Le travail contribue-t-il à unir les hommes ou à les diviser ?

Corrigé synthétique.

Dernière mise à jour : 24/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Questions préalables

- Quels auteurs utiliser?
- Penser que les philosophes ne sont pas les seuls à analyser le travail.
- Penser à ce que l'on nomme "division du travail".

Introduction

Toute société humaine travaille. Mais s'interroger sur les effets, d'union ou de division, de ce travail, nécessite une analyse de la réalité du travail dans son organisation. Or il semble qu'une forme sexuelle de division du travail intervienne primitivement - à partir de laquelle la société paraît bien divisée, même si ses parties sont complémentaires. Cette complémentarité ne se transforme-t-elle pas historiquement ?

I. La tâche commune peut unir

Lorsque Platon évoque l'apparition du travail, c'est pour souligner qu'il apporte à l'humanité de quoi satisfaire ses besoins et vivre harmonieusement. Dans cette interprétation première, le fait de travailler donne au groupe une cohésion, qui se trouve renforcée par l'instauration des échanges de produits. Ces derniers ne tardent pas à être augmentés grâce à une division des tâches qui accroît la production, tout en la facilitant pour chacun puisqu'il n'accomplit qu'un type de travail et peut s'y perfectionner.

Mais on doit noter que Platon, lorsqu'il envisage la constitution de sa Cité idéale, réserve le travail matériel à la classe inférieure (et aux esclaves, même s'il les évoque peu). On peut admettre que philosophes et soldats se consacrent à des tâches plus nobles, ou à des travaux intellectuels, il n'en reste pas moins que ce travail divisé va de pair avec une hiérarchie sociale qui, pour un esprit moderne, correspond à une division des hommes (même si pour Platon elle garantit à sa manière l'unité supérieure de la cité). Doit-on en conclure que le travail, nécessairement divisé, entraîne obligatoirement une telle division sociale ?

Pour sa part, Rousseau envisage aussi un moment initial de la production humaine n'impliquant pas encore de séparation entre catégories. Mais cet âge d'or ne dure pas : la mise en place des premières sociétés, heureuses, est perturbée par une inégalité physique qui aboutit à une inégalité de la production, des échanges, des propriétés et des richesses. Une fois encore les hommes se divisent (en riches et pauvres, puissants et sujets). La transformation du milieu naturel qu'est le travail s'accompagne d'une autre transformation, de l'homme lui-même et de son organisation sociale.

II. Effets de la division du travail

Pour l'économiste Adam Smith cependant, la transformation sociale aboutit à un enrichissement global, qui pourrait être également réparti "parmi les différentes classes de la société" - cela signale bien l'existence acquise de classes différentes, mais on admet qu'elles peuvent coexister pour former une totalité unifiée dans laquelle chacune trouve de quoi se satisfaire. Un tel espoir se fonde sur une division poussée du travail, qui n'a que des avantages et mène à "une abondance universelle" : facilité et rapidité issues de la spécialisation (que Platon remarquait déjà) ajoutées à l'usage de machines abrégeant encore les tâches entraînent un accroissement notable de la production, considérée individuellement. D'où la multiplication des échanges et le bonheur pour tous.

À quoi Marx réplique que l'histoire du travail humain ne confirme guère une vision aussi optimiste. Elle montre au contraire que le travailleur moderne, héritant d'une situation qui fut déjà celle de l'esclave antique, du serf du Moyen Âge, du bourgeois et commerçant de la Renaissance et du travailleur des manufactures, est soumis à une aliénation qui est le résultat direct de l'organisation sociale du travail, c'est-à-dire de sa division : à un travail divisé correspondent un homme divisé (incomplet) et une société divisée, traversée par une lutte des classes qui apparaît comme la structure fondamentale de toute société jusqu'à nos jours". Ce qu'a "oublié" Adam Smith, c'est par exemple que les échanges ne sont pas effectués entre les travailleurs, ou que ces derniers ne sont pas propriétaires de leurs moyens de production, mais aussi qu'apparaît dans la société industrielle (celle que Adam Smith appelait de ses vœux) la possibilité d'un "travail" très particulier, qui est celui du capital...

III. Réunification de la société ?

Faut-il en rester à ce constat ? Marx lui-même ne s'y tient pas, qui envisage "scientifiquement" l'évolution qui pourrait mener, par la transformation des conditions sociales du travail, à une humanité réunifiée. Dans la société communiste, après la disparition de la propriété privée des moyens de production, on aboutirait d'une part à une diminution du travail nécessaire à la production (disparition de la plus-value) et de l'autre à une société sans classes, dont les membres seraient enfin unis. Mais on sait que ce programme reste purement théorique...

L'évolution récente des sociétés "développées" montre que le travail risque de diviser les hommes plus radicalement encore que par sa propre division : par sa répartition. La différence qui existe aujourd'hui entre l'homme qui a un travail et le chômeur semble indiquer que le fait de travailler, même dans des conditions inégales, unifie de manière en quelque sorte minimale les hommes en leur conférant le sentiment d'appartenir à une société ou à l'humanité. Il n'en va plus de même lorsqu'une proportion notable de la population manque de travail.

Conclusion

L'unification que propose le travail entre les hommes, c'est la conscience d'être collectivement humains. L'histoire de la production l'avait refoulée, qui met davantage en évidence les clivages sociaux introduits par la division et l'organisation du travail. Mais lorsque ce dernier fait défaut, le sens philosophique du terme revient : l'homme doit produire pour affirmer son humanité même.

Lectures

- Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité
- Smith, De la richesse des nations
- Marx, Manifeste du parti communiste