Racine, Bérénice - Acte IV, scène 4

Analyse très complète et entièrement rédigée, en deux parties.

Dernière mise à jour : 12/06/2022 • Proposé par: Lezouk725 (élève)

Texte étudié

TITUS, seul.

Eh bien, Titus, que viens-tu faire ?
Bérénice t'attend. Où viens-tu, téméraire ?
Tes adieux sont-ils prêts ? T'es-tu bien consulté ?
Ton cœur te promet-il assez de cruauté ?
Car enfin au combat qui pour toi se prépare
C'est peu d'être constant, il faut être barbare.
Soutiendrai-je ces yeux dont la douce langueur
Sait si bien découvrir les chemins de mon cœur ?
Quand je verrai ces yeux armés de tous leurs charmes,
Attachés sur les miens, m'accabler de leurs larmes,
Me souviendrai-je alors de mon triste devoir ?
Pourrai-je dire enfin : « Je ne veux plus vous voir ? »
Je viens percer un cœur que j'adore, qui m'aime ;
Et pourquoi le percer ? Qui l'ordonne ? Moi-même.
Car enfin Rome a-t-elle expliqué ses souhaits ?
L'entendons-nous crier autour de ce palais ?
Vois-je l'État penchant au bord du précipice ?
Ne le puis-je sauver que par ce sacrifice ?
Tout se tait, et moi seul, trop prompt à me troubler,
J'avance des malheurs que je puis reculer.
Et qui sait si, sensible aux vertus de la reine
Rome ne voudra point l'avouer pour Romaine ?
Rome peut par son choix justifier le mien.
Non, non, encore un coup, ne précipitons rien.
Que Rome avec ses lois mette dans la balance
Tant de pleurs, tant d'amour, tant de persévérance :
Rome sera pour nous... Titus, ouvre les yeux !
Quel air respires-tu ? N'es-tu pas dans ces lieux
Où la haine des rois, avec le lait sucée,
Par crainte ou par amour ne peut être effacée ?
Rome jugea ta reine en condamnant ses rois.
N'as-tu pas en naissant entendu cette voix ?
Et n'as-tu pas encore oui la renommée
T'annoncer ton devoir jusque dans ton armée ?
Et lorsque Bérénice arriva sur tes pas,
Ce que Rome en jugeait ne l'entendis-tu pas ?
Faut-il donc tant de fois te le faire redire ?
Ah lâche ! fais l'amour, et renonce à l'empire ;
Au bout de l'univers va, cours te confiner,
Et fais place à des cœurs plus dignes de régner.
Sont-ce là ces projets de grandeur et de gloire
Qui devaient dans les cœurs consacrer ma mémoire ?
Depuis huit jours je règne, et jusques à ce jour
Qu'ai-je fait pour l'honneur ? J'ai tout fait pour l'amour.
D'un temps si précieux quel compte puis-je rendre ?
Où sont ces heureux jours que je faisais attendre ?
Quels pleurs ai-je séchés ? Dans quels yeux satisfaits
Ai-je déjà goûté le fruit de mes bienfaits ?
L'univers a-t-il vu changer ses destinées ?
Sais-je combien le ciel m'a compté de journées ?
Et de ce peu de jours si longtemps attendus,
Ah malheureux ! combien j'en ai déjà perdus !
Ne tardons plus : faisons ce que l'honneur exige ;
Rompons le seul lien…

Racine, Bérénice - Acte IV, scène 4

Racine (1639-1699) est tragédien, auteur de Phèdre, Andromaque ou Iphigénie. Il est par ailleurs rival de Corneille. Bérénice est une tragédie qui repose sur une esthétique sobre, sur la simplicité extrême de l'intrigue. La pièce est construite autour d'une interrogation : comment Titus parviendra-t-il à expliquer à Bérénice qu'il a décidé de la renvoyer en Orient ? Titus aime Bérénice, la reine de Palestine. Or, devenu empereur de Rome depuis quelques jours en succédant à son père, il voit son amour s'opposer à son devoir d'état puisque le Sénat et Rome lui interdisent tout mariage avec une reine étrangère. Il a donc décidé, depuis le début de la pièce, de lui annoncer cette rupture.

Pourtant, malgré ses affirmations péremptoires et résolues, Titus s'est avéré incapable de dire la vérité en face à celle qu'il aime. Il s'est finalement décidé à l'acte III à voir Bérénice pour lui annoncer sa résolution : mais avant cette entrevue qu'il sait décisive, Titus repousse encore le moment de la confrontation et demande à rester seul pour réfléchir une dernière fois sur la conduite à tenir.

