long de ce poème : (" vastes portiques ", " grands piliers ", " majestueux "). C'est un monde qui se découpe en trois parties : la terre, la mer, les cieux. C'est donc un monde caractérisé par une grande diversité (" soleil " , " grottes basaltiques " , " houles ", " cieux ", " vagues ".). C'est un univers de couleur (" mille feux ", " couleurs ", " azur ".), d'odeurs (" imprégnés d'odeurs "), de sons (" riche musique "), ceci évoque par une série d'énumérations accentuant ainsi la richesse et la diversité de cette vie. Le calme, de plus, y est dominant. En effet, on découvre un univers bercé par les couleurs, les flots, les sons où des esclaves nous rafraîchissent le front avec des palmes, ceci renforçant une idée d'exotisme. C'est un peu comme le paradis vu par la mythologie grecque à l'époque de Platon, qui s'inscrit dans ce texte. Cette lenteur est retrouvée dans la structure syntaxique du sonnet qui ne comporte que des alexandrins. De même, d'un côté plus musical, de nombreuses allitérations en " l " soulignent et concrétisent le calme, la sérénité. D'ailleurs, la ponctuation est peu utilisée afin de ralentir le rythme du poème et mettre ainsi en valeur le calme des paysages. Plusieurs procédés sont employés afin de souligner cette atmosphère de détente notamment avec les termes: "voluptés calmes". L'aspect paradisiaque du paysage nous apparaît par le par le biais de la description mais aussi par la richesse sensorielle du sonnet et parles nombreuses synesthésies.

2. Evocation des sensations

L'exotisme de ce monde est de même mis en valeur par une grande richesse sensorielle. Les paysages décrits sont de véritables plaisirs visuels par leurs couleurs, leur rayonnement (" mille feux ", " couleurs du couchant "). Le lecteur semble voir ce tableau, cette peinture aux mille couleurs. De plus, il semble entendre le bruissement des vagues, la riche musique des houles dans ce poème très musical. Ceci est accentué par la richesse des allitérations (allitérations en f, l, s). L'olfactif fait aussi partie intégrante de cette vie (" imprégnés d'odeurs "). Les allitérations en " v " rappellent le vrombissement des vagues et leur écoulement continu.

Ce poème parvient ainsi à plonger le lecteur au cour d'un monde où tous ses sens sont en éveil. De plus, toutes ces sensations semblent se retrouver en interaction. On assiste à un dérèglement total des éléments sensoriels (" soleil marin ", " Mêlaient. du couchant " qui mélange musique et couleur.) D'ailleurs, le terme " attelaient " explicite cette idée de mélange et de dérèglement. Toutes ces fusions sensorielles sont des synesthésies. " Les parfums, les couleurs, et les sons se répondent ".

Baudelaire est lui même en osmose avec l’environnement : il est protégé par de " tout-puissants " accords, qui le bercent et le maternent en même temps. En ce paradis, il est chez lui.

Ce procédé renforce ce dépaysement que nous procure ce monde d'où semble ressortir au fur et à mesure une nostalgie, une amertume profonde et troublante.

II. La nostalgie de l'auteur

Une forte nostalgie est perçue au fil des vers, nostalgie dont souffre l'auteur, du fait qu'il évoque une vie antérieure, au passé, une vie que nous avons tous connue, et qui explique notre désir de perfection et du fait qu'il prend conscience qu'il est, maintenant, dans une vie qui n'est qu'illusion.

1. L'évocation d'une vie antérieure

Baudelaire nous évoque une vie antérieure, à l'aide de 2 temps au passé, qui sont l'imparfait et le passé composé. Le passé composé laisse supposer que cette vie antérieure est inaccessible.

Le poète nous explique qu'il lui semble avoir " longtemps habité " , cette vie caractérisée par l'idéal, ceci par l'intermédiaire de la description des couleurs, des synesthésies. Le poète nous évoque une vie de perfection. Cette impression d'avoir appartenu à une vie antérieure, une vraie vie, de la part de Baudelaire, peut s'expliquer que chacun de nous à un désir de perfection, d'idéal que nous ne parvenons pas à assouvir dans notre vie, ce qui signifie que nous avons connu la perfection et que nous désirons la retrouver. On ressent ainsi toute la nostalgie du poète que ce soit à travers les temps du passé, les termes comme " j'ai souvent habité ", " c'est là que j'ai vécu ", . et le vers final : " Le secret douloureux qui me faisait languir ". Il exprime sa vision de l'idéal par l'intermédiaire de ses désirs, ses fantasmes, se concrétisant sous formes de poésie avec des procédés rhétoriques, de synesthésies. Cette vie qu'il a connue baignait dans une homogénéité sensorielle, mystique, un calme solennel. Il la regrette, et emplit son texte de tristesse. Il y a symbolisation d'une nostalgie grandissante. Le terme " couchant " aussi a une valeur de tristesse : comme une vie se meurt, le soleil se couche, le couchant sybmolise donc un départ, lent, triste, solennel et nostalgique.

De plus, les termes (" majestueux, cieux, tout-puissants ") soulignent cet idéal, cette vraie vie supérieure mais inaccessible, ce qui renforce la nostalgie du poète qui demeure comme l'ensemble de l'humanité dans une vie trompeuse.

2. Emprisonné dans une vie trompeuse

Baudelaire éprouve une amertume intense en évoquant cette vie antérieure que nous avons tous connue mais que nous ne pouvons atteindre sinon par le biais de la mort. Baudelaire exprime ses idées sous l'aile de la philosophie platonicienne. Nous sommes dans uns grotte et ne pouvons accéder à la partie extérieure, la vraie vie. Notre vie nous trompe en raison de nos sens, de ce que nous percevons qui n'est que l'image de l'idéal.

C'est pourquoi Baudelaire, dans son Spleen, évoque l'existence d'une vraie vie, et il nous l'évoque particulièrement par un procédé qui le caractérise : la synesthésie, un procédé qui lui permet d'exprimer l'idéal.

Baudelaire est donc un poète qui souffre, victime d'une nostalgie et d'une tristesse qu'il exprime à son paroxysme dans le dernier vers avec les termes : " douloureux " et " languir ".

Conclusion

Baudelaire s'inspire de la philosophie Platonicienne pour établir ses fondements poétiques que nous ressentons incontestablement dans ce poème. Ses idées, ses réflexions sur l'existence d'une vraie vie le conduiront dans une souffrance, une nostalgie intense, comme elles conduiront Rimbaud dans cette même souffrance.

On peut penser que Baudelaire est indubitablement le chef de file de l'école symboliste. Il écrit ses poèmes tel un artiste qui peint ses toiles, avec beaucoup de dextérité, de volonté et d'honnêteté. Les outils synesthésiques permettent une sensation quasi-totale de ce poème.

Baudelaire a su réinventer la vision platonicienne de l'univers, avec un " mythe de la caverne " exploité au mieux. C'est pour avoir rendu actuel cette vision platonicienne que d'autres grands symbolistes, dont Verlaine, mais surtout Rimbaud, utiliseront cette vision platonicienne de l'Idéal en fin de XIXème siècle.

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