Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves - P1: Scène du bal (2)

Commentaire linéaire en deux parties.

Dernière mise à jour : 22/12/2021 • Proposé par: emilieitsmoi (élève)

Texte étudié

Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença et, comme elle dansait avec Monsieur de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait, et à qui on faisait place. Madame de Clèves acheva de danser et, pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre, le Roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que Monsieur de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait. Ce prince était fait d'une sorte qu'il parut difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir Madame de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement. Monsieur de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le Roi et les Reines se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vu, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini, sans leur laisser le loisir de parler à personne, et leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient point.

- Pour moi, Madame, dit Monsieur de Nemours, je n'ai pas d'incertitude ; mais comme Madame de Clèves n'a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j'ai pour la reconnaître, je voudrais que votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.
- Je crois, dit Madame La Dauphine, qu'elle le sait aussi bien que vous savez le sien.
- Je vous assure, Madame, reprit Madame de Clèves qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.
- Vous devinez fort bien, répondit Madame la Dauphine ; et il y a même quelque chose d'obligeant pour Monsieur de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez déjà sans l'avoir jamais vu.

Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves - P1

La scène de rencontre entre deux amants est un motif littéraire, en particulier dans le roman précieux de la première moitié du 17ième siècle. Mais Madame de La Fayette offre à ses lecteurs en 1678 (de manière anonyme) un roman atypique : personnages fictifs et réels se croisent à l’inverse des romans héroïques de fantaisie pure, et l’analyse des sentiments a lieu au cœur du récit principal, loin des romans baroques.

Dans ce passage, c’est la première fois que les deux héros se rencontrent lors d’un bal pour les fiançailles de la fille du Roi. Le texte fait alterner passages narratifs et discours analytiques, avant de donner la parole à deux personnages en discours direct. La Cour ne peut qu’admirer la beauté de Madame de Clèves, tandis que M. De Nemours fait une apparition remarquée. Ces deux héros sont soumis à un jeu de regard qui semble les emprisonner, leur liberté d’action est donc posée. Nous savons que Madame de Clèves est mariée (M. De Clèves est absent de la scène !) et cette rencontre laisse présager une fin tragique en creux, l’impossible amour entre deux amants. C’est l’individu soumis à la Cour et à la morale.

Problématiques possibles : comment le roi et les reines orchestrent la rencontre ? Comment la narratrice prépare-t-elle cette scène amoureuse ?

Le texte présente deux mouvements :
- I. La rencontre (ligne 1 à 14)
- II. Les présentations

I. La rencontre (ligne 1 à 14)

Le pronom personnel « Elle » qui début le texte indique que la narratrice adopte un point de vue omniscient. Le groupe prépositionnel « à se parer », complément d'objet indirect du verbe passer montre l’intérêt particulier de la princesse pour son apparence afin de plaire lors du bal. Le complément circonstanciel de but « pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre » désigne le cadre de la rencontre qui aura lieu, et évoque le conte de fée ou le récit merveilleux. Dès la ligne 2, un transfert s'opère sur le point de vue la Cour, comme le montrent le pronom personnel indéfini « on » et la position dans la phrase en complément d'objet direct du groupe nominale « sa beauté et sa parure ». La Princesse est exposée (« on admira ») aux yeux de la Cour, mais c’est la perception auditive qui est mise en valeur dans le surgissement d’un événement de Cour, comme l’indiquent « se fit entendre » et la litote « un assez grand bruit ».

La narratrice ici ménage le

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