Molière, Le Malade imaginaire - Acte I, scène 1

Une analyse de texte pour l'oral de français en première, rédigée par une élève et vérifiée par le professeur.

Dernière mise à jour : 16/04/2023 • Proposé par: Farida (élève)

Texte étudié

ARGAN, assis, une table devant lui, comptant des jetons les parties de son apothicaire.

Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt ; trois et deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif et rémollient, pour amollir, humecter et rafraîchir les entrailles de monsieur. » Ce qui me plaît de monsieur Fleurant, mon apothicaire, c'est que ses parties sont toujours fort civiles. « Les entrailles de monsieur, trente sols. » Oui ; mais, monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil ; il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement ! Je suis votre serviteur, je vous l’ai déjà dit ; vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols ; et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. « Plus, dudit jour, un bon clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l’ordonnance, pour balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de monsieur, trente sols. » Avec votre permission, dix sols. « Plus, dudit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir monsieur, trente-cinq sols. » Je ne me plains pas de celui-là ; car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize, et dix-sept sols six deniers. « Plus, du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec séné levantin, et autres, suivant l’ordonnance de monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de monsieur, quatre livres. » Ah ! monsieur Fleurant, c’est se moquer : il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols. « Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente, pour faire reposer monsieur, trente sols. » Bon, dix et quinze sols. « Plus, du vingt-sixième, un clystère carminatif, pour chasser les vents de monsieur, trente sols. » Dix sols, monsieur Fleurant. « Plus, le clystère de monsieur, réitéré le soir, comme dessus, trente sols. » Monsieur Fleurant, dix sols. « Plus, du vingt-septième, une bonne médecine, composée pour hâter d’aller et chasser dehors les mauvaises humeurs de monsieur, trois livres. » Bon, vingt et trente sols ; je suis bien aise que vous soyez raisonnable. « Plus, du vingt-huitième, une prise de petit lait clarifié et dulcoré pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchir le sang de monsieur, vingt sols. » Bon, dix sols. « Plus, une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoar, sirop de limon et grenades, et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. » Ah ! monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade : contentez-vous de quatre francs, vingt et quarante sols. Trois et deux font cinq et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc que, de ce mois, j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements ; et, l’autre mois, il y avoit douze médecines et vingt lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l’autre. Je le dirai à monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci. (Voyant que personne ne vient, et qu’il n’y a aucun de ses gens dans sa chambre.) Il n’y a personne. J’ai beau dire : on me laisse toujours seul ; il n’y a pas moyen de les arrêter ici. (Après avoir sonné une sonnette qui est sur la table.) Ils n’entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d’affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds… Toinette. Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnois point. Chienne ! coquine ! Drelin, drelin, drelin. J’enrage. (Il ne sonne plus, mais il crie.) Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables ! Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin ! Ah ! mon Dieu ! Ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin.

Molière, Le Malade imaginaire - Acte I, scène 1

Molière est un des plus grands dramaturges comiques du XVIIème siècle. En 1673 sa troupe joue Le Malade imaginaire au Théâtre du Palais Royal, c’est une comédie-ballet. Molière y critique la médecine et en fait une satire, à travers ses personnages comiques.

Argan le personnage principal est un hypocondriaque et il cherche à marier sa fille Angélique au fils d’un médecin pour couvrir ses frais. Mais Angélique est amoureuse de Cléante qui l’aime en retour, et Toinette, la servante va les aider à détourner les idées d’Argan.

Le texte

L’extrait choisi est l’Acte I Scène I, la scène d’exposition, qui est en fait un monologue d’Argan, le personnage principal.

La problématique

Comment la scène d’exposition permet à Molière de présenter à travers Argan le thème principal de la pièce : la médecine?

Les mouvements du texte

I. Examen des factures de l’apothicaire
II. Angoisse de la solitude d’Argan

I. Examen des factures de l’apothicaire

a) Un monologue autour du thème de l'argent

Argan est seul dans sa chambre, il crée un dialogue imaginaire entre lui, son médecin et son apothicaire. Il fait les comptes de ses frais médicaux du mois et il y prend plaisir: une idée originale pour un monologue. Argan y discute les prix, en refuse le paiement et négocie en proposant à quatre reprises un rabais.

L’argent prend une place importante, il y consacre des phrases entières qui ne consistent que de nombres. Argan négocie aussi de lui-même les prix. Argan parle également de vocabulaire médical: Il évalue sa maladie en la comparant aux prix proposés et en négociant ses derniers pour ne pas tout payer.

b) Un passage comique

C’est un épisode comique. Ce mouvement montre un personnage narcissique, atteint d'une folie douce hypocondriaque et despote à la fois, car tous doivent se soumettre à son désir obsessionnel. C'est un personnage aux revirements surprenants dans son comportement, ce qui lui confère un autre aspect comique, par la surprise qu'il produit.

En répétant le vocabulaire médical qu’il entend notamment des médecins, on remarque une partie de la critique que c’est incompréhensible, il ne fait que répéter les mots des médecins en accumulation. Les traitements sont définis par des adjectifs qualificatifs qui se veulent savants alors qu’ils n’ont pas toujours de sens.

c) La médecine, un prétexte

Pas une seule fois dans le monologue on ne cite la maladie, le monologue ne consiste que des additions de factures. Argan continue seul à calculer le total de ses différentes factures; il explique la raison de ses médicaments et il négocie toujours le prix en montrant s’il est ravi ou pas à travers le dialogue imaginaire entre lui et son apothicaire, qui n’est donc même pas présent.

Au total il y a 8 potions et 4 lavements. Le paradoxe tient au fait que cela l’inquiète au lieu de lui faire plaisir : « si je ne me porte pas si bien ce mois-ci, que l’autre ». Il s'agit d'une satire de la médecine : l’exagération des traitements met en ridicule la médecine, ainsi que le malade.

II. Angoisse de la solitude d’Argan

a) Un personnage autoritaire

Le client est roi, comme le malade est roi. Argan se veut sujet de la médecine, et use intempestivement sa clochette pour appeler sa servante, sans aucune patience. Cette mécanique, doublé de l'énonciation à voix haute du son de la clochette « drelin », confèrent un caractère comique et extravagant à la fin de l'extrait.

C'est bien ce qu'on a pu voir dans cet extrait: un Argan capricieux et autoritaire, qui passe du plaisir fou à l'angoisse paranoïaque d'hypocondriaque.

b) Un personnage impuissant

Le malade imaginaire est démasqué, aux yeux du spectateur, grâce à la double énonciation. L'écriture de l'extrait, en prose, accentue l'effet d'accumulation, du flot de paroles et de calculs ainsi que la nervosité du personnage.

« Ils me laisseront ici mourir »: l'hyperbole démontre la peur de la mort et de la solitude. Il s’enrage quand personne ne répond à sa sonnerie et il commence à crier ce qui fait un effet comique.

Conclusion

C’est ainsi à travers l’hypocondrie d’Argan, que Molière dévoile le thème principal de la pièce, à savoir la satire de la médecine. Cette scène d’exposition permet, grâce au monologue, de mettre en scène le personnage principal et son caractère obsédé par les soins et l'argent, mais aussi au fond sa grande naïveté et son impuissance.