Les sciences humaines pensent-elles l'homme comme un être prévisible ?

Corrigé synthétique.

Dernière mise à jour : 16/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Analyse du sujet

a) Analyse des termes

Trois termes semblent importants et la difficulté consiste à les concilier (le sujet propose "penser"):
- Les sciences humaines: ce sont des pratiques nées au XVIII e siècle selon Lévi-Strauss qui voyait en Rousseau le fondateur de l'anthropologie moderne.
Mais c'est surtout dans le XIXè qu'elles ont pris un essor définitif qui les posent dans l'espace du savoir: sociologie avec Comte et Durkheim; linguistique avec de Humboldt et Bopp; l'économie avec Smith, Ricardo et Marx par ex...

- L'homme: réalité ambiguë, entre la nature et la culture, entre le déterminisme et les valeurs à choisir, l'homme est-il saisi comme homme par ce qui se propose de l'étudier. Et cette étude passe peut-être à côté de ce qui caractérise l'homme.

- L'être prévisible: c'est ici ce que les sciences humaines saisissent de l'humanité de l'homme, ou ce qu'elles prétendent en saisir: peut-être justement ce qui lui est accessoire et non pas essentiel: prévoit-on comment une liberté va agir ? La prévision cherche à déduire ce qui sera de ce qui est ou a été. Cette déduction est-elle possible quand il y va de la liberté qui serait peut-être l'essence de l'homme.

b) Problématiques possibles

- Statut épistémologique des sciences humaines: sont-elles des sciences, i.e sur quel régime de pensée travaillent-elles ?

- L'homme n'est-il pas cette réalité qui échappe à toute saisie scientifique? Cette problématique indexe une pratique de savoir qui déborderait les sciences humaines, soit en ce qu'elle les synthétise, soit en ce qu'elle saisit l'essence propre à l'homme: sa liberté; cette pratique du savoir pourrait se désigner "philosophie".

- L'être prévisible: que retiennent donc les sciences humaines de l'homme quand elles prévoient l'homme?

c) Références souhaitables

- Rousseau, le second Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
- Comte, Discours sur l'esprit positiviste
- Durkheim, Le suicide
- Schelling, Recherches sur la liberté humaine
- Sartre, L'être et le néant, Critique de la raison dialectique
- Freud, Métapsychologie, chap. l'inconscient
- C.Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, I et II
- M.Foucault, Les mots et les choses

Introduction

Les sciences humaines ont pour objet: l'homme. Ainsi voit-on que l'économie appréhende la réalité humaine en ce qu'elle produit ou dépense des richesses; ou bien encore la psychologie cherche t-elle à expliquer et comprendre les comportements humains à partir de lois et de règles qui permettent d'en déterminer le sens. Ces sciences semblent s'appuyer sur la possibilité d'une analyse causale qui aurait pour conséquence de prévoir un certain nombre d'actes, de comportements, dont les effets seraient répétés et par la même "anticipables". Ainsi se pose la question de savoir si l'homme parce qu'il est explicable, est prévisible ou si , en tant qu'être, capable de liberté il échappe en partie à un tel déterminisme?

I. L'homme, un être que l'on peut étudier en tant que corps et esprit

L'homme: un être de nature et de culture ? Nous le savons, les sciences humaines émergent au XVIII et se constituent en systèmes épistémologiques au XIX avec l'avènement de la sociologie, celui de la psychologie et de la psychanalyse. Toutes ces sciences tentent de répondre à la question: "qu'est-ce que l'homme?" et pour ce faire, en proposent un modèle d'intelligibilité en fonction d'hypothèses, de règles et de lois. Ainsi sur le plan biologique l'homme est un être de nature soumis à un déterminisme biogénétique qui, d'une certaine manière, l'assujettit à des lois dont il ne peut faire abstraction. Comme tout vivant, il est donc l'objet de lois causales qui régissent son corps tout comme son esprit. Ce faisant, le corps est un objet d'études diverses et spécialisées qui tentent, non sans succès, d'en connaître les fonctionnements et bien sûr d'en prévoir les anomalies. L'on peut objecter qu'il s'agit de sciences expérimentales, indexées sur la méthodologie des sciences de la nature, qui ne sont pas considérées comme des sciences humaines à proprement parler.

