Flaubert, Madame Bovary: Portrait de Catherine Leroux

Devoir à la maison de première générale.

Dernière mise à jour : 28/03/2022 • Proposé par: linethmd (élève)

Texte étudié

Alors on vit s’avancer sur l’estrade une petite vieille femme de maintien craintif, et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements. Elle avait aux pieds de grosses galoches de bois, et, le long des hanches, un grand tablier bleu. Son visage maigre, entouré d’un béguin sans bordure, était plus plissé de rides qu’une pomme de reinette flétrie, et des manches de sa camisole rouge dépassaient deux longues mains, à articulations noueuses. La poussière des granges, la potasse des lessives et le suint des laines les avaient si bien encroûtées, éraillées, durcies, qu’elles semblaient sales quoiqu’elles fussent rincées d’eau claire ; et, à force d’avoir servi, elles restaient entrouvertes, comme pour présenter d’elles-mêmes l’humble témoignage de tant de souffrances subies. Quelque chose d’une rigidité monacale relevait l’expression de sa figure. Rien de triste ou d’attendri n’amollissait ce regard pâle. Dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité. C’était la première fois qu’elle se voyait au milieu d’une compagnie si nombreuse ; et, intérieurement effarouchée par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en habit noir et par la croix d’honneur du Conseiller, elle demeurait tout immobile, ne sachant s’il fallait s’avancer ou s’enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et pourquoi les examinateurs lui souriaient. Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude.

Flaubert, Madame Bovary

Flaubert en 1857 fait paraître Madame Bovary qui deviendra le symbole du réalisme. Œuvre scandaleuse à l’époque, Flaubert gagne finalement le procès pour immoralité intenté contre son livre, et rencontre le succès. À travers ce récit il va chercher à montrer les faiblesses humaines, à travers une peinture précise de la réalité.

Au chapitre II, au cours d’un rassemblement d’agriculteurs et de propriétaires terriens, Catherine Leroux, une vieille femme, est récompensée pour avoir passé de nombreuses années dans la même ferme ; le narrateur brosse ici son portrait. Nous allons étudier tout d’abord le réalisme du portrait d’une pauvre femme pour mettre ensuite en évidence son aspect symbolique.

I. Un portrait réaliste de Catherine Leroux, une pauvre femme

La description de cette pauvre femme est faite par le narrateur, lors de sa montée sur la scène, lorsqu’elle est appelée pour recevoir sa récompense aux comices agricoles, ce qui justifie son portrait. Le lecteur est alors au même niveau que la foule, c’est-à-dire qu’il va suivre la description de celle-ci, en même que les autres participants. Le portrait va être en organisé en deux parties et se rapprocher de son sujet. La première est une description du personnage selon deux points de vue, la seconde le portrait moral.

a) Une description d'un point de vue externe puis interne

Pour rendre le récit vivant et réaliste, le narrateur alterne les points de vue. L’extrait commence avec une focalisation externe introduite par le verbe « voir » (on vit) ce qui montre que nous aurons à faire tout d’abord à une description physique de ce que l’assemblée peut voir et donne ainsi du réalisme en plongeant le lecteur et le spectateur dans la scène. Elle se finit ensuite jusqu’à la ligne 6. Nous avons ensuite une focalisation omnisciente de la ligne 6 à 12, qui revient sur le passé de la femme avec le plus-que-parfait « avaient encroutées » pour justifier la saleté apercevable des mains de la femme. On remarque ainsi une antithèse « sales » et « rincées d’eau claire » qui montre une opposition entre le regard des spectateurs qui voient la saleté sur ses mains et le regard du narrateur qui sait que les mains sont propres. Par la suite se trouve un point de vue interne de la ligne 12 à 16, qui est introduit pas le verbe se voir « elle se voyait », on rentre ici dans les pensées (ses questions) de la femme et ainsi dans son regard (les drapeaux, les tambours…), on sait également comment elle se tient « immobile ». Ainsi le regard est de plus en plus aiguisé, il va de l’extérieur à l’intérieur, et va même jusqu’aux pensées du narrateur qui est pourtant externe. Ce qui peut éventuellement dire que ce portrait est à lire en profondeur pour essayer d’en extraire une réflexion.

b) Le portrait physique rapproché

La description physique de la femme débute alors, en décrivant son allure « petite, maintien, craintif, ratatiner ». Il aborde ensuite ses pieds avec « aux pieds de grosses galoches de bois » puis « le long des hanches » pour après arriver au « visage maigre ». Mais le narrateur va surtout se localiser sur ses mains. Sûrement car elles ont été son outil de travail et c’est pour récompenser son mérite professionnel qu’elle est invitée à monter sur l’estrade. Il veut alors nous montrer qu’elle s’est usée au travail et que ses mains en sont la preuve. Son apparence générale est d’emblée celle d’une femme usée par le travail. Au-delà de sa description corporelle, le narrateur souligne aussi les vêtements portés par Catherine Leroux. Les pieds sont chaussés de « grosses galoches de bois » où nous distinguons un contraste entre « grosses » et maigreur du personnage. Elle porte « un grand tablier bleu » ce qui montre que même lors de la cérémonie elle garde son tablier autour du visage « un béguin sans bordure ». Ainsi sa silhouette disparaît dans ses vêtements, de plus ses détails sur les vêtements montrent l’importance du travail dans sa vie et sur sa simplicité, ce qui permet aussi d’établir le portrait dans un registre réaliste. Le portrait physique se poursuit par un portrait moral à la fin de l’extrait.

