Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre I, chapitre 18: Réception du roi

Lecture linéaire détaillée.

Dernière mise à jour : 17/02/2023 • Proposé par: Breizh22 (élève)

Texte étudié

Julien fut étonné et encore plus fâché qu’elle lui fît un mystère de ce qui l’agitait. Je l’avais prévu, se disait-il avec amertume, son amour s’éclipse devant le bonheur de recevoir un roi dans sa maison. Tout ce tapage l’éblouit. Elle m’aimera de nouveau quand les idées de sa caste ne lui troubleront plus la cervelle.

Chose étonnante, il l’en aima davantage.

Les tapissiers commençaient à remplir la maison, il épia longtemps en vain l’occasion de lui dire un mot. Enfin il la trouva qui sortait de sa chambre à lui, Julien, emportant un de ses habits. Ils étaient seuls. Il voulut lui parler. Elle s’enfuit en refusant de l’écouter. – Je suis bien sot d’aimer une telle femme, l’ambition la rend aussi folle que son mari.

Elle l’était davantage, un de ses grands désirs, qu’elle n’avait jamais avoué à Julien de peur de le choquer, était de le voir quitter, ne fût-ce que pour un jour, son triste habit noir. Avec une adresse vraiment admirable chez une femme si naturelle, elle obtint d’abord de M. de Moirod, et ensuite de M. le sous-préfet de Maugiron, que Julien serait nommé garde d’honneur de préférence à cinq ou six jeunes gens, fils de fabricants fort aisés, et dont deux au moins étaient d’une exemplaire piété. M. Valenod, qui comptait prêter sa calèche aux plus jolies femmes de la ville et faire admirer ses beaux normands, consentit à donner un de ses chevaux à Julien, l’être qu’il haïssait le plus. Mais tous les gardes d’honneur avaient à eux ou d’emprunt quelqu’un de de ces beaux habits bleu de ciel avec deux épaulettes de colonel en argent, qui avaient brillé sept ans auparavant. Mme de Rênal voulait un habit neuf, et il ne lui restait que quatre jours pour envoyer à Besançon, et en faire revenir l’habit d’uniforme, les armes, le chapeau, etc., tout ce qui fait un garde d’honneur. Ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’elle trouvait imprudent de faire faire l’habit de Julien à Verrières. Elle voulait le surprendre, lui et la ville.

Stendhal, Le Rouge et le Noir - Livre I, chapitre 18

Stendhal, de son vrai nom Henri Beyle, écrit Le Rouge et le Noir en 1830. La particularité de ce roman est que Stendhal le situe exactement à la période où il l’écrit. Il s’agit donc d’un renouvellement du roman historique puisqu’il se fond dans la période contemporaine. La Restauration vit ses derniers jours. Stendhal l’a si bien pressenti, qu’il se précipite à Paris dès que la révolution souffle sur la ville pour abattre les derniers Bourbon, et que son éditeur se voit contrer de publier l’œuvre sans les titres des derniers chapitres.

Cependant, l’histoire passe à côté du jeune Sorel, sans que le lecteur n’en perçoive autre chose que ce que le jeune homme est susceptible d’entrevoir. Cette technique descriptive relève d’une toute nouvelle forme de réalisme. Le jeune héros est d’ailleurs issu du peuple. Mais il est cultivé et sa famille le rejette. Il devient précepteur chez le Maire, M. de Rênal. Il se pense hypocrite et stratège, mais c’est un sensible, un passionné. Marqué par le romantisme, il rêve à la gloire napoléonienne qu’il n’a pas connue et qu’il idéalise. Désespéré de ne pas pouvoir porter l’habit du soldat, il se projette dans celui de l’ecclésiastique, plus apte à le conduire à la réussite. Il fait la connaissance de Madame de Rênal, mais il ne reconnaît pas la nature des sentiments qu’il éprouve pour elle. Cette dernière connaît enfin le bonheur depuis qu’elle a rencontré Julien et l’aime d’un amour total et désintéressé.

L’extrait se situe au chapitre XVIII du Livre I. Comme le roi vient à Verrières, la ville constitue une garde d’honneur et Madame de Rênal rêve de placer son protégé en tête du cortège. L’extrait fait percevoir au lecteur comment le héros réussit malgré lui. Des lignes 1 à 9, la narration enferme le lecteur dans les erreurs d’interprétation de Julien. Des lignes 10 à 16, le narrateur se fait omniscient pour révéler le fonctionnement des êtres et de la société. Finalement, les lignes 17 à 21 illustrent la critique sociale et l’attrait irrésistible pour les apparences.

I. La narration enferme le lecteur dans le point de vue du personnage (l.1 à 9)

a) La focalisation interne limite la perception au point de vue de Julien

Julien est le sujet des verbes : « Julien fut », « il l’en aima », « Il épia », « il la trouva », « il voulut ». Les deux péripéties sont commentées par sa voix au discours direct, « il » devient « je » : « [i]Je l’avais pré

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