L’obéissance est-elle toujours une entrave à la liberté ?

Corrigé en trois parties
I. Visiblement, obéir c’est ne pas être libre,
II. Il faut pourtant dépasser l’opposition liberté/obéissance, car les deux peuvent être conciliés,
III. Finalement, être libre c’est obéir lorsque l’autorité est pour nous légitime

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: fannyd (élève)

Définition des termes du sujet

Obéir :
Se soumettre à la volonté de quelqu’un, à un règlement
Céder à une incitation, à un sentiment
Répondre au mouvement commandé, fonctionner correctement
Etre soumis à une force, à une nécessité naturelle

Toujours :
implique que la liberté n’est parfois pas bafouée lorsque l’on obéit

Entrave :
Lien que l’on fixe au pied d’un cheval, d’un animal, pour gêner sa marche
Ce qui fait obstacle ; empêchement

Liberté :
1. Etat d’une personne qui n’est pas soumise à la servitude
2. Etat d’un être qui n’est pas retenu prisonnier
3. Possibilité de se mouvoir sans gêne ni entrave physique
4. Possibilité d’agir, de penser, de s’exprimer selon ses propres choix
Avoir toute liberté de, pour : pouvoir sans aucune surveillance ni contrôle, faire telle chose, agir de telle manière
Prendre la liberté de : se permettre de
5. Etat d’une personne qui n’est liée par aucun engagement professionnel, conjugal etc.
6. Attitude de quelqu’un qui n’est pas dominé par la peur, la gêne, les préjugés
7. Liberté civile : faculté pour un citoyen de faire tout ce qui n’est pas contraire à la loi et qui ne nuit pas à autrui ; Liberté naturelle : principe selon lequel la liberté est inhérente à la nature humaine
8. Liberté individuelle : droit reconnu à l’individu d’aller et venir sans entraves sur le territoire national, d’y entrer et d’en sortir à son gré ; Liberté de conscience, liberté du culte : droit de pratiquer la religion de son choix ; Liberté d’opinion, d’expression, de pensée : droit d’exprimer librement ses pensées, ses opinions et de les publier ; Liberté de réunion : droit accordé aux individus de délibérer des sujets de leur choix dans un local ouvert à tous, sans autorisation préalable ; Liberté syndicale : droit pour les salariés de constituer des syndicats, d’adhérer ou non à un syndicat ; Liberté d’enseignement : liberté de créer un établissement d’enseignement et, pour l’élève, de choisir entre l’enseignement public et l’enseignement privé
9. Etat de l’homme qui se gouverne selon sa raison, en l’absence de tout déterminisme

Introduction

Dans le contexte de la démocratie athénienne, Aristote dit dans La politique : « Le premier caractère de la liberté est l’alternative du commandement et de l’obéissance. [...] Son second caractère, c’est la faculté laissée à chacun de vivre comme il lui plaît ». On peut ainsi comprendre qu’Aristote rajoute un aspect à ce que nous concevons spontanément comme la liberté : la capacité de faire ce qu’on veut, comme le fait de ne pas être empêché d’agir.

Aristote propose alors une nouvelle définition de la liberté. On peut donc se demander si l’obéissance est nécessairement un obstacle à la liberté ? Obéir, n’est-ce pas se ranger sur l’opinion, la pensée ou l’action des autres ? L’obéissance n’est-elle pas une forme de soumission qui pourrait traduire l’absence de liberté ? Toutefois, ne faut-il pas respecter également certaines contraintes pour apprécier plus amplement sa liberté ? En effet, dans notre société « la liberté des uns s’arrête là où celle des autres commence» : ne devrait-on pas dès lors, renoncer à sa liberté personnelle, et donc obéir à une certaine éthique afin de vivre collectivement ? Obéir, est-ce nécessairement perdre sa liberté, y renoncer, ou bien est-ce compatible avec le maintien de notre liberté? La liberté véritable réside-t-elle réellement dans l'absence d'obéissance ? Le problème est ici de nuancer l'opposition entre la liberté et l’obéissance car si l’obéissance n'est pas forcément le lieu de notre liberté, est-ce qu'il ne serait pas concevable que l’obéissance nous mène à notre liberté.

