Abbé Prévost, Manon Lescaut: Des Grieux, meurtrier par amour

Analyse linéaire pour le bac de français.

Dernière mise à jour : 22/07/2023 • Proposé par: axelelledlkzpù (élève)

Texte étudié

Comme je n’en avais pas à perdre, je repris la parole pour lui dire que j’étais fort touché de toutes ses bontés, mais que, la liberté étant le plus cher de tous les biens, surtout pour moi à qui on la ravissait injustement, j’étais résolu de me la procurer cette nuit même, à quelque prix que ce fût ; et de peur qu’il ne lui prît envie d’élever la voix pour appeler du secours, je lui fis voir une honnête raison de silence, que je tenais sous mon juste-au-corps. – Un pistolet ! me dit-il. Quoi ! mon fils, vous voulez m’ôter la vie, pour reconnaître la considération que j’ai eue pour vous ? – À Dieu ne plaise, lui répondis-je. Vous avez trop d’esprit et de raison pour me mettre dans cette nécessité ; mais je veux être libre, et j’y suis si résolu que, si mon projet manque par votre faute, c’est fait de vous absolument. – Mais, mon cher fils, reprit-il d’un air pâle et effrayé, que vous ai-je fait ? quelle raison avez-vous de vouloir ma mort ? – Eh non ! répliquai-je avec impatience. Je n’ai pas dessein de vous tuer si vous voulez vivre. Ouvrez-moi la porte, et je suis le meilleur de vos amis. J’aperçus les clefs qui étaient sur sa table. Je les pris et je le priai de me suivre, en faisant le moins de bruit qu’il pourrait. Il fut obligé de s’y résoudre. À mesure que nous avancions et qu’il ouvrait une porte, il me répétait avec un soupir : – Ah ! mon fils, ah ! qui l’aurait cru ? – Point de bruit, mon père, répétais-je de mon côté à tout moment. Enfin nous arrivâmes à une espèce de barrière, qui est avant la grande porte de la rue. Je me croyais déjà libre, et j’étais derrière le père, avec ma chandelle dans une main et mon pistolet dans l’autre. Pendant qu’il s’empressait d’ouvrir, un domestique, qui couchait dans une petite chambre voisine, entendant le bruit de quelques verrous, se lève et met la tête à sa porte. Le bon père le crut apparemment capable de m’arrêter. Il lui ordonna, avec beaucoup d’imprudence, de venir à son secours. C’était un puissant coquin, qui s’élança sur moi sans balancer. Je ne le marchandai point ; je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine. – Voilà de quoi vous êtes cause, mon père, dis-je assez fièrement à mon guide. Mais que cela ne vous empêche point d’achever, ajoutai-je en le poussant vers la dernière porte. Il n’osa refuser de l’ouvrir. Je sortis heureusement et je trouvai, à quatre pas, Lescaut qui m’attendait avec deux amis, suivant sa promesse.

Nous nous éloignâmes. Lescaut me demanda s’il n’avait pas entendu tirer un pistolet. – C’est votre faute, lui dis-je ; pourquoi me l’apportiez-vous chargé ? Cependant je le remerciai d’avoir eu cette précaution, sans laquelle j’étais sans doute à Saint-Lazare pour longtemps.

Abbé Prévost, Manon Lescaut

L’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, communément appelé Manon Lescaut est un roman-mémoire faisant parti du septième et dernier tome des Mémoires et aventures d’un homme de qualité. Il parut en 1731 par Antoine François Prévost dit Abbé Prévost, homme d’église, journaliste, novelliste et écrivain appartenant au mouvement des Lumières. Dans ce roman, le Chevalier des Grieux raconte son histoire d’amour tragique avec Manon Lescaut au narrateur, le marquis de Renoncour, lors de leur deuxième rencontre.

Après une tentative d’escroquerie, Manon est enfermée à l’hôpital. Le chevalier Des Grieux, emprisonné à Saint-Lazare, profite de la sympathie que lui témoigne le supérieur pour tenter de s’enfuir et aller libérer Manon. L’extrait étudié relate l’évasion planifiée, armée et rocambolesque de Des Grieux, avec prise d’otage.

Problématique

Comment Des Grieux devient-il un criminel en dépit de sa volonté ?

Plan

Dans un premier temps, nous verrons que Des Grieux se montre déterminer à s’évader de prison. Dans un deuxième temps, nous nous évoquerons la prise d’otage du religieux, avant d’analyser les enjeux du coup de théâtre qui suit, lorsqu’un domestique surgit: nous verrons ainsi comment le meurtre et la réaction de Des Grieux signe sa chute dans la marginalité et l’immoralité.

I. Des Grieux, déterminé à s’évader de prison

Le texte s’ouvre sur la mention du temps restreint dont dispose Des Grieux pour s’évader, comme l’indique la proposition subordonnée circonstancielle de cause « Comme je n’en avais pas à perdre », ce qui nous plonge dans l’atmosphère d’un roman d’aventures.

La scène concerne majoritairement deux personnages : le chevalier et le père supérieur, religieux qui détient les clés des chambres des prisonniers. Leur échange s’effectue d’abord au discours indirect : « je repris la parole pour lui dire que ». Le lecteur a alors accès au caractère du chevalier : ce dernier se dit sensible à la bonté du religieux comme l’indique le verbe de sentiment accentué par l’adverbe d’intensité « fort » : « j’étais fort touché » .

Toutefois, Des Grieux oppose à la bonté un autre idéal, celui de la liberté qualifiée par le superlatif « le plus cher de tous les biens ». Cette opposition est marquée par la conjonction de coordination « mais » (« mais que, la liberté étant… » ) qui indique d’emblée la détermination du chevalier à faire passer la liberté av

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