Problématique

En quoi ce long monologue est-il un monologue délibératif ?

I. Le monologue d'un homme tourmenté confronté à un dilemme

a) Le profond désarroi de Titus

La scène est un monologue. On peut le voir grâce à la didascalie « seul » (v.1) accolée au nom du personnage « Titus ». Donc seul personnage présent sur scène, sur lequel va se concentrer l'attention des spectateurs. Cette scène met en scène un héros face à lui-même, qui recherche la solitude (annonçait à la fin de la scène précédente qu'il désirait être seul). L'émotion se manifeste par la présence de points d'exclamation (v.38, 52), d'interjections « hé bien » v.1 renforcé par l'adverbe, « ah » v.38, 52.

Le désarroi de Titus s'explique par la nécessité de rompre avec Bérénice :« adieux» v.3. Le renvoi de la reine est ainsi présenté comme un « combat » (v.5, placé à la césure) à livrer avec celle qu'il aime. Titus se met lui-même en scène comme un bourreau face à sa victime. Il utilise ainsi des termes particulièrement forts appartenant au champ lexical de la violence guerrière : « cruauté » v.4 (qui fait référence par son étymologie au sang qui coule). « barbare » v.6, « percer » v.13, 14 qui renvoie aux blessures infligées. La séparation est mise en relief par la formulation de la phrase de rupture au discours direct : « Je ne veux plus vous voir » v.12 (utilisation d'un verbe de volonté accompagné de la négation).

Le paradoxe de cette situation est souligné par le v.13 et l'opposition entre la souffrance infligée (« percer » dans le premier hémistiche) et l'amour réciproque éprouvé « que j'adore, qui m'aime », dans le deuxième hémistiche avec deux verbes exprimant cette passion. Cela entraîne l'expression de la souffrance, que ce soit celle de Titus ou de Bérénice : « larmes » v.10 placé à la rime, « malheurs » v.20, « pleurs » v.26. Ce monologue met donc en scène un homme qui vit une situation pathétique à cause de la rupture qu'il doit imposer à celle qu'il aime. Bérénice étant une tragédie, cela renvoie au principe de ce genre qui doit faire éprouver de la pitié au spectateur (associée à la terreur). Cette situation difficile est l'occasion d'une véritable prise de conscience.

b) Une douloureuse prise de conscience

Le vertige devant sa propre liberté: Titus fait l'expérience de sa toute-puissance puisque c'est de lui seul que va dépendre cette décision. Cela est visible avec la présence de la première personne du singulier (v.7, 8, 9,10...). Le v.14 insiste sur cet aspect en mettant en relief la réponse à la question posée dans le deuxième hémistiche : « moi-même » placé à la rime, pronom renforcé par « même», réponse lapidaire, sans verbe.

Cela permet d'insister sur le fait que c'est lui-même qui s'est placé dans cette situation : « moi seul » v.19 (le pronom ouvre la phrase, ce qui le met en valeur, et est renforcé par l'adjectif qui le suit). Sujet des verbes v.20 : « J'avance des malheurs que je puis reculer » (il a la possibilité de faire changer les choses, comme l'indique l'antithèse « avance » / « reculer »). De l'utilisation de cette liberté va dépendre le sort de tout un peuple, représenté par le pluriel « yeux» v.47, et même du monde entier « L'Univers a-t-il vu changer ses destinées ? » v.49. L'observation des temps confirme que les choix faits par Titus ne seront pas sans incidence sur son entourage et dans son rôle de chef d'État. C'est le cas pour le futur qui indique un acte à venir si Titus en décide ainsi : « soutiendrai-je » v.7, « je verrai » v.9, « me souviendrai-je » v.11, « pourrai-je » v.12. Utilisation de la condition « si » v.21 pour envisager les différents aspects de la situation. Présence aussi du passé composé qui dresse le bilan des actions impériales (répercussion sur le présent) : « ai-je fait », « j'ai tout fait » v.44, « ai-je séchés » v.47, « ai-je déjà goûté » v.48...

Il faut qu'il se décide : « Bérénice t'attend » v.2 (phrase courte qui occupe le premier hémistiche du vers, constat qui s'impose avec le temps du présent). C'est cette situation qui le conduit à agir. Les champs lexicaux de l'urgence, de l'imminence dramatisent les propos de Titus. Cela est visible à la fin de son monologue, avec l'évocation du temps qui passe et qui lui impose de réagir : « huit jours » v.43 et « journées» v.50, « temps si précieux » v.45 avec l'intensif et la diérèse sur l'adjectif insistant sur la nécessité de ne pas perdre le temps donné, « compte » v.45 et « compté » v.50 qui renvoient à un nombre de jours précis qui lui est accordé, « peu de jours » v.51, « combien » v.50, 51).