Nous verrons tout d’abord que visiblement, obéir c’est ne pas être libre pour montrer par la suite qu’il faut pourtant dépasser l’opposition liberté/obéissance car les deux peuvent être conciliés. Il apparaîtra en définitive qu’être libre c’est obéir quand l’autorité est légitime.
L’enjeu de cette réflexion serait de reconsidérer certaines formes d’obéissance qui nous semblent être des contraintes mais qui pourraient en définitive se révéler bénéfique, telles que les lois ou règles qui régissent la vie en communauté.

I. Visiblement, obéir c’est ne pas être libre

a) Selon l’idée populaire que l’on s’en fait, la liberté semble caractérisée par l’absence de contrainte, l’être libre n’étant soumis qu’à sa propre volonté. On arrive alors à penser qu’on ne saurait en même temps être libre et obéir car l’obéissance c’est à dire la soumission à une autre volonté que la notre, serait un obstacle à notre liberté.

=> Ex : les enfants, devant obéir à leurs parents ressentent souvent un sentiment d’injustice car ils doivent obéir à des règles de vie instaurer par les adultes qu’ils ne comprennent pas forcément. Selon eux, ils sont privés d’indépendance et de libertés.
Se soumettre à une règle, un ordre, la volonté d’un ou plusieurs individus nous apporte le sentiment d’être un esclave (un « outil animé » comme dirait Sartre).

b) Dans certaines disciplines artistiques, l’obéissance comme contrainte de la liberté est une évidence.

=> Ex : Par exemple, le théâtre classique de la seconde moitié du XVIIème siècle répond à un ensemble de règles inspirées du théâtre antique. Plusieurs artistes expriment alors leur opposition à cette règlementation : comme André Mareschal qui s’oppose à la fameuse règle des trois unités de Boileau qui régit la tragédie (unité de temps, de lieu et d’action) dans la préface de sa pièce La généreuse allemande : « Nous autres prenons du lieu, du temps et de l’action ce qu’il nous en faut pour le faire curieusement, et pour le dénouer avec grâce, en surprenant les esprits par des accidents qui sont hors d’attente et non point hors d’apparence : eux ne le démêlent point, ils le coupent ».

c) Vivre en société nous force à obéir à certaines règles et ainsi à créer de nouvelles limites à notre liberté

=> Ex : Déclaration Des Droits de l’Homme et du Citoyen créé le 26 août 1789 « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. » L’utilisation du mot « borne » montre explicitement que notre liberté n’est pas sans limites. La « loi » à laquelle nous devons nous soumettre représente alors cette limite.

d) Obéir à ses désirs, ses pulsions, c’est ne pas être libre.

=> Ex : pour Platon, l’homme est passion, incapable de réfléchir, se laissant gouverner par la partie basse de l’âme liée au corps, à l’origine des désirs charnels, qui sont emprunts de folie et menacent l’homme. Il ne peut rien faire d’autre qu’obéir à ces désirs, chercher à les satisfaire.

=> Ex 2 : selon Freud, un élément de notre personnalité, le « ça », est le lieu des pulsions primitives, qui manifestent une totale absurdité : des désirs et des pulsions nous animent mais ont été rejetés hors de la conscience, pour des raisons d’ordre moral et éducatif. Ainsi ces désirs sont refoulés dans notre inconscient (actes manqués, rêves, etc. en sont la réalisation symbolique).

Indéniablement, l’obéissance est synonyme de perte de liberté. L’homme est sans cesse contrôlé par quelque chose, forcé d’obéir que ce soit à ses désirs ou pulsions jusqu’à l’autorité politique, en passant par un certain nombre de règles et conventions etc. Toutefois, ne peut-on pas dépasser l’opposition obéissance / liberté ?