Il reste que le corps n'est pas le tout de l'homme et qu'il ne peut être réduit à une unité idéale et presque désincarnée. Chercher à connaître et à comprendre l'homme ne peut aussi que prendre en charge la dimension spirituelle car, incontestablement nous sommes des métis d'âme et de corps. Tels sont bien les enjeux de la psychologie et de la psychanalyse: comprendre l'homme, mais cela revient-il à réintroduire le déterminisme psychique et de faire de l'homme, une réalité transparente et par suite prévisible? Ainsi la psychanalyse fait-elle l'hypothèse de l'inconscient donc d'une "réalité" ou plutôt d'une instance qui est le pôle chaotique et en partie héréditaire de toute personnalité. Il reste que si tel est bien le cas, l'inconscient n'est jamais qu'une interprétation du psychisme qui nécessite des grilles de lecture. Rendent-elles pour autant une prévisibilité possible des attitudes et des comportements quotidiens?

II. La psychologie permet de comprendre le comportement de l'homme

S'il est possible de prévoir, il est donc possible de"réduire" l'homme à des profils psychologiques; mais s'agit-il de ce qui concerne chaque homme dans son histoire singulière et totalement personnelle ou d'un idéal dont la généralité tracerait une possible prévision, quitte à dissoudre le vécu concret qui le singulariserait ? Le génie de Freud aura été de rabattre le fonctionnement de l'inconscient sur des "mécanismes" de nature; depuis le XVIIe siècle, et les lois galiléennes, la physique mathématique avait servi de paradigme à la formation des concepts scientifiques.

Elle rendait possible la prévisibilité des évènements, comme on prévoit la chute des corps. En témoignent dans le discours Freudien la présence et l'usage de concepts importés des mathématiques (la structure hypothético-déductive qui règle la métapsychologie Freudienne) et de la physico-chimie: ainsi la "sublimation". Aussi, peut-on déduire ce qui sera ou devrait se passer pour l'adulte en fonction de ce qu'il a été dans son enfance: "l'enfant est le père de l'homme" répétait Freud. De manière générale , ce rabattement des sciences de l'homme sur les sciences de la nature nécessite que soit questionnée leur pertinence: ne souffrent-elles pas d'un réductionnisme? L'homme peut-il à ce point être saisi scientifiquement, comme un être prévisible, sans dommage pour l'objectivité même du discours et des pratiques que ces sciences libèrent?

III. Les sciences humaines permettent d'étudier le rapport de l'homme à son environnement

La puissance du travail archéologique de Foucault, dans Les mots et les choses, a consisté à montrer comment se nouaient les différents régimes de discours qui faisaient de l'homme un objet du savoir: d'abord les sciences humaines ont décomposé la réalité humaine comme réalité finie: elles ne parlent plus de l'homme, mais de l'homme dans un rapport tout à fait particulier (en tant qu'il parle, c'est la linguistique; en tant qu'il produit des richesses, c'est l'économie, etc...). Rousseau disait déjà, à moins qu'il ne soit que le porte parole d'une exigence d'époque, que l'homme devait être étudié non pas dans sa généralité, mais dans ses rapports.

De ce point de vue, la positivité d'un savoir (les sciences humaines) pouvait alors s'établir. Cette positivité s'exprime excellemment dans la prévisibilité de la réalité humaine: en tant qu'il produit des biens, l'homo economicus, a un comportement qui peut être rationalisé, a fortiori prévisible; il y a des lois de l'économie qui semblent structurer le marché (la loi de l'offre et de la demande). Les sciences humaines ne pensent pas l'homme comme un être prévisible; cette prévisibilité n'est qu'une conséquence de cette finitude dans laquelle elles installent leur objet. Cette positivité a un prix, celui d'un renoncement: on ne peut chercher une science de l'homme dans sa générosité; il n'y a plus que des sciences humaines, chacune ayant une réalité bien partielle de l'homme.

Conclusion

Dès lors, deux conclusions peuvent être tirées de cette perspective: soit les sciences humaines risquent dans l'espace de savoir de se dénouer comme un jour elles se sont nouées; et alors la figure de l'homme s'effacera du "trièdre des savoirs"; telle est l'esquisse qui conclut les pages des Mots et les Choses; soit l'homme est irréductiblement ce qui échappe à la scientificité, et contraint alors à une autre approche pour qui veut "penser l'homme" , i.e penser la liberté. Ce ne sera plus alors depuis une prévisibilité stricte mais peut être depuis l'assignation d'une probabilité de présence dans un système. Encore faut-il accepter que la liberté, qui caractérise l'homme, puisse entrer et s'exprimer dans un système