Platon, Phédon: Corps et désirs

Copie entièrement rédigée de l'élève, en deux parties: Les observations du professeur : «Bonne copie, bien écrite, précise et argumentée. La thèse de Platon est très bien mise en évidence. Il est dommage simplement qu'elle ne soit pas plus discutée. C'est très bien». Note obtenue: 15/20.

Dernière mise à jour : 03/12/2021 • Proposé par: nanissou (élève)

Texte étudié

Tant que nous aurons le corps, et qu'un mal de cette sorte restera mêlé à la pâte de notre âme, il est impossible que nous possédions jamais en suffisance ce à quoi nous aspirons; et, nous l'affirmons, ce à quoi nous aspirons, c'est le vrai. Le corps, en effet, est pour nous source de mille affairements, car il est nécessaire de le nourrir; en outre, si des maladies surviennent, elles sont autant d'obstacles à notre chasse à ce qui est. Désirs, appétits, peurs, simulacres en tout genres, futilités, il nous en remplit si bien que, comme on dit, pour de vrai et pour de bon, à cause de lui il ne nous sera jamais possible de penser, et sur rien. Prenons les guerres, les révolutions, les conflits: rien d'autre ne les suscite que le corps et ses appétits. Car toutes les guerres ont pour origine l'appropriation des richesses. Or ces richesses, c'est le corps qui nous force à les acquérir, c'est son service qui nous rend esclaves. Et c'est encore lui qui fait que nous n'avons jamais de temps libre pour la philosophie, à cause de toutes ces affaires. Mais le comble, c'est que même s'il nous laisse du temps libre et que nous nous mettons à examiner un problème, le voilà qui débarque au milieu de nos recherches; il est partout, il suscite tumulte et confusion, nous étourdissant si bien qu'à cause de lui nous sommes incapables de discerner le vrai. Pour nous, réellement, la preuve est faite: si nous devons jamais savoir purement quelque chose, il faut que nous nous séparions de lui et que nous considérions avec l'âme elle-même les choses elles-mêmes. Alors, à ce qu'il semble, nous appartiendra enfin ce que nous désirons et ce dont nous affirmons que nous sommes amoureux: la pensée.

Platon, Phédon (Ed. Flammarion, trad. M.Dixsaut)

Dans cet extrait de Phédon, œuvre de Platon, l'auteur s'interroge sur les effets des désirs et des passions sur nos occupations et les relations entre l'âme et le corps d'un individu. En effet, qu'est-ce qui nous empêche de nous adonner pleinement à la philosophie et donc à la quête du vrai ? Le corps et ses passions sont-ils responsables? Par quel moyen pouvons-nous alors être libérés de ces passions pour enfin accéder au vrai ? En réalité, Platon nous montre ici que le corps est le seul responsable de cette déviation de par les désirs et futilités qu'il suscite et le seul moyen de nous consacrer à la quête du vrai est la séparation radicale du corps et de l'âme.

Dans un premier temps, Platon démontre, en s'appuyant sur l'exemple des guerres, que le corps nécessite un entretien incessant et de ce fait, l'âme n'a jamais de temps pour réfléchir sur le vrai. Quand même elle obtient un peu de répit, le corps revient immédiatement la perturber. Dans un deuxième temps, il aboutit à la conclusion qu'il faut attendre la séparation entre l'âme et le corps pour pouvoir se consacrer entièrement à la philosophie. Or, cette séparation peut être interprétée comme étant la mort de l'individu...