II. Il faut pourtant dépasser l’opposition liberté/obéissance, car les deux peuvent être conciliés

a) S’il n’y avait pas de règles auxquelles les Hommes devaient obéir alors chaque individu ferai ce qu’il voudrait certes mais d’autres se retrouverai alors emprisonné par la liberté de certain. Il faut donc faire la part des choses entre la liberté « sauvage » ("faire ce que l'on veut") et la liberté « civile » ("faire tout ce qui ne nuit pas à autrui")

=> Ex : Selon Hobbes « Hors de la société civile, chacun jouit d'une liberté très entière, mais qui est infructueuse, parce que, comme elle donne le privilège de faire tout ce que bon nous semble, aussi laisse-t-elle aux autres la puissance de nous faire souffrir tout ce qu'il leur plaît. »
Cette citation montre bien le caractère dangereux d’un Homme qui est entièrement libre. Être entièrement libre ne permet pas d’être libre car il empêche l’individu de faire ce qu’il veut à cause de l’insécurité.
Selon Jean-Jacques Rousseau « Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au dessus des Lois : dans l’état même de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la Loi naturelle qui commande à tous. »
L’obéissance devient alors un moyen de canaliser et permet à chaque personne d’avoir un certain nombre de libertés sans avoir à craindre pour sa vie.

b) Une certaine conception de la liberté implique qu’être libre, c’est agir selon les lois de sa nature.

=> Ex : « J'appelle libre, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. » Dans cette citation, Spinoza cherche à montrer que tout dans la nature se produit fatalement. Il n’y a pas de liberté au sens du libre arbitre (faculté de la volonté à opérer un choix en toute liberté). Mais on peut être déterminé (le déterminisme est une doctrine selon laquelle un rapport de cause à effet conditionne tous les faits de la nature, y compris les actes humains) de deux manières : par soi-même, ou par autre chose. Spinoza appelle liberté le fait d’être déterminé par soi-même, le fait d’obéir au déterminisme de soi.

c) L’obéissance libre, c’est à dire la soumission volontaire, existe.
La liberté, c’est le choix. Etre libre, c’est choisir librement à qui ou quoi obéir. Celui qui obéit ainsi ne renonce pas à la liberté car s’il s’est soumis à cette autorité, c’est qu’il est d’accord avec ses principes, qu’il reconnaît le bon sens des ordres qui lui sont donnés.

=> Ex : L’appartenance à une religion est source de contrainte (prière, messe) mais cette adhésion à la foi résulte souvent d’un choix libre. Ainsi dans un livre : La liberté de l’obéissance (2005), un moine chartreux nous explique pourquoi et comment l’obéissance à Dieu peut se révéler libératrice.
Dans cet esprit, la soumission volontaire peut être abandonnée.

=> Ex : Alexandre le Grand se détacha de l’enseignement d’Aristote qui s’était détaché lui-même de Platon.

Dans un second temps nous avons donc constaté que l’obéissance n’est pas forcément contraire à l’idée de liberté et que les deux sont conciliables. Si l’on a à présent concilié l’opposition obéissance / liberté, ne pourrait-on pas aller encore plus loin et dire qu’obéir c’est être libre quand l’autorité est légitime ? Certaines formes d’obéissance n’apportent-elle pas du positif à l’homme ? Obéir ne permet-il pas d’apprécier plus amplement sa liberté et d’en sortir grandi ?

III. Finalement, être libre c’est obéir lorsque l’autorité est pour nous légitime

a) Obéir aux règles/contraintes/principes que l'on s'est donnés est une forme de conservation et d’expression de sa liberté.

=> Ex : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » nous dit Rousseau. L’exemple de la souveraineté populaire peut illustrer cette citation. Faisant partie du peuple, j’ai le droit de m’exprimer concernant les lois, je fais partie des législateurs. Et si c’est moi qui m’impose des lois, il y a bien une idée de contrainte mais aussi de liberté.