c) Le portrait psychologique

Le portrait psychologique débute par une négation « rien de triste ou d’attendri » montrant une absence des sentiments, ce qui insiste sur le registre pathétique. On peut relever que les deux noms "mutisme" et "placidité" suggèrent soit le renoncement, soit l'acceptation de sa condition. L’adverbe "intérieurement effarouchée" nous renseigne sur le fait qu'elle ne montre pas sa peur et l'adjectif « effarouchée » signifie qu'elle a un comportement sauvage. Le champ lexical de l'immobilité : "rigidité", "mutisme", "immobile" décrit un contraste avec la foule et ses mouvements et activités: « poussait », « les tambours », « les drapeaux ». Cela donne l’impression qu’elle est étrangère à ce monde. Et pour finir, on peut dire que les accumulations de subordonnées interrogatives ("s'il fallait... ou..., ni pourquoi... et pourquoi") dévoilent son incompréhension, son étrangeté par rapport au monde des hommes.

Ce portrait psychologique expose ainsi une femme, qui semble avoir perdu tout caractère humain par contraste avec ceux qui la regardent. Aussi, au-delà de la description réaliste, Gustave Flaubert entend dresser de portrait d’un personnage symbolique chargé de signification.

II. Une souffrance suscitant le respect

Évoquant le passé de Catherine Leroux, Flaubert met en lumière la souffrance, ce qui va susciter le respect, voire l’admiration du lecteur. Dés le début avec le « on vit », on peut remarquer que la femme est présentée est l’objet de spectacle, mais tous des éléments d’une scène théâtrale suit avec « l’estrade » où la femme est offerte au regard « des bourgeois », qui la regardent avec curiosité. Les termes « les examinateurs » « La foule », font ainsi référence à un public d’un spectacle, dans lequel « les drapeaux » et « les tambours » servent de décor. Le « tablier bleu » de la servant et « l’habit noir » des messieurs montrent l’opposition entre sa pauvreté et la richesse du public.

a) Une scène mettant en scène la servitude

Ainsi cette mise en scène théâtrale humilie la femme, alors qu’on prétendait l’honorer. Cette femme joue un rôle emblématique de la condition des petites gens en XIX siècle. À la fin de cet extrait, on montre que Catherine Leroux est une allégorie de « ce demi-siècle de servitude », dont le portrait est une critique de cette servitude. On remarque une accumulation sur la difficulté, leur nombre et les conditions, mais aussi sur les conséquences physiques de ce travail, avec ses mains « entrouvertes » qui symbolisent la servitude. Le champ lexical de la servitude : "servi », "servitude" "subies", mais également "camisole", qui désigne à la fois une veste courte, et un enfermement. Le « à force » devant le verbe « servir » montre la durée de cette servitude. Ainsi, ce portrait est l’occasion d’une dénonciation du travail difficile, qualifiée de servitude, qui détruit des hommes et des femmes. Face à ceux-là, elle ne montre aucune émotion, le narrateur y opposant même le sourire des bourgeois qui la regardent.

b) Une scène de violence

Flaubert dénonce dans cet extrait la violence imposée à Catherine Leroux. Le bourgeois se donne ainsi bonne conscience en offrant une médaille à une pauvre femme. Il y a une arrogance de leur part « ils lui souriaient » montrant mépris et encouragement. Dans « ces bourgeois épanouis », le démonstratif « ces » les désigne coupables, et l’emploi de la catégorie sociale « bourgeois » affiche le fossé entre la femme et ses messieurs. L’adjectif « épanouis » montre qu’ils sont heureux, en contraste avec la peur de la femme. Les bourgeois en font trop, la femme ne comprend ce qu’il se passe et ne sait pas ce qu’on attend d’elle. La violence est ainsi représentée par l’image symbolique de « la foule la poussait » et la violence dans la remise de médaille avec les symboles de la patrie comme si la France et le gouvernement étaient complices de « ce demi-siècle de servitude ». Ce portrait dénonce ainsi la violence de la bourgeoisie fait aux pauvres gens. C’est une critique par Flaubert du système social de l’époque.

Conclusion

Cet extrait de Madame Bovary présente comme nous l’avons vu un portrait réaliste, dénonçant par la description sa condition sociale. Au-delà de son réalisme, la scène est aussi vivante grâce à la diversité des points de vue et à l’énonciation. Il y est exprimé le jugement péjoratif de l’auteur sur l’injustice de son époque. À travers une description en apparence anodine d’un comice agricole, l’auteur met en avant la différence profonde qu’il existe entre hommes et femmes, et surtout entre les bourgeois et le prolétariat ainsi la violence du réalisme de Flaubert dans cet extrait nous rappelle la condition misérable des classes défavorisées de l’époque. Il annonce d’ailleurs ici le naturalisme de Zola et des frères Goncourt qui souhaitaient montrer à la bourgeoisie comment vivaient les plus pauvres.