I. L'âme n'a jamais de temps pour réfléchir sur le vrai

Platon distingue d'emblée deux entités essentielles et complémentaires qui constituent un être humain.Le corps représente l'entité matérielle, physique tandis que l'âme, elle, est immatérielle, spirituelle. L'âme est sans cesse à la recherche du vrai, car tel est le but de son existence.Cependant, ce qui l'en empêche, selon Platon, c'est le corps, lui et toutes ses futilités. Le corps est présenté comme le négatif de la pensée, c'est une malédiction qui accompagne l'âme sur son séjour sur Terre. En effet, le corps nécessite des soins incessants, parfois vitaux, parfois inutiles. Il est l'incarnation de tous les problèmes du quotidien telles l'alimentation, les maladies... Mais il est aussi le siège même des désirs, des convoitises, des peurs... Pour expliciter cette thèse, Platon prend ici l'exemple des guerres. Celles-ci sont en réalité le résultat, ou plutôt le moyen de s'approprier des richesses que l'on convoite. Or, de ces richesses, l'âme n'en a que faire. Seul le corps en sera le bénéficiaire après tant de conflits. L'âme, elle, reste passive et se laisse guider par le corps à la recherche de biens matériels. Cette recherche prend toute la vie d'un être humain, le corps est omniprésent et ainsi, il ne laisse jamais l'âme seule. Celle-ci n'a donc jamais de temps pour s'adonner à la pensée pour enfin accéder au vrai. Le corps ne donne jamais de répit à l'âme, car il nécessite un entretien perpétuel. L'âme se laisse constamment guider par ce corps. C'est ainsi qu'elle manque de temps pour rechercher le vrai. Le corps est représenté comme un obstacle, parfois même l'objet qui dévie l'âme du chemin de la vérité. Selon Platon, l'âme constitue une personnalité tandis que le corps, lui, est juste un mal qui l'accompagne. Il est présenté comme un intrus qui soumet une âme à l'esclavage pour contenter ses désirs. Le corps est donc l'objet qui dévie l'âme de la philosophie elle-même.

Cependant, si l'âme parvient à s'en détacher pour saisir réellement les choses, si elle aspire à s'évader pour parvenir à ce qui est véritable, si elle réussit à obtenir un peu de temps et donc de tranquillité pour philosopher, le corps revient alors immédiatement à la charge. Il est donc inutile d'espérer, pour tout être pensant, avoir un peu de répit pour s'adonner à des recherches bien moins matérielles, moins futiles. Le corps ne laissera jamais l'âme qu'il détient prisonnière s'évader un court instant pour continuer le chemin qui mène au vrai. Celui-ci est destiné à la perturber, à la rendre confuse, de telle sorte qu'elle ne puisse plus accéder et continuer sa quête du vrai et qu'elle soit obligée de capituler devant son bureau. Pourtant, en général, l'âme est souvent pensée supérieure au corps, car elle est censée le dominer, le guider et, quant à lui, obéir aux instructions et exigences de l'âme. Or Platon nous présente ici une âme passive, esclave et soumise aux caprices du corps.On ne peut alors s'empêcher de penser que l'âme est en partie responsable de cette débauche, car elle se laisse mener par un corps fougueux, capricieux au lieu de tenter de le modérer et d'y opposer quelque résistance. On pourrait alors considérer, d'après les arguments de Platon, que l'âme est en quelque sorte son propre bourreau et qu'elle aussi, en partie, est responsable de cet éloignement par rapport à la quête du vrai.