=> Ex : Il en va de même dans le choix de faire un régime. Faire un régime est une contrainte : respect de l’alimentation, pratique sportive, peu ou pas d’excès… mais ceci résulte de l’expression de sa liberté : on veut maigrir, alors on s’impose des règles.

b) Dans un autre domaine la soumission à la nature, légitime, permet d’accéder à la liberté du sage.

=> Ex : La notion de liberté est, chez les Grecs, étroitement liée à celle de fatalité. Pour les stoïciens, il faut distinguer les causes « auxiliaires » et les causes « parfaites ». Les premières sont les causes externes qui régissent l’ordre du monde, elles représentent le destin. Les secondes sont les causes internes et relèvent de la spontanéité.
Chrysippe associe cette vision de la liberté à un cylindre. Pour qu’il soit mis en mouvement, il faut qu’une impulsion lui soit donnée de l’extérieur (causes auxiliaire), mais sa trajectoire dépend de sa forme même (cause parfaite).

Il en est de même pour l’action morale. L’homme peut se laisser affecter, perturber, refuser le destin mais il peut aussi faire preuve de patience et d’indifférence en acceptant ainsi son destin : vouloir ce qui arrive, telle est la devise du fatalisme stoïcien. « Être libre, c'est vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent » Épictète.
Obéir peut donc être une forme de sagesse, puisque l’on a conscience que l’on se soumet au destin, à la fatalité, mais on sait également que cette obéissance est la clé de la liberté.

c) Obéir pendant un temps permet de mieux apprécier sa liberté

=> Ex : si un homme reconnaît dans un autre ou dans un groupe d’autres une supériorité morale ou intellectuelle et leur obéit, peut-on dire qu’il pose des barrières à sa liberté ? Si cette « supériorité » est due à un manque d’expérience alors l’obéissance du disciple n’est pas une entrave à sa liberté mais une éducation.
C’est dans cet esprit que va le raisonnement d’Hegel sur le maître et l’esclave. Le travail va réaliser un renversement : celui qui doit travailler se libère car devant travailler, il doit différer ses besoins : il apprend à se contrôler (maîtrise de soi, patience, respect d’une organisation), au contraire le maître qui fait travailler l’esclave, tombe dans la dépendance, la servitude.


Conclusion

Ainsi, obéissance et liberté peuvent être compatibles, mais uniquement quand celui qui obéit donne son accord librement aux règles auxquelles il se soumet ; c’est le concept d’obéissance autonome. En d’autres termes, l’adolescent acceptera de voter pour Jeunette, car même après avoir été influencé, sa raison lui dicte encore d’agir en ce sens. Toutefois, même dans le cas où l’on est en désaccord avec les règles qui nous sont imposées, et où l’on subit l’obéissance comme une contrainte, ne serait-il pas possible de concevoir une coexistence possible entre obéissance et liberté ?

=> Ex : On peut citer comme exemple le théâtre. Ainsi, Boileau énonce la fameuse règle des trois unités qui régit la tragédie : "Mais nous, que la raison à ses règles engage, 
nous voulons qu'avec art l'action se ménage ; 
qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli. " (unité de lieu, de temps et d’action).

=> Ex : pendant leur service militaire, les hommes en fonction de leur grade, devaient obéir aux ordres de personnes ayant un rang plus élevé qu’eux et ce même contre leur volonté

=> Ex : Choisir de faire un sport à haut niveau, est une contrainte : assiduité à l’entrainement, douleurs physiques, respect des règles… mais, la pratique d'une activité physique et sportive est un droit pour chacun. On pourrait même dire du sport qu’il est un outil privilégié d’apprentissage de la liberté. Il nous donne le « pouvoir d’agir » selon nos propres déterminations dans la limite des règles définies.

En ce sens, faut-il ou même doit-on désobéir pour être libre ?