L'impératif indique la nécessité de la conduite à tenir : « précipitons » v.24, « ouvre » v.27, « fais » v.38, 40, « renonce » v.38, « va », « cours » v.39, « tardons », « faisons » v.53, « rompons » v.54. Cette situation dans laquelle il se trouve, et qui le pousse à se décider, permet alors de dessiner certains contours du caractère du souverain.

c) Le portrait d'un souverain

L'homme est marqué par l'incertitude. Le texte révèle en effet une très grande fréquence de points d'interrogation (29 au total) qui se répartissent dans toute la tirade de Titus. Ces questions n'attendent pas de réponses pour la plupart (questions rhétoriques : v.15-18, v.32-34) ou obtiennent une réponse immédiate faite par Titus lui-même : « Qui l'ordonne ? Moi-même » v.14, « Qu'ai-je fait pour l'honneur? J'ai tout fait pour l'amour » v.44. Ces questions sont la marque de la délibération; Titus cherche à savoir ce qu'il doit faire.

Le souverain, censé faire preuve de force d'âme, montre ici qu'il ne sait plus s'il sera capable d'agir, de rompre avec Bérénice. Le futur de certitude est remis en cause avec la formulation de questions « soutiendrai-je »v.7 « me souviendrai-je » v.11, « pourrai-je » v.12. Nous sommes face à un homme qui se découvre obscur à lui-même, qui ignore s'il aura la force d'agir, d'autant plus qu'il a déjà éprouvé sa faiblesse en ne réussissant pas à avouer la vérité à celle qu'il aime (acte II). L'accumulation d'obstacles semblent l'empêcher de prononcer la phrase fatidique de rupture. C'est ce qu'indique la présence de l'adverbe « enfin » v.12, qui montre que même si toutes les étapes précédentes ont été franchies, il en reste une redoutable qu'il n'est pas sûr de réussir. L'incertitude du sort qui lui est réservé : « et qui sait si » v.21 (conjonction de coordination « et » qui ouvre le vers et qui indique que cette solution peut intervenir, qu'il peut y avoir un retournement de situation).

En se parlant à lui-même, Titus n'hésite pas à utiliser des termes qui révèlent son caractère et le regard qu'il porte sur lui-même : « téméraire » v.2 (placé à la rime) qui fait référence au fait qu'il est irréfléchi et montre aussi qu'il est parfaitement conscient du risque qu'il prend en renvoyant Bérénice. « lâche » v.38, accompagné d'une interjection et d'un point d'exclamation, indiquant la vigueur avec laquelle il s'accuse. Le manque de courage est un préjudice chez un héros, notamment chez un héros classique qui doit savoir dominer ses passions pour se comporter selon l'honneur. « malheureux » v.52, accompagné d'une interjection et d'un point d'exclamation, qui renvoie au fait que Titus ne s'est pas comporté selon son rang, qu'il n'a pas encore été ce qu'il devrait être. Son rêve de gloire n'est pas encore réalisé.

Ce souverain, marqué par l'incertitude, va essayer de trouver la meilleure solution au problème auquel il est confronté en se lançant dans une délibération rigoureuse pour étudier chaque aspect de la question.

II. Un monologue délibératif extrêmement rigoureux

a) Un homme déchiré

Une alternative (c'est-à-dire un choix entre deux possibilités) s'ouvre à Titus. Il lui est difficile d’accepter la rupture : « T'es-tu bien consulté ? » v.3. Il est soucieux d'examiner une dernière fois le bien-fondé de sa décision, comme l'indique l'adverbe « bien ». Il évoque alors à nouveau le dilemme.