II. Il faut attendre la séparation entre l'âme et le corps pour pouvoir se consacrer entièrement à la philosophie

Après ces constatations qui font du corps le principal responsable de l'éloignement de la recherche du vrai, Platon nous donne ici, implicitement un moyen pour que l'âme atteigne le repos et de ce fait, l'assurance qu'elle peut continuer sa route sur le chemin qui mène à ce qui est véritable. Dans cet extrait, Platon ne nous suggère pas de dominer et contrôler son corps, ou plus modestement, d'opposer parfois quelques résistances à ces caprices.Il semble penser que cela relèverait de l'impossible puisqu'il faut toujours entretenir son corps, au moins satisfaire ses désirs nécessaires vitaux. Tenter d'ignorer son corps ne rapporterait rien d'autre que des souffrances physiques qui perturberaient encore plus l'âme, donc ceci n'est pas un moyen de la remettre dans le "droit chemin". Platon nous suggère un autre moyen, bien plus radical: celui de séparer l'âme du corps. C'est en effet à ce seul moment que l'âme aura tout le loisir de poursuivre sa quête du vrai. Ce sont toutes ces observations et déductions qui ont poussé Platon à penser à une séparation radicale entre l'âme et le corps. Selon lui, l'âme ne peut penser que si elle est isolée. Nous devons solliciter l'âme pour penser que lorsqu'elle est seule et éloignée, séparée de cette malédiction qui la hantait et qu'était le corps. De plus, dans cette dernière partie, Platon oppose une dernière fois l'âme et le corps au niveau de leurs préoccupations. Ces derniers n'ont pas les mêmes désirs, les mêmes passions. Ainsi, les désirs du corps avaient pour objet des biens matériels qui ne sont d'aucune utilité pour un philosophe.Or ici Platon affirme que la seule passion qui peut habiter une âme est la pensée.L'âme est destinée à utiliser, solliciter la pensée. Or, les désirs du corps et ceux de l'âme peuvent être considérés comme étant radicalement opposés. Ils ne pouvaient donc cohabiter. Ceci est un élément de plus qui a amené Platon à proposer la séparation de l'âme et du corps comme véritable solution pour accéder au vrai.

Mais si nous essayons d'interpréter cette solution proposée, on pourrait faire correspondre la séparation de l'âme et du corps à la mort de l'individu.Platon semble alors penser que l'âme est immortelle tandis que le corps est lui périssable. Le seul moyen pour l'âme d'obtenir le repos serait en réalité la mort de l'individu concerné. La mort est alors ici considérée comme étant la libération de l'âme d'un fardeau qui lui était omniprésent.Celle-ci, alors libérée de cette enveloppe corporelle qui la perturbait sans cesse, aura toute l'éternité pour continuer sa quête du vrai. La mort a donc ici un aspect majoritairement positif et est considérée comme une libération, ce qui pourrait paraître pour le moins surprenant pour l'opinion générale. Par cette vision des choses, Platon nous émet alors un message implicite qui ne peut être entendu qu'après une interprétation.La mort est ici représentée comme la libération de l'âme pour que celle-ci ait ensuite tout le temps de philosopher.Donc, un véritable philosophe ne doit pas craindre la mort, comme le commun des mortels préoccupés par l'acquisition de biens matériels, mais, selon Platon, il se doit de lui tendre la main. Le vrai ne peut être atteint qu'après la mort de l'individu, et ce moyen est la seule solution selon Platon. Ce texte nous suggère implicitement de ne pas craindre la mort, mais plutôt de la considérer comme telle, c'est-à-dire la libératrice qui achèvera toutes nos souffrances et le moyen d'accéder enfin au vrai auquel l'âme est destinée.

Cependant, cette réflexion soulève bien des questions. Certes, selon Platon, un philosophe doit accueillir la mort à bras ouverts. Mais est-il permis de penser au suicide? Comme nous le présente ici Platon, seule la mort peut nous libérer du corps. Le philosophe doit-il alors tenter de se suicider pour accéder au vrai? Si tel est le cas, son idée paraîtrait invraisemblable. Mais dans le cas contraire, celle-ci serait alors porteuse de nombreux paradoxes...

Conclusion

En conclusion, le corps et ses passions ne provoquent que des effets néfastes sur l'individu. En effet, ils sont la principale cause du détournement de la quête de la vérité et ne laissent jamais de répits à l'âme.La seule solution pour que celle-ci atteigne le repos et puisse de ce fait se consacrer à la pensée est la séparation entre l'âme et le corps, soit la mort de l'individu. Platon nous suggère ici implicitement de ne pas craindre la mort, mais plutôt de l'accueillir à bras ouverts. Cependant, est-il permis à un philosophe de se donner la mort pour accéder au vrai ?

À titre de parenthèse, dans Phédon, Platon développe ses idées à travers les propos de Socrate juste avant son exécution. Ces circonstances peuvent alors en partie expliquer cette thèse présentée ici, mais aussi le refus de s'évader et le calme légendaire dont Socrate a fait preuve avant sa mise à mort...