Louise Labé, Sonnets: « Je vis, je meurs »

Commentaire composé en deux parties.

Dernière mise à jour : 31/07/2023 • Proposé par: lynn (élève)

Texte étudié

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé, Sonnets

Le poème "Je vis, je meurs" est une œuvre majeure de la poétesse Louise Labé. Cette dernière est considérée comme l'une des figures marquantes de la Renaissance lyonnaise. Son recueil de sonnets, publié en 1555 sous le titre Œuvres de Louise Labé, Lionnoize, a contribué à sa renommée et à l'établissement de son statut de poétesse majeure de son temps. "Je vis, je meurs" est l'un de ses poèmes les plus célèbres, dans lequel elle exprime l'ambivalence des sentiments amoureux.

Dans cet sonnet, nous analyserons d’abord la complainte amoureuse élaboré par Louise Labé dans "Je vis, je meurs", en mettant l'accent sur l’amour passion dont elle explore les émotions contradictoires liées à celui-ci.

I. Une complainte amoureuse

a) L'expression des sentiments amoureux

Louis Labé dénonce en premier lieu une complainte amoureuse. Le premier vers débute par « je », ce qui préfigure le registre lyrique qui domine le poème. On retrouve d`ailleurs la première personne dans chacun des 14 vers de ce sonnet, sous la forme de pronoms personnels sujet (« je ») ou objet (« me ») ou d'adjectif possessif (« mon »). Un autre sujet apparaît cependant à partir du premier tercet : l'« Amour », personnifié par la majuscule.

Le sonnet devient alors un pas de deux, et le lecteur comprend que c'est l'Amour qui mène la danse (« Ainsi Amour inconstamment me mène », v. 9). Le sonnet est donc centré sur l'expression des sentiments amoureux personnels. On peut qualifier le sonnet « je vis, je meurs » d'élégiaque, car il laisse paraître un sentiment de mélancolie lié aux tourments que provoque l'amour chez son auteure, comme en attestent les sensations extrêmes qu'elle ressent.

b) Une douleur physique

La complainte se concentre d'abord sur le corps et les sensations physiques provoquées par l'amour, prédominantes dans les quatrains :
• La chaleur (« me brûle » , « chaud extrême » ) et le froid (« froidure » );
• Le mou (« trop molle » ) et le dur (« trop dure » );
• Le sec (« je sèche » ) et le mouillé (« me noie » , « larmoie » « verdoie » ).

Ces sensations sont pour la plupart négatives, illustrant une souffrance certaine : « je meurs : je me brûle et me noie » , « grands ennuis » , « je larmoie » , « maint grief tourment » , « douleur » , « malheur ».

c) Des tourments intérieurs

Louise Labé semble décrire une série de tortures physiques qui reflètent en réalité les désordres intérieurs, dont la cause est annoncée au vers 9, premier vers du premier tercet : « Ainsi Amour inconstamment me mène ». Ce vers 9 marque une rupture dans le sonnet : il s'agit davantage d'analyser les mouvements de l'âme que les sensations physiques.

De la souffrance charnelle naît la réflexion sur le sentiment amoureux et ses effets. Si le « je » et ses sensations semblent être au centre de ce poème « je vis, meurs », c'est avant tout les effets d'un sentiment amoureux passionnel qui sont décrits ici.

II. Un amour extrême

Louise Labé dépeint dans « je vis, je meurs » un amour extrême, symbolisé par les contradictions que l'on retrouve tout au long du sonnet.

a) Des tourments inconstants

Les nombreuses antithèses des premiers quatrains (chaud/froidure, molle/dure, ennuis/joies) témoignent de la souffrance de l'Amante ainsi que de l'imprévisibilité de ses tourments, qui sont inconstants (« Ainsi Amour inconstamment me mène » v. 9). On remarque par ailleurs la présence d'hyperboles, qui renforcent l'idée d'un amour grandiose et trop excessif pour être supporté : « extrême » (v. 2), « trop/trop » (v. 3), « maint » (v. 6), « à jamais » (v. 7). L'Amour n'est pas un sentiment mais une multiplicité de sensations et de mouvements de l'âme.

Les sensations et les sentiments contraires sont à la fois opposés et simultanés (« et » v. 1, « en endurant » v. 2, « et trop... et trop... » v. 3, « Tout à coup » , v. 5), traduisant la soumission et la passivité de la poétesse qui ne maîtrise plus ce qui se passe et qui doit se contenter de décrire (« Sans y penser » v. 11). La seule certitude, amenée par l'adverbe « Ainsi » au début du premier tercet, est paradoxalement l'inconstance de l'Amour. Le sujet, lui, pense et croit, mais n'affirme pas (« quand je pense » v. 10, « quand je crois » v. 12).

b) Un caractère extrême

Les antithèses symbolisent autant le caractère extrême de l'Amour Passion que la confusion du sujet. Tout comme la vie et la mort se confondent (« Je vis, je meurs » ), l'instantanéité et l'éternité se mêlent (« Tout à coup » / « à jamais » ). La temporalité n'existe plus pour l'Amante, qui se perd dans sa passion.

Le meilleur exemple reste sans doute le premier vers : « Je vis, je meurs; je me brûle et me noie » : la virgule et le point-virgule permettent d'enchaîner les propositions sans proposer de lien logique. Le sujet perd pied dans le monde d'illusions que crée le sentiment amoureux.

c) Un cycle infernal

De la confusion temporelle naît le sentiment que l'Amour n'a ni début ni fin : les éléments funestes qui rappellent la mort (« grief tourment » v. 6, « plus de douleur » v. 10, « malheur » v. 14) se mêlent ainsi à l'idée de renaissance qu'évoque le verbe « verdir » v. 8, lié au renouveau de la végétation au printemps. Le sonnet est lui-même construit comme un cycle.

Ainsi, le dernier vers « Il me remet en mon premier malheur », indique l'idée d'une répétition (re-met) et d'un retour à l'origine (« premier »). Enfin, Louise Labé a su adapter la forme du sonnet au thème : l'Amour passion qui entraîne le sujet dans un cycle infernal.

Conclusion

En somme, ce sonnet est un témoignage poignant de l'expérience humaine de l'amour et de la mort. À travers une expression poétique complexe et raffinée, Louise Labé parvient à transmettre la douleur et la confusion de son propre cœur, tout en reflétant les thèmes universels de l'amour, de la mortalité et de la condition humaine.

À travers ce poème, elle nous invite à méditer sur la fragilité de la vie et la futilité des passions amoureuses, tout en nous rappelant l'importance de vivre pleinement chaque instant. De ce fait, Louise Labé s’inscrit dans la lignée des poètes comme Ronsard, qui ont révolutionnés le concept de l’amour.