L'alternative repose sur l'opposition de 2 champs lexicaux, avec premièrement le champ lexical de l'amour : « cœur » v.4, 8 (à la rime), 13 (à la césure), « amour » v.26 (placé à la césure), 38, 44, « adore » avec un sens fort v.13, « aime » v.13 (à la rime). On peut noter la récurrence du lexique amoureux dans le v.13 (3 termes rassemblés). On a également la rhétorique amoureuse traditionnelle (images employées dans la langue du XVIIe siècle), avec l'évocation des yeux qui sont les intermédiaires de la passion (« ces yeux » v.7, 9: évocation du regard de Bérénice, insistance avec le démonstratif qui les rend plus proches). Le pouvoir de la femme aimée est également évoqué : « charmes » v.9 (terme fort dans la langue du XVIIe : fait référence par son étymologie à la formule magique, donc au fait que l'amant est envoûté par celle qu'il aime). À l'univers de la passion s'oppose le monde du devoir, des responsabilités de l'État qui s'imposent à Titus. C'est le deuxième champ lexical qui se déploie tout au long du monologue : « devoir » v.11, 34, « Palais » (lieu où s'exerce ce devoir) v.16, « État » v.17, « Lois » v.25 (majuscule conférant une présence), « Empire » v.38, « je règne » v.43. Exigences de l'« honneur » v.44, 53 qui découlent de l'accomplissement du devoir (thème important dans la tragédie du XVIIe). Faire ce que l'honneur impose conduit ainsi à bénéficier d'une image positive, héroïque : « Renommée » v.33, « grandeur » v.41, « gloire » v.41, « mémoire » v.42. Ce devoir est cependant vu avec ses désavantages par Titus: « triste devoir » v 11.

Titus est donc un être partagé. Il sait dès le début que l'homme privé, amoureux de Bérénice, et l'homme public, empereur conscient de ses devoirs et soucieux de sa gloire, ne peuvent pas coïncider. Pourtant, savoir cela ne l'empêche pas d'avoir à lutter entre ces deux impulsions contradictoires, cédant tantôt à l'amour, tantôt à la gloire. Face à ce dilemme, Titus est partagé, ce que souligne le dédoublement du locuteur : utilisation de la deuxième personne du singulier « tu » v.1, 2, « tes » v.3, « te » v.4), présence de l'apostrophe « lâche » v.38, « malheureux » v.52 mention de son prénom dès le début du monologue « Titus» v.1, 27. Il y a une alternance des pronoms utilisés par Titus à plusieurs moments dans le monologue : v.1-6 (deuxième personne), v.7-27 (première personne), v.27-40 (deuxième personne), v.41-54 (première personne). Cela révèle l'importance de ses deux facettes, des deux attraits qu'il éprouve. Ce déchirement devient plus manifeste dans le v.27. Au milieu même du vers, lors de la césure, on passe d'une évocation possible de l'union entre Titus et Bérénice (premier hémistiche) au rappel de l'impossibilité de ce mariage (second hémistiche). La césure séparant le vers symbolise ainsi le fait que Titus est un être partagé. Cela se traduit également par le sentiment déchirant de devoir se mutiler soi-même : « sacrifice » v.18 « ce que l'honneur exige » v.53. effets de versification et rythme traduisant agitation intérieure de Titus devant ce dilemme : v.24

Le monologue de Titus met donc en évidence un empereur déchiré, partagé entre l'attrait de sa passion pour Bérénice et les devoirs de sa charge. L'un des termes de l'alternative devant l'emporter sur l'autre, il s'agit pour Titus de peser avec rigueur le pour et le contre.

b) Un monologue qui pèse le pour et le contre

On assiste à m'examen de deux argumentations contradictoires, c'est-à-dire de deux exigences inconciliables.

On assiste tout d'abord à une victoire de l'amour dans son âme au début de son monologue. Titus tente de se persuader qu'il peut échapper au sacrifice de son amour, qu'il peut bafouer la loi romaine et imposer Bérénice à Rome. Il veut croire à son bonheur et se laisse aller à une rêverie obéissant au principe de plaisir et empreinte parfois de lyrisme amoureux (v.26). Il recourt pour cela à deux arguments : premièrement v.4-14, sa conduite est cruelle et inhumaine. Le v.6 la met en avant en montrant qu'il ne peut pas y avoir de juste mesure dans cette cruauté et qu'elle ne peut pas être atténuée : « peu», « il faut » marquant l'exigence). Il y a d'ailleurs une opposition entre sa propre conduite et celle de Bérénice marquée par la douceur : « douce langueur » v.7. Deuxièmement V.15-20, Rome ne s'est pas manifestée clairement et l'État n'est pas en danger avec la présence du champ lexical de l'ouïe « entendons», « crier » v.16 et du danger « penchant », « précipice » v.17, « sauver » v.18. v.21-23. Il se peut donc que Rome accepte Bérénice et qu'elle se rallie à l'amour de Titus pour elle. Il faut d'ailleurs voir l'attrait que le peuple peut avoir pour Bérénice : « sensible », « vertus » v.21. Cela aboutit à une première résolution : « Non, non, encore un coup, ne précipitons rien » v.24. Titus décide de ne pas rompre tout de suite et fait donc le choix de l'attente. Il émet d'ailleurs une prophétie : « Rome sera pour nous » v.27. Mais cette résolution sera de courte durée : elle sera en vigueur pendant un hémistiche seulement !

Mais si les arguments de l'amour semblent l'emporter dans un premier temps, ils sont cependant contrés par les arguments du devoir (correspondant à la thèse adverse) qui vont être développés dans la dernière partie du monologue. Titus évoque quatre arguments en faveur du sacrifice. Premièrement v.28-3, le peuple romain, qui déteste les rois, n'attendrait qu'un prétexte pour se révolter. Difficile de s'opposer à cet état de fait; la réaction des Romains est cultivée depuis leur enfance « la haine des rois avec le lait sucée » v.29. Cette argumentation se met en place avec l'image de la fin de l'aveuglement v.27 : « ouvre les yeux ». Deuxièmement v.32-37, la gloire de Titus est sérieusement compromise par son amour pour une reine étrangère, comme le prouve le champ lexical de l'ouïe v.32, 33, 36. Troisièmement, v.38-40, l'homme qui se livre à l'amour au lieu d'écouter son devoir est indigne de hautes fonctions, car la passion le détourne de sa grandeur et de sa gloire. Les termes évoquent l'abdication : « renonce» v.38, « va, cours te confiner » v.39, « fais place », « plus dignes de régner » v.40. Enfin, v.41-52, Titus se reproche de ne pas avoir exercé noblement ses fonctions et de ne pas avoir encore été l'empereur bienfaisant qu'il veut être : « heureux» v.46, évoquant un règne bénéfique, « satisfaits » v.47, montrant qu'il est apprécié par son peuple, « fruit de mes bienfaits» v.48, où il s'accuse d'avoir mis de côté ses idéaux politiques à cause de son amour pour une femme alors que ses sujets attendent tout de lui. Cela aboutit à la résolution finale exprimée dans les deux derniers vers. La délibération mise en place dans le monologue aboutit donc à une décision qui voit la victoire de l'argumentation en faveur du renoncement : la résolution semble donc prise.

c) La résolution

La résolution n'est pas tout à fait inattendue. Certains indices pouvaient laisser penser que le devoir sortirait vainqueur de cette confrontation. On constate en effet que le nom de Rome est présent de manière révélatrice dans le monologue. On rencontre ce terme à sept reprises, et ce dès la présentation des arguments en faveur de l'amour (v.15, 22, 23, 25, 27, 31, 36). Ainsi, ce nom est plus fréquent que celui de Bérénice qui est évoqué deux fois (v.2, 35). On remarque qu'un terme utilisé dans le domaine de la rhétorique amoureuse « yeux » v.7, 9 est repris dans le thème du devoir v.47 pour évoquer ce que le peuple attend de son empereur : on passe ainsi d'une thématique passionnelle à une thématique politique, montrant que cette dernière va l'emporter dans l'âme de Titus.

L'expression de la résolution v.53 en deux courtes phrases est l'indice d'une résolution, d'une expression claire et déterminée de ce qu'il doit faire. L'utilisation de l'impératif de première personne du pluriel v.53 et 54, peut être vue comme un moyen de s'encourager pour affermir sa décision. La présence du verbe « exige » au sémantisme fort, v.53, placé à la rime, indique que Titus ne peut que se plier aux conditions voulues par le devoir. Sa décision d'annoncer à Bérénice cette rupture est donné par le « rompons » v.54. L'image du « lien » symbolisant une union qui n'est plus de mise.

Cependant, la présence de points de suspension sur lesquels se clôt le monologue indique l'arrivée de Bérénice. L'expression de la résolution de Titus est donc incomplète dans ce passage et va trouver son application immédiate dans la scène qui suit.

Conclusion

Ce monologue extrait de la scène 4 de l'acte IV de Bérénice de Racine présente donc un triple intérêt. D'un point de vue dramatique, il fait attendre avec impatience la confrontation annoncée entre Titus et Bérénice, le spectateur se demandant si le héros saura mettre en œuvre la décision prise au terme de sa délibération (ce qu'il fera dès le début de la scène suivante). D'un point de vue psychologique, ce monologue apporte au public un éclairage supplémentaire sur la personnalité complexe et contradictoire de l'empereur.

D'un point de vue dramaturgique enfin, ce monologue, en déployant une délibération qui examine tous les aspects du dilemme tragique, est propre à susciter l'émotion du spectateur qui ne peut s'empêcher de livrer une réflexion sur les aléas de la condition et les renoncements inévitables imposés à l'individu et ne peut manquer de faire penser à d'autres monologues délibératifs célèbres, comme celui de Figaro dans Le Mariage de Figaro écrit par Beaumarchais au XVIIIe